TRINITY
7.3
TRINITY

Album de Laylow (2020)

Depuis que j'ai goûté le poizon, je ne veux plus rien d'autre

28 février 2020. Date de sortie de l'album nommé « Trinity » de Laylow, l'album dont je vais parler aujourd'hui (je vous apprends rien je pense). Je commence à écrire la critique le 11 mai 2020, c'est-à-dire plus de deux mois après la sortie de l'album. La raison est simple : déjà je me suis dit que les critiques d'album, je ne les balancerai pas juste après avoir écouté une première fois l'album (comme j'ai pu le faire avec Ce Monde est Cruel, Fame ou Rooftop), je me suis dit qu'il devait y avoir au moins 1 mois entre la sortie de l'album et l'écriture de la critique, le temps de digérer l'album, de bien confirmer que j'ai des choses à dire dessus, etc...Ensuite, la vidéo du Règlement (excellente chaîne Youtube au passage) est arrivée le 27 mars, comme d'habitude, c'est très propre, le taf fourni est excellent et l'analyse proposée se tient parfaitement, et doit sûrement reflété la plupart des pensées de l'artiste. Après avoir vu cette vidéo, j'ai eu beaucoup envie de me lancer dans ma propre critique/analyse/comme tu veux, maaaais, je ne savais pas forcément quoi dire, j'étais motivé un jour sur deux, bref j'avais envie de la faire mais impossible de trouver la motivation pour écrire une seule ligne. Et ça y est, j'ai enfin trouvé et la motivation et l'inspiration pour écrire quelques lignes sur cet album que j'écoute régulièrement même encore aujourd'hui.


Tout d'abord, comment Trinity est arrivée dans mes oreilles (c'est difficile de pas faire de vanne là) ? Là encore, c'est pas compliqué : le 28 février, alors que j'avais en tête la sortie de 3 albums (qui vont de pas ouf à j'aime beaucoup), mon live Sens Critique est envahi par des 9, des 10, des commentaires enthousiastes, bref, beaucoup d'activités en relation avec ce fameux Trinity. Bon je suis intrigué, qu'est-ce donc ? Je vais voir la fiche SC de l'album, les statuts apparaissent et annoncent que c'est l'album de l'année, bon, sur une plateforme où le rap est assez controversé, vous comprendrez que ça attire ma curiosité. Mais bon, quand j'ai en tête d'écouter 3 albums, j’écoute 3 albums, donc la découverte de Trinity se fera le lendemain. Le lendemain donc, je lance l'album en ne savant pas trop à quoi m'attendre. Ah oui parce que j'ai pas précisé mais Laylow, je n'en avais jamais entendu parler avant, enfin si, j'avais vu une vidéo dessus mais...ça n'avait pas suffit pour m'y intéresser (la vidéo en question : https://www.youtube.com/watch?v=wI7dAwFK8Cc ). Bon je lance l'écoute, premier son, Megatron, premier ressenti : « Que...quoi ? Que viens-je d'entendre ? » oui, clairement, grand fan de rap français contemporain que je suis, je n'ai pas l'habitude d'écouter ce genre de sons (apparemment, c'est un peu comme Travis Scott). Et globalement, je reste sur ce ressenti sur le reste de l'album, mais je comprends déjà pourquoi les gens en sont instantanément fans. Grand génie que je suis, dans mon court avis qui fait suite à ma première écoute, j'écris : « je ne sais pas si je le ré-écouterai »...LOL. Bien sur que je l'ai ré-écouté, dès le lendemain puis une fois par jour au début du confinement (#survivant), et oui, j'ai envie de dire que c'était nécessaire. Nécessaire pour pleinement apprécier, pour arriver à se plonger pleinement dans l'univers instauré et pour comprendre les intentions de l'artiste. Et maintenant, le 11 mai 2020 donc, depuis le 28 février, aucun album sorti cette année ne m'a marqué, que des projets sympas sans plus ou alors plus qu'oubliables, et j'ai l'impression que ça va durer comme ça jusqu'en septembre, c'est-à-dire qu'on a trouvé le meilleur album de la première moitié de l'année, je tenais donc quand même à en parler. Je ne suis pas expert dans ce qui est analyse d'albums ou de musiques en général, c'est clairement pas ce que je maîtrise le plus mais malgré tout, je vais partager la critique en deux parties : l'importance d'un univers/d'une identité musical(e) puis l'album en lui même.



