Le bitume avec une plume

C'est un homme blessé, meurtri, parfois en larmes qui se met à nous chanter ses peines, rapper son existence, mais sans avoir de regrets comme Lunatic...

L'album commence fort avec un sample de Booba sur le premier titre "On meurt bientôt". Une belle entrée entre kickage et rafales de lyrics, où il déballe ses vérités, ses croyances tout en mélangeant les flows, entre mélodie et rap brut.

À l'époque où "Imany" se faisait attendre, durant près de trois ans, on pensait qu'il faisait sans doute preuve de procrastination, qu'il y avait une certaine flemmardise. Mais bien au contraire, Dinos est un artiste qui soigne sa discographie, qui prend le temps de forger tout un projet pour lui donner de vraies couleurs et une véritable identité.

Dans Taciturne, il multiplie les références aux groupes et aux rappeurs qui l'ont inspiré, il donne un discours sur la street qui paraît authentique et surtout, j'ai beaucoup aimé une fois encore sa manière de parler d'amour. Dans Imany sur le titre "Placebo" il montrait déjà une certaine rancœur à l'encontre de lui-même. Cest un homme visiblement déçu car il n'a pas eu de chance avec cupidon. Il ne dit pas que c'est forcément la faute des autres, il dit même que l'amour n'est pas fait pour lui, que cette situation est peut-être de sa faute. "Toutes les femmes qui m'aiment finissent par me détester" dans le titre "Mack le Bizz Freestyle".

Avec ce nouvel album Dinos semble vouloir élargir davantage son public, c'était déjà le cas avec Imany mais il atteint ici un niveau de densité assez remarquable et il réussit dans tous les genres qu'il entreprend. Taciturne est sa thérapie musicale, toute l'ADN du rappeur se retrouve ici. Son sens de l’écriture qu'il aime peaufiner, sa maîtrise de la référence qu'il amène de manière naturelle et sans forcée, et son sens de la punchline qu’il manie avec intelligence, porté par une atmosphère poétique et des paroles mélancoliques.

Dinos est un rêveur qui agit, mais c'est aussi quelqu'un ayant une profonde vocation artistique. Dans le titre "N'Tiekar" par exemple il a recours fréquemment au chant et aux mélodies, son humeur triste parcourt le son du début jusqu'à la fin. "On connaît le bien, on connaît le mal, on a fait le mal et bien pire mais y'a que le ciel qui l'sait
On saura jamais ce que ça fait de fuir, on saura jamais ce que ça fait d'avoir des parents qui s'aiment
Que le bon Dieu me pardonne toutes les choses que je m'étais promis de ne jamais faire sur ma vie, je les ai faite"

Il y a quelques années Dinos ne maîtrisait ni grandement la forme, ni le fond. Il était encore Punchlinovic, un rappeur dans l'ombre aux belles idées mais qui devait se laisser le temps avant de proposer quelque chose de vraiment conséquent et pertinent, l'heure de Dinos n'était pas encore arrivée. Deux ou trois ans plus tard Dinos n'a toujours pas reçu de disque d'or mais il a reçu toute l'estime de ses auditeurs, pour sa grosse progression et sa palette de flows désormais abondante, gagnant en maturité et en assurance en tant qu'artiste.

Et d'ailleurs, on pourrait lui donner l'étiquette d'entertainer du rap game quand on voit un morceau comme "Wouuh", totalement déjanté, certains trouveront le délire assez débile ou abrutissant mais le rap c'est aussi des bangers, des mouvements et des gimmicks repris par toute la jeunesse. Auxquels s'ajoutent des danses et des visuels très marqués, et ça Dinos l'a plus ou moins compris, dans "Wouuh" il laisse exploser sa folie, entre des backs survoltés, des rires moqueurs et une voix grave sur les couplets.

Dinos, ou Jules pour les intimes, est un artiste singulier. Il exprime ses idées personnelles, sa tristesse ou sa détermination. Ses intentions ne sont ni bonnes, ni mauvaises, elles sont lui. Il est comme il est, mais il est aussi conscient que ça a pu lui porter préjudice par le passé. Quel que soit le thème abordé, son dégoût pour les injustices, les psychoses de la rue et les paradoxes entre ce qui est bien et ce qui est mal, le sentimental et le rapport précieux avec sa famille et ses frères de galère. On ressent tout cela notamment dans le morceau "Taciturne" en featuring avec Dosseh, sur une instrumental groovy et une guitare qui déchire leurs émois, qui se fait le miroir de leurs blessures. C'est très réussi à mon sens.

En conclusion, Taciturne se place comme un projet introspectif, abouti et à l'image de son auteur, sincère. Dinos nous fait sentir que c'est un rappeur sur lequel il va falloir compter dans les prochaines années, prenant toujours le temps d'expérimenter sa musicalité et son univers, et ça on aurait du mal à lui reprocher. Il rappe, il chante, il crie tout ce qu'il a au fond du cœur, un peu comme un exutoire. Son cerveau étriqué par le désespoir montre un homme déséquilibré mais courageux et sa maîtrise du rap lui assure ma sympathie, la production est de haute qualité, les beats sont variés et sa maîtrise du refrain est une des nombreuses qualités de l'album.