Superorganism
6.6
Superorganism

Album de Superorganism (2018)

Mon aversion sourde et insaisissable face à Superorganism et son premier album — que je vais tenter de crachoter tant bien que mal dans les caractères qui vont suivre — a beaucoup à voir avec mon rapport problématique avec ce lieu commun où vous et moi nous retrouvons, là, tout de suite, sans vraiment le savoir. Il est 15:36 en France et me voilà à nouveau sur l'Internet. Ce réseau qui m'a offert, depuis plus de la moitié de ma vie, de l'amour, des amis, des lueurs, des impacts et des blessures qu'une vie en mode avion n'auraient peut-être pas su supplanter avec autant de grâce et de dextérité. Malgré toute la peine pathétique que je ressens à le dire de cette façon, Internet est ma seconde patrie. J'y vis, j'y dors, j'y explore, j'y creuse ma tombe. Saloperie de filet écrasant et omnipotent. Merveilleux maillage de mondes à découvrir. Mais comme dans tout bon pays, je dois y coexister avec mes semblables, chacun entassés en petites bulles tantôt impénétrables, tantôt familières. Et dans ce grand marasme, Superorganism est une représentation assez nette de tas de choses que je déteste profondément dans ce que la culture populaire est devenue sur la toile mondiale : un tas, une masse informe, une accumulation, un jeu à somme nulle aux allures de dragibus mais aux effets de xanax. Plus qu'un super organisme, le premier album du collectif serait ainsi plutôt une créature de Frankenstein flasque et baveuse, incapable de tenir debout sans les cordages usés d'une indie pop qui n'en finira donc jamais de crever, offrant de l'esbroufe sans la moindre once de panache et se goinfrant du zeitgeist musical d'une certaine génération (la mienne) qui aura eu le malheur de passer après toutes les autres.


Bouillie grumeleuse d'influences façon playlist spotify de douze jours en shuffle, Superorganism a la fraicheur et l'impertinence d'une multinationale qui se met à publier des memes sur les réseaux sociaux à destination de ses clients "millenials". Une recette de coolitude si forcée, si calculée qu'elle en devient absolument confondante de cynisme, nous remâchant une esthétique indie infiniment creuse, matinée d'une couche d'ennui existentiel aussi surjouée que pubère. Superorganism est à la pop ce que l'actuel président de la république française est à la politique : son plus infâme désengagement sous les traits d'une fraicheur rance qui ne trompera que les vrais (et les faux) naïfs. Impossible de ne pas grincer des dents devant ce petit précis de psychédélisme édenté 2010's pour soirées perdues devant des propositions algorithmiques de YouTube. Samples en vracs, clash vus et revus entre riffs clairs et Moogs rétro, voix traitées et découpées avec la finesse de poulets à l'abattoir, chœurs collectifs abrutissants (allez vous faire foutre Arcade Fire d'avoir démocratisé cet enfer dans la pop). De la musique au mètre pour toutes les publicités de demain, qui n'a rien à dire et rien à faire ressentir si ce n'est le confort tiédasse de ses grooves paresseux et de ses mantras aliénantes. Plus banal et inoffensif que les one-hit-wonders indé les plus médiocres des années 2000 auxquels il chipe son attitude tête-à-claque, Superorganism se vend et se consomme sur le coup d'une légende prosaïque au possible (et absolument glauque au passage : des trentenaires issus d'un médiocre combo d'indie rock qui s'associent à une adolescente japonaise de 15 piges autour d'un amour commun des memes, eeeewww), de singles aux refrains atrophiés et d'une esthétique internet-core absolument embarrassante et hideuse tant elle se contente d'être aléatoire sans vision, sans plan, sans rien. Superorganism ne change rien au status quo et le poursuit avec un aplomb absolument déprimant : des mecs qui composent de la merde feel-good pour des filles objets sur lesquelles des fans flippants feront des fixettes malaisantes. Écouter cet album me met face à une dissonance qui restera probablement à jamais irrésolue entre la masse et mon égo, d'autant plus pénible à regarder au papier calque tant nous sommes à la surface un peu tous les mêmes. Un "Comment pouvez-vous écouter ça ?" qui m'arrache la glotte tant il me met face à une altérité flinguante. C'est donc ça que nous laisserons ? Ce sera ça notre héritage ? Pourquoi ne pas nous taire ?


Qu'on se rassure, Superorganism est un groupe sans futur. Peut-être déballe-je ma boule de cristal avec l’aplomb borné de l’auditeur momifié face aux "gamins de nos jours", mais je ne vois absolument aucun scénario où ce projet ne termine pas sa carrière au fond de la fosse commune indie dans un nombre d'année inférieur aux doigts de mes mains, après avoir déçu tout le monde avec un deuxième album incapable de rattraper sa magie originelle et un troisième opus sur un petit label dans l'indifférence générale. Et si je me trompe, que ces mots tapés aujourd'hui dans le creux de ma chambre restent les mêmes dans leur terrifiante erreur : Superorganism est la plus absolue démonstration d'inutilité que j'ai entendue depuis longtemps.


Le paysage défile mais le train reste sur place. Dans sa bulle.


Qu'elle éclate.

leaids
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le 28 mars 2018

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