Un univers pour les gouverner tous



Je pense que si je dis que le rap a énormément évolué au fil des années 2010, je ne vous apprends rien. Avant, c'était « simple » de faire du rap, t'avais quelque chose à dénoncer dans cette société ? T'avais un passé de banlieusard qui plongeait dans l'illégal ? Tu prends un micro, tu balances une instru et tu poses un texte dessus. Mais plus tard, dans les années 2010 donc, les spectateurs ont peut être voulu écouter autre chose, quelque chose de moins répétitif (ouais j'suis désolé mais je trouve que le rap old school ça devient vite répétitif) ou peut être que les artistes voulaient tenter autres choses, chercher un peu plus d'originalité, se moderniser. Bref, à partir de là, on a vu plein de nouveaux sous-genres du rap : Kaaris qui ramène la trap avec Or Noir, PNL qui ramène le cloud rap avec Que la Famille et surtout Le Monde Chico, Lorenzo et son troll rap et plein d'autres folies. Ces changements ont surtout été possibles grâce à un outil formidable que j'ai déjà abordé dans une critique : l'autotune. Un outil qui peut modifier la voix de l'artiste, qui permet de trafiquer le chant pour trouver ce qui apportera un peu d'originalité. Et oui, cette dernière est devenue très importante en ce moment, car on est arrivé à un point où beaucoup de rappeurs se ressemblent, bah oui, tu vois qu'un mec a amené un délire qui plaît aux gens, tu vas essayer de le reproduire. Il faut aussi noter que la demande du public a changé : le rap ne se résume plus à dénoncer un problème de société ou de raconter sa vie de jeune rebelle, on retrouve aujourd'hui des chansons à textes faibles (qui ne cherchent pas la rime riche, les allitérations/assonances ou les métaphores filées ou tous les autres trucs chiants à analyser) qui en plus de connaître le succès, restent excellentes. Et ce grâce à une chose : l'identité musicale, que j'appelle aussi l'univers. Pour moi, un artiste qui possède un univers qui arrive à nous captiver dès les premières secondes, un artiste que tu reconnais en une seconde d'écoute (c'est ça pour moi l'identité musicale) est meilleur qu'un rappeur qui fait du conscient avec aucun flow. Et c'est l'autotune qui va aider beaucoup à la création de cet univers, ceux qui possèdent les meilleurs univers musicaux l'utilisent beaucoup : PNL et son univers planant et mélancolique, SCH et son univers qui te plonge en plein milieu mafieux (j'annonce, cette année je vais parler de JVLIVS et de son tome 2) et dernièrement, Laylow avec son univers robotique/futuriste, à tel point que j'appelle ça le Cyberpunk de la musique. Je ne m'y connais pas trop en Cyberpunk mais de ce que j'ai compris, c'est de la critique de la société en placant l'intrigue dans le futur. Voilà, c'est ça qu'a réussi à faire Laylow, transposer le Cyberpunk en musique, le long de 22 tracks. Et rien que ça, rien que réussir à adapter un genre destiné à la littérature et au cinéma en musique, c'est 100x mieux que ce que j'ai pu écouter cette année, c'est comme SCH qui nous fait la trilogie du Parrain en musique (faut vraiment en parler). Laylow a rejoint les rangs des rappeurs qu'on reconnaît en moins de 10 secondes, c'est-à-dire que tu peux écouter un son de lui que tu connais pas, tu vas tout de suite te dire « Ah c'est Laylow ça ». Et en plus de ça, il te propose une gestion de l'autotune, des types de prod et des flows qu'on n'a jamais entendu en France, non mais j'suis désolé mais s'il vous en faut plus pour aller écouter tout de suite, je ne peux plus rien pour vous. Et ce n'est pas tout, les rappeurs lambdas ont pour habitude de composer leurs albums de sons qui n'ont rien à voir entre eux, ici Laylow construit son album comme un ensemble, et c'est compliqué de conseiller à quelqu'un un seul son. Voilà, sans creuser en profondeur, sans s'intéresser au fond de l'album, la forme et les ambitions de l'artiste suffisent déjà pour dire qu'on tient là un excellent album.



