Chaque film est une expérience. J’adore les grands moments de cinéma qui vous transportent loin de votre banquette / fauteuil / canapé (biffer les mentions inutiles) et j’avoue avoir un faible pour le cinéma d’auteur japonais – bien que certains longs-métrages animés m’aient véritablement marqué. Seulement, passé le studio Ghibli, même en étant fan de BD et de toutes les techniques d’animation, je suis aux antipodes de l’otaku. Pas assez branché mangas pour me coltiner la collection complète du premier shōnen venu. Le cas d’Akira est tout à fait particulier dans mon petit monde : on dépasse le cadre de la bulle, on transpose sur grand écran un univers post-apocalyptique démesurément complexe et abouti. Et quand bien même le film de 1988 ne révèle que la partie visible de l’iceberg, il possède toutes les qualités du chef-d’œuvre : un scénario puissant, des thèmes mémorables et une bande originale à tomber par terre. Katsuhiro Ōtomo réussit à merveille sa propre adaptation cinématographique ? Soit. Mais parlons ici de la musique créée par Tsutomu Ōhashi aka Shoji Yamashiro, interprétée par le génial collectif Geinoh Yamashirogumi, qui a su se mettre au même niveau.


Certains ne comprennent pas l’intérêt seul d’une BO quand on connaît bien le film. Certes, l’œuvre n’est complète qu’en sa dimension audiovisuelle, mais ça n’empêche pas de séparer image et son, d’entamer un voyage purement cérébral et d’apprécier leurs qualités respectives. La perception sélective nous empêche parfois de capter des éléments autres que les thèmes récurrents. Ce qui est imperceptible à l’écran ressurgit dans nos oreilles ; et dans le cas d’Akira, on constate que rien n’a été bâclé ni laissé au hasard. L’OST existe en plusieurs éditions, les pochettes variant entre l’affiche originale et le symbole d’Akira. Comme à leur habitude, les Japonais proposent une suite symphonique et globalement, le schéma logique est respecté. Les dix morceaux correspondent au déroulement chronologique de l’intrigue et l’on commence par le magistral thème de « Kaneda » qui symbolise vraiment le film dans l’inconscient collectif. Une introduction parfaite du héros à la moto rouge sur variations de marimbas, claviers à percussions à résonance tribale qui donnent à Néo-Tokyo son côté sauvage et apocalyptique. La suite symphonique est d’ailleurs traversée par de nombreuses voix de marimbas et percussions diverses : glockenspiel, grosse caisse ou batterie électronique sont légion sous la plume de Yamashiro.


L’ensemble est régulièrement emmené par de solides structures rythmiques qui hissent la mélodie vers des sensations plus violentes, extatiques. Pratique usuelle de compositeur, des airs sont resservis lors de thèmes analogues évoquant par exemple Kaneda dans « Tetsuo ». Rien de bien original, mais dans la mise en pratique, c’est diablement efficace. Boucles percussives, frappes puissantes, l’ensemble de musiciens fusionne musique traditionnelle et innovation technique dans une œuvre atemporelle. « Battle Against Clown » illustre ceci dans un esprit d’écriture zappaïenne – avec ses roulements de rototoms in medias res – tandis que des nappes éthérées sont déposées sur ce tapis de percussions tribales, comme si le ciel devait bientôt rencontrer la terre. Néanmoins, la force de l’œuvre musicale ne repose pas uniquement sur la reprise de thèmes forts mais réside aussi dans des passages plus ambient (« Wings Over Neo-Tokyo ») sortant de l’ordinaire par l’apparition de chœurs (« Tetsuo »), jeux de voix en canon (« Mutation »), en écho (« Doll’s Symphony ») ou d’autres rites incantatoires japonais (« Shohmyoh »).


La dynamique rock et le tempo complexe du court « Exodus From The Underground Fortress » boostent un peu l’écoute avant les deux mastodontes finaux avoisinant la glorieuse quinzaine de minutes. Si « Shohmyoh » nous invite à une grande cérémonie, « Illusion » fait plus figure d’entrevue allégorique avec un bonze, troublée par une flûte agressive agitant l’ecclésiastique, qui finit sa méditation dans une transe folle. Faut-il prier pour son salut ? L’ultime morceau « Requiem » met tout le monde d’accord… et à genoux. Son introduction lourde, la litanie des chœurs précédant le clavecin avant l’orgue frénétique, puis cette procession incrédule scandant un air de fin des temps peut faire penser à la coda de la Fugue en ré mineur de Bach. Néo-Tokyo s’éteint peu à peu, bercé par des voix évanescentes et l’ultime vrombissement de grosse caisse, dernier battement de cœur du monstre urbain avant le néant. Dans le silence pesant revient alors en tête le thème marquant de « Tetsuo », au jeu syncopé du vibaphone bondissant et mystérieux, à l’orgue épique, aux percussions tribales. Le monument reste figé dans l’esprit, notamment au souvenir de l’apparition des voix, dont l’éclatement donne toute sa puissance à la composition, au thème voire à l’œuvre toute entière. Une apogée à vous donner des frissons.

Messiaenique
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le 29 oct. 2015

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