Dans la carrière de Keith Jarrett, il y a un sommet, un graal (A graaaaaaaal ? © Les Monty Pythons), d'une certaine manière l'apogée de ces 70's magiques où, si l'on aime le travail du pianiste, presque tout s'avère indispensable. Il s'agit des Sun bear concerts, une série de concerts effectués au pays du soleil levant, où, Keith, invité à jouer du 5 au 18 novembre 1976 sur 5 dates, 5 villes où le musicien renouvelle constamment son langage avec une richesse qui laisse pantois. Car ici on est dans l'improvision la plus totale et tout reste pourtant mélodique de fond en comble.


Certes, on est en terrain connu, c'est ici le Jarrett du cultissime Köln Concert qui est à l'oeuvre. Comprendre, le pianiste qui laisse ressortir toute sa verve lyrique en de longs développements fluides. Sauf qu'ici, on passe la vitesse supérieure, on s'achemine même parfois vers les frontières du free et quelques passages écoutés d'une oreille inattentive ou non aiguisée pourraient dès lors facilement s'y perdre. Car Jarrett choisit de volontairement brouiller les pistes, s'y perdre et s'y plonger pour mieux y perdre l'auditeur puis y émerger pour y renaître, et l'auditeur avec lui. Un tour de force qui se comprend dès l'enchaînement des morceaux, monolithes compacts, bruts, pas aussi taillés que le concert de Cologne, donc probablement un peu plus dur d'accès.


Le Köln Concert était découpé en 4 plages plus ou moins longues qui obéissaient à une structure interne à la fois purement intimiste et romantique (part I, la plus connue et réutilisée de fort belle manière par des cinéastes aussi différents que Nanni Moretti ou Nicolas Roeg) quand elle n'était pas chaotique et éclatée (Part II - A) ou prise d'un mouvement épique et presque convulsif (part II - B, ma préférée) où l'enchaînement de note laisse apparaître presque un paysage musical chez l'auditeur.


Ici, les choses se compliquent. 5 dates donc 5 disques (logique, un disque = une ville donc un concert), plus un 6ème en bonus regroupant quelques rappels (dont le très beau rappel de Tokyo devenu avec le temps un petit classique, Youtube est votre ami). Sur chacun des disques, juste 2 parties. De 30 minutes environ à chaque fois. Qui auraient pu être sous-découpées tellement l'ami Keith saute presque d'une idée ou d'un développement à chaque fois avec une maestria et une soif d'en découdre qui laissent exsangue (on peut difficilement écouter les 6 disques à la suite d'ailleurs. Picorer d'un disque à un autre sur plusieurs période est dès lors plus que recommandé).


Une part I qui, souvent, reste dans des tonalités proche du Köln Concert, une part II qui s'aventure dans des terres plus cérébrales quand elles ne basculent pas dans l'expérimental ou la musique contemporaine (un passage inattendu dans la part II de Nagoya joue sur l'écho de notes jouées très minimalistes d'une main tandis que l'autre main rebondit en lançant d'autres notes comme des ponts d'une manière plus forte mais sans aboutir --comme si le travail de la mélodie était voué à être remis constamment en doute--, le rythme étant ici donné par les notes très minimalistes qui en fait jouent presque du silence. Cela pourrait être laborieux comme peut l'être par instant le Concerts Bregenz / München, il n'en est rien). Et le plus fort c'est que d'une ville à une autre, chaque thème est différent et à part, laissant augurer pour les fans du pianiste, des pièces de choix personnelles suivant les sensibilités de chacun. Pour ma part, je ne me lasse pas des part I de Kyoto et Nagoya que je réécoute plus fréquemment que les autres, sans négliger non plus ces derniers.


Que dire de plus ? Après une telle somme, on peut tout arrêter d'acheter des disques, se mettre en hibernation, s'isoler sur une autre planète, disparaître...

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le 5 mai 2016

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Nio_Lynes

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