1,2,3,4,5,6, je sors de la Matrice



On a vu que la forme de l'album était réussie, mais qu'en est-il du fond ? Parce que même si j'ai dit qu'avec une telle forme, le fond peut être raté, ça ne me gênerait pas, ici le fond est réussi, et oui. Encore une fois, comme avec PNL, ceux qui ont du mal avec les caractéristiques d'écriture de textes de rap, vous n'allez pas trouvé ça ouf : on retrouve du verlan...beaucoup de verlan, un peu de vulgarités par ci par là (mais ça reste très léger) et un peu d'anglicisme. Mais bon, comme le dit si bien l'artiste lui même : « Y'a moins de mot, y'a pas moins de sens », voilà, rien qu'en une phrase, il résume parfaitement le rap français d'aujourd'hui, limite je pourrais m'arrêter là. Mais bon, au delà de ça, ce qui marque dans cet album, c'est les sentiments/émotions. Après une introduction qui nous prévient qu'on va changer d'univers, quitter notre monde pour plonger dans celui de Laylow, cet artiste nous fait un petit égotrip dans Megatron (Megatron qui est l'antagoniste de Transformers, Transformers=robot, robot=cyberpunk, tout est lié maggle), où il nous dit qu'il va tout niquer cette année, qu'il nous ramène du flow, qu'il va pouvoir offrir un sac Channel à sa copine, que les rappeurs sont déjà partis de peur, qu'il est le plus chaud de la France, bon bref vous avez compris l'idée, c'est de l'égotrip comme on aime. C'est dans Dehors dans la Night que le côté émotion/sentiment débute, qu'on commence à entrevoir à quel personnage on a à faire. Laylow est donc une personne qui se pose des questions sur sa place dans le monde :
"Est-c'que j'suis dans l'vrai ? Est-c'que j'pète un câble ?
Est-c'que ces gens m'aiment ? Est-c'qu'ils s'foutent de moi ?
Pourquoi j'vois toujours le monde en blanc et noir ?
Pourquoi j'en suis là ? Toujours en bas
 »
Il se demande s'il vit dans le vrai monde ou s'il est dans la Matrice (le titre de l'album, Trinity, personnage de Matrix), il se pose des questions sur le comportement des gens et sur son propre comportement, sur comment lui il voit le monde, une vision qui semble plus noire que blanche (c'est le mot « noir » qui sert de rime). Cette vision est sûrement due à la solitude :
« J'suis seul ce soir, les soirées sont éclatées »
« Mais j'suis trop dans l'mal, là tout seul dans la night »
« Solo quand tout va mal »
Son manque de confiance en soi :
« Donc j'sors un soir sur deux, j'bois au goulot toute la liqueur
Pour avoir l'air sûr de moi, juste un peu plus qu'eux
 »
« J'suis blanc, j'suis noir, j'sais même pas où m'placer »
Ou encore, son manque de chance en amour :
« Me parle pas d'ta tte-cha, là c'est déplacé »
« J'suis seul de dingue, s'te plaît me laisse pas » (qui fait le lien avec la solitude aussi)
Bon, on conclut assez facilement que Laylow n'a pas une super vie, on est face à une personne triste, qui ne trouve pas le moyen d'être heureux...jusqu'à l'arrivée du programme Trinity. Présenté au tout début via Initialisation, ce programme est un simulateur d'émotions, la matrice de Laylow, celui qui va le faire s'échapper de ce monde de merde (comme nous face à l'album...). Pour encore faire le lien avec Matrix, petite citation du film : « Tu n'es qu'un esclave Neo, comme tous les autres, tu es né enchaîné. Le monde est une prison où il n'y a ni espoir ni odeur ni saveur. Une prison pour ton esprit. » A la fin de Dehors dans la Night, ce programme, comme nous, a compris les émotions de Laylow et va lui proposer une petite session d'entraînement. Quoi de mieux comme échauffement qu'un son qui fait bouger les locks de tout le monde, même ceux des chauves : Hillz en feat avec S.Pri Noir. C'est un son qui est fait pour tourner en soirée, qui décrit (un peu) une soirée et qui en plus, me décrit : « Hun, ils essayent de tout décrypter en comments ». Ce n'est pas le son qui a le plus de sens, mais il est très efficace pour turn up. Mais parce que le simulateur d'émotion n'est pas loin, on est quand même en plein échauffement de celui ci, à la fin de cette soirée, Laylow avoue à son pote qu'il a repéré une fille, et il veut connaître son nom, S.Pri lui répond : Trinity...tout est lié, je vous dis, putain. Le morceau qui suit raconte bien évidemment comment Laylow va approcher cette fameuse Trinity, on retrouve les éléments qui constituent la tristesse de Laylow : « j'étais à fond dans le vice »
« j'avais les yeux dans le vide »
« Tellement d’péchés, l’ciel va tomber sur ma tête
Quand j’sais pas, j’fais confiance qu’à la sse-lia que j’ai sur moi
 »
« Roule avec ton jeune you-vo, j’bosse dur pour que la misère m’vouvoie
225, c’est la Côte d’Ivoire, sur Terre, ma peine est provisoire
J’fais ma monnaie, je fume et j’bois, je t’en prie, prends, tout est pour toi
 »
On se rend compte de l'attirance du garçon pour la jeune dame quand il lui dit qu'il est prêt à lui donner tout ce qu'elle veut :
« J'ai des sachets d’thé, des sacs de blé
Pour tout ach'ter si c’est ta volonté
 »
« S’il te plaît, viens prendre ce qu’il te plaît
J’suis chez Versace, chez Louis
J’dépense tout, viens m’chercher
 »
On comprend rapidement qu'on est sur un jeu de drague, la présence de Jok'Air sur ce morceau est donc super logique, lui qui a l'habitude de parler d'amour dans ces morceaux. On en arrive à un point où le simulateur d'émotion fonctionne sur Laylow, on est à la 5ème piste de l'album et Laylow s'est déjà fait avoir. Ceci est confirmé par Menu Principal qui nous indique que le taux de compatibilité entre Laylow et Trinity (le logiciel ou la fille qu'on a vu au morceau précédent), ce morceau nous dit aussi que Laylow a choisit de passer à la violence. Cette violence est donc très présente dans le prochain son : Piranha Baby. Le morceau dans lequel Laylow fait exploser sa rage :
« hémoglobine sur le Levis »
« Violent comme colon qui change d'hémisphère »
« J'en attends pas moins pour sévir, deux fois plus chaud, j'suis agressif »
« très peu de mots doux, de courtoisie »
« Laylow n'attend pas de sympathie »
« J'ai mal, t'as mal, ok, pas b'soin d'pleurer des heures
J'gard'rais pas ma rancœur, même si c'milieu m’écœure
 »
Le problème maintenant, c'est que la violence n'est pas quelque chose qui correspond à Laylow et Trinity (le logiciel ou la femme) n'est plus compatible avec le monsieur. Pour discuter de tout ça et peut être calmer les esprits : Trinity (ici c'est probablement la femme) l'attend sur le parking. Plein phare, pleine lune sur la ville, Laylow est arrivé sur ce fameux parking et la femme qui l'attendait chauffe son cœur. On retrouve encore un Laylow un peu violent, qui n'est pas prêt à être sentimental face à cette femme et qui pense que à...bah à la...ouais vous avez compris hein :
« Ramène ton cul dans la caisse, ramène ton cul dans la caisse
Trinity dans la matrice, elle a mis que du latex 
 Elle voudrait que je la blesse, elle veut même un peu plus
 »
« J'surfe sur l'rap français comme sur tes jambes » (mdr cette punchline)
« Moi, j'recompte mes lovés, me dis pas qu't'es love de moi »
« J'pourrais jamais t'aimer jusqu'à l'infini 
Pourquoi tu veux t'insérer dans ma vie  ?
 »
Ces deux derniers vers montrent clairement que Laylow n'est pas prêt à s'investir dans une relation sérieuse. Et là, tout d'un coup, un mendiant interpelle Laylow et lui demande une pièce ou un ticket resto (dans le morceau Mieux vaut pas regarder part.1). On devine que le logiciel n'est plus compatible avec le rappeur puisque ce dernier est réticent à s'engager dans une relation sérieuse, une relation à base de sentiments et que par conséquent, Trinity le rejette, fin de la simulation et retour à la réalité, une réalité toujours aussi difficile. Vient ensuite Vamonos, excellent morceau où ça kick bien, notamment grâce à la présence d'Alpha Wann. C'est un son qui va aborder la misère, pour suivre la logique du son précédent (oui depuis le début j'appelle ça des sons/morceaux mais ce serait plus des interludes) :
« Regarde pas trop les assiettes des autres, elles ont toujours l'air pleines, fuck té-ma la mienne »
« J'veux pas regarder la misère du monde mais au fond
Ton mal c'est p't-être mon bien
 » (excellente phrase, et oui, si les riches ont beaucoup d'argent, ça fait leur bien et ça en enlève aux pauvres, qui sont alors dans le mal)
« Laylow veut que faire la liasse pour la familia, puis Vamonos »
C'est un couplet qui tourne autour de l'argent, de la misère mais aussi des rêves en rapport avec celui ci : ne pas regarder le prix sur l'étiquette ou avoir un sweat Versace :
« Et j'vais pas r'garder l'price sur l'étiquette »
«  j'ai tâché l'sweat Versace »
Et une fois qu'il arrive à avoir cet argent, Laylow fait preuve une fois de plus de son absence d'émotions ou de compassion :
« La vie ils ont l'seum, j'sais pas, p't-être leurs femmes les trompent »
« Y'en a qui en pleurent, y'en a d'autres qui en rêvent, moi, j'm'en bats les couilles »
« J'leur donne qu'un smile, le reste j'vais l'garder caché
Vérité fait mal
 » (ici le reste signifie son argent mais aussi ses sentiments)
La question qu'on se pose maintenant : ne serait-ce pas l'argent qui a rendu Laylow aussi triste et qui l'a poussé à essayer un logiciel de simulation d'émotions ? Le couplet d'Alpha Wann tourne également autour de cette entité, en plus d'avoir une technique excellente comme d'habitude chez le rappeur :
« Je sais quoi faire de mon pèze, je suis fier de mon verbe mais faudrait que mes bêtes de sons pètent
Faudrait pas que mon fils paye les dettes de son père, j'dois assurer en tant qu'chef de mon fief
 » (assonance en « é », le son est répété 15 fois...Alpha surfe surfe sur ce rap comme sur tes jambes lol)
Bref, tout ce qu'on retient de ce son : « Mieux vaut pas regarder » qui a alors plusieurs : ne pas regarder la richesse des autres, ne pas regarder les mendiants, ne pas regarder les sentiments de Laylow, bref faut pas regarder, la vérité blesse. L'intro du prochain son, Akanizer, indique que Trinity est de retour mais que la température est trop élevée donc le logiciel ne peut fonctionner encore correctement. Akanizer est donc de l'égotrip, un son où Laylow est trop chaud :
« Énervé comme jamais, j'arrive en Y, si y'a hej', j'improvise »
« Si tu veux mon avis, j'ai un flow unique, j'veux la vie assortie »
« J'l'ai fait tellement brutalement, qu'le médecin m'a donné des calmants »
Fallait s'y attendre, à force d'être trop énervé, Laylow a fait crash le système, c'est un retour à l'état initial, c'est-à-dire la mélancolie, la tristesse, les regrets. Burning Man est donc un son dans lequel on retrouve Laylow qui expose ses problèmes, en compagnie de Lomepal, là encore, excellent choix puisque ce rappeur se distingue dans les sons introspectifs. Laylow expose donc les problèmes que sa rage entraîne :
« Je crée puis je casse tout, c'est merveilleux
J’me détruis un peu chaque jour, c'est ma vie
Tu n'verras que la flamme qui brûle dans mes yeux
J’me détruis un peu chaque jour, c'est merveilleux
 » (Laylow a crée Trinity puis l'a fait crash, il a crée une relation avec Trinity qu'il a détruite puisque trop énervé, et tout ça l'affecte beaucoup et le détruit à son tour)
En fait le premier couplet tourne vraiment autour de ça, la rage (traduite par les flammes et son champ lexical) et la tristesse :
« J'vais pas t'faire de grands sourires, comment t'dire qu'y'a rien de fun, j'ai posé tout l'summer
Toute une life, j'ai cherché les sommes, calcule pas quand j'suis dans mon seum
Inquiète toi plutôt quand j'dis qu'ça va
J'ai l'cœur un peu malade, je brûle mais tout est sous contrôle
 » (ce passage est vraiment superbe)
Le pré-refrain de Lomepal indique qu'il n'y a pas de pansement pour apaiser son crâne, puis vient son couplet qui évoque les mêmes choses que dans le couplet de Laylow :
«Plein de rage, plein de vengeance ouais, j'me nourris du mal qu'on me souhaite »
« 2018, j'ai toujours pas trouvé la bonne, j'me console chez des pestes
Et bizarrement, j'leur fais l'amour comme des reines alors que j'les déteste
 » (on en revient à l'amour, chose qui manquait dans le couplet de Laylow)
Et boum ! Retournement de situation, pour se refroidir et se calmer un peu, Laylow se submerge (Il était une fois dans l'eau, utilisateur submergé, bruit d'eau) et suite à ça, Trinity lui avoue qu'elle s'est attachée à lui...au final, comme nous, un peu, on a appris à connaître Laylow, on a peu d'empathie face à ce personnage triste et on a envie de voir comment il va réussir à s'en sortir. Premier effet secondaire de cet apaisement : Laylow souhaite une longue vie à tout le monde. Ce son, c'est sûrement celui que je préfère, c'est un son dans lequel Laylow va dénoncer plein de comportements humains :
« C'est ça la vie ? Une partie d'cartes où tout l'monde triche
Où tout l'monde rêve de tout rafler sans prendre le moindre risque, ok 
Ça fait pitié mais bon laisse tomber, j'vais faire comme si t'avais pas changé
 »
« Mais je céderai pas à des mecs en stard-co, qui veulent juste profiter d'notre vibe
Parce que tout est noir, dès qu'ils quittent la pièce
 »
« J'suis pas un animal mais, j'vois qu'ils veulent ma peau »
Malgré tout, on reste sur ce qui fait le fort de cet album, la mélancolie de l'artiste :
« J'ai toujours des couteaux dans l'estomac, j'apprends juste à mieux les digérer »
« Et j'me voile pas la ce-fa, j'sais qu'j'suis p't-être malade »
« Fuck la vie d'artiste, j'suis sûr de rien à part de partir un jour »
« Les sentiments diminuent, diminuent, diminuent mais j'en garde certains »
« Évidemment qu'j'ai l'même équipage depuis l'époque où y'avait même pas espoir
Maintenant, j'suis pote avec même des keu-mé qui auraient pas mis une pièce sur mon destin
 »
Et c'est ça que j'aime dans ce morceau, ce mélange entre haine et mélancolie qui est habilement géré. Bref, Laylow commence à mieux gérer ces émotions et est prêt à quitter temporairement la simulation (qu'il avait pourtant retrouvé juste avant). Encore une fois, à peine avoir quitté la simulation, un mendiant (le même) l'interpelle et on découvre une évolution dans le comportement de Laylow, il accepte de donner du whisky au mendiant et en plus, d'écouter son histoire. Le morceau qui suit raconte donc comment ce mendiant a tout perdu d'une minute à l'autre. On assiste ainsi à un incroyable story-telling de la part de Laylow, je n'ai pas spécialement quelque chose à analyser pour ce morceau mais je l'apprécie beaucoup pour son originalité, que ce soit dans ce qu'il raconte ou dans l'utilisation de la voix des deux rappeurs (oui parce que c'est un feat). Et là, la plus grosse violence de l'album, le plus gros non-respect : alors que Laylow essaie de se reconnecter à Trinity (le logiciel et la femme), cette dernière le repousse et lui dit qu'il n'y a rien dans lui...coup dur pour Laylow. Par conséquent, lors des derniers morceaux de l'album, Laylow va exprimer toute sa tristesse liée à cette relation qu'il n'a su entretenir. Dans un premier temps (dans le morceau Poizon), il explique que l'amour a rendu aveugle la femme, qu'elle s'est attachée trop rapidement à lui malgré ses défauts :
« J'crois bien qu'elle en perd la raison, fruit d'la passion trop empoisonné
Elle veut d'moi dans son monde mais c'est d'jà mort, tout est cloisonné
 » (fruit de la passion=l'amour, empoisonné=les pêchés de Laylow, tout est cloisonné=tout ce qu'on a vu plus tôt en rapport à son manque d'émotions)
« J'pilote ma vie sans les mains, 220 km/h
Poser tes yeux sur les miens, ce fut ta première erreur
 »
« Parce qu'elle a goûté le poizon, elle veut plus rien d'autre
Elle veut plus rien voir, elle veut plus rien croire
 »
Et à la fin du 2ème couplet, c'est le début de la rupture :
« Me demande pas mon avis, tu sais bien qu'j'voulais pas en arriver là
J'voulais pas faire couler les larmes, j'me demande si j'suis bon qu'à faire le mal
Quelle est la couleur au fond de mon âme ? Shit
Et j'crois qu'elle est restée bloquée dans la matrice
 » (le dernier vers fait évidemment référence au fait que c'est juste une intelligence artificielle bloquée dans une matrice, alors que lui en est sorti)
Après avoir évoqué la passion, Laylow se concentre sur la tristesse et nous fait part de ses problèmes dans mon deuxième morceau préféré, Nakré. Les problèmes de Laylow sont nombreux :
« Et j'vois, des gens, autour, qui disent qu'ils m'aiment
J'suis pas sûr mais j'leur donne un sourire quand même
 » (les hypocrites qui l'entourent)
« Dans cette vie ou dans une autre, c'est trop la merde
J'ai d'l'ambition mais mes problèmes me ramènent
Sans cesse aux même vices, qui tournent en boucle dans tous les tieks
 » (alcool, drogue, etc...)
« Vision faussée par les euros qu'j'ai pas sur mon compte » (la misère)
Et on retrouve un Laylow qui se pose des questions sur sa place dans le monde :
« "Laylow, c'est net" mais si là, j'm'arrête, qu'est c'qui s'passe ?
Qui va parler d'moi ? Quel sera l'poids d'mon existence ?
Pourquoi j'taffe depuis tout c'temps ? Pourquoi j'y crois comme un gosse ?
 »
Le 2ème couplet et le refrain nous montrent qu'il est navré de ce qu'il a pu faire à Trinity :
« Y'a des choses qui sont sacrées
Y'a tes yeux qui sont nacrés
J'aimerais revenir en arrière
En fin d'compte je suis navré
 »
« C'est vrai, j'suis navré, pour toutes les fois où j't'ai fait du mal »
« Y a des erreurs à pas faire, y a toujours un avant, un après
Jamais j'ai dit qu'j'étais parfait moi
 »
Et finit par dire que même s'il n'est pas mort physiquement, son âme et son cœur eux le sont :
« On est tous morts depuis longtemps, t'fies pas aux dates sur les tombes
Triste vie, tout est obscur
 »
Dans l'outro, suite logique des événements, Trinity indique que la reconnexion est impossible, c'est définitivement fini entre elle et Laylow. Mais Laylow persévère, avoir le cœur une énième fois brisé le ruinerait pour toujours, alors il essaie tant bien que mal de réparer les pots cassés en allant voir son amour devant sa porte avec million d'flowerz. Pour accompagner son geste, il déballe tous ses regrets, lui dit que la vie sans elle est triste, que son cœur est troué au fusil d'assaut (je ne mets pas de citation puisque toute la musique tourne autour de ça). Mais malgré tous ses efforts, Trinity refuse de continuer la relation pour de bon. Et là, la révélation finale, Laylow se rend compte que tout ce qu'il vient de vivre n'était qu'une simulation. Avant de quitter et d'exterminer la simulation, Laylow nous délivre Logiciel Triste, un morceau qui résume parfaitement tout ce que Laylow nous a raconté le long des 21 morceaux précédents. C'est une personne qui est profondément triste :
« Tout l'monde a l'air d'être heureux, je suis grave triste »
« Et j'fais la gueule même dans les défilés d'mode »
« J'me sens super mal même quand tu m'dis qu'ça va cher-mar »
Il a l'impression d'être une machine qui n'a aucun but dans la vie à part tomber amoureux : « Des fois, j'ai l'impression d'être un logiciel / Programmé pour lui mentir et faire tomber sa ficelle » Mais échoue à chaque tentative en ayant de trop grandes ambitions : « J'veux bâtir un paradis sûrement bien trop artificiel ». Cet échec est marqué par le début du deuxième couplet :
"Y aura même pas de remise en question, n'attends pas mon appel
J'ai tellement fait d'erreurs, j'ai sûrement oublié laquelle
Laquelle t'as blessé, laquelle t'as laissé des cicatrices au cœur ?
Si tu savais à quel point je peux plus compter les miennes
On peut cacher des peines et faire comme si tout allait en tombant les 'teilles
 »
Puis extinction du logiciel et fin de l'album, Laylow n'a pas évolué, il est resté la même personne triste, qui ne sait pas pourquoi il est au monde. En conclusion, Trinity est un album qui est centré sur les émotions et les sentiments du rappeur, de sa vision du monde, un monde mauvais, qui n'est pas fait pour lui et il va surtout aborder la technologie et comment ça affecte son comportement et ses émotions. Quand je parlais de critique de société en abordant l'univers de l'artiste, c'est évidemment parce que je n'ai pas de mal à voir qu'à travers Laylow, c'est en fait tout le monde qui est décrit dans cet album. C'est donc un album profond, qui n'a pas été écrit à la pisse, qui raconte quelque chose, qui a un lien entre chaque morceau, bref, un excellent album qui va marquer cette année 2020 et peut être le début de la décennie, ça dépend comment évolue l'album dans la tête des gens.


Et voilà, j'ai enfin parlé de ce fabuleux album, le meilleur de cette première moitié de l'année qui m'a fait découvrir un artiste qui est très talentueux. Malheureusement à l'heure où j'écris ces lignes, l'album n'est pas encore disque d'or et ça me rend triste car c'est un album qui se démarque des autres et qui est maîtrisé sur tous les points. Je suis fier de l'avoir honoré le temps d'une critique et j'espère que ceux qui ne l'ont pas encore écouté iront le faire à la suite de la lecture. Ce qui est sûr, c'est que j'ai hâte de voir comment va évoluer la carrière de l'artiste et s'il continue sur sa lancée, il va faire son entrée dans mon top 15 rappeurs. 8/10 + <3

BestPanther
8
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le 16 mai 2020

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BestPanther

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