Technique
7.1
Technique

Album de New Order (1989)

Pilules, Frayeurs et Maux de Ventres [New Order 1988-1990]


Un album composé sous le signe de l'amusement...



Janvier 1989.
Nous sommes à Manchester, Angleterre. C'est l'heure de l'explosion rave et acid house, et la célèbre ville connue pour son passé industriel se retrouve placée sur la carte mondiale de la musique grâce à sa scène locale foisonnante et sa passion pour un nouveau genre de musique électronique : la house. C'est sur ces pulsations rythmiques lascives mais précises entrecoupées de piano et de synthétiseur "acide" que la ville toute entière a dansé tout l'été 1988 dans des clubs désormais légendaires comme l'Haçienda, Konspiracy ou le Thunderdome.


A cette période de l'année 88, New Order ne va pas tarder à entrer en studio pour enregistrer un nouvel album. Parmi les deux studios sélectionné : d'abord Real World, le studio ultra-perfectionné de Peter Gabriel situé à Bath aux Pays de Galles; ensuite Mediteranneo, petit studio situé sur l'île de Ibiza. Pour convaincre ses collègues musiciens et techniciens d'aller à Ibiza, Peter Hook, le bassiste, leur balance cet argument imparable :



"On emmerde le studio de Peter Gabriel, il n'a pas de piscine, non ?"



Le studio Mediteranneo, qui est rudimentaire, certes, mais qui à l'avantage indéniable de posséder une piscine et une vue de rêve sur la mer Méditerranée (d'où son nom) est donc réservé tout l'été pour permettre au groupe d'enregistrer leur futur cinquième album. Sur le papier, l'idée est "géniale" et le grand gourou du label Factory (sur lequel New Order est signé), Tony Wilson, accepte. Lorsque le groupe reviens à Manchester à la fin de l'été, ils ne ramènent avec eux que deux morceaux et une douzaine de pistes de batteries. Que dire, sinon que l'heure était visiblement plus aux vacances, aux découvertes (premier contact avec l'ecstacy et la house) et à la déconnade qu'au travail ? Que Stephen Morris, batteur, a toujours été le plus assidu du groupe ? Les deux morceaux se nomment "Fine Time" et "Run". Si le premier est clairement électronique avec une orientation acid-house, le second est beaucoup plus orientée pop-rock, guitares acoustiques et tout le toutim. Au final, le groupe part enregistrer la suite et la fin de l'album a Bath dans le studio Real World.


Une fois les sessions enregistrées et l'album mixé, l'entourage du groupe a organisé une gigantesque rave party à Bath, en important de Manchester par cars entiers soundsystem de l'Haçienda, raveurs en grand nombre et pilules d'ecstasy en tout genres. Tout ce joyeux petit monde a fini par attirer les autochtones, qui hallucinés, découvrirent un tout nouveau mode de vie : celui de l'acid-house et de la rave party qui bientôt sera connu de tous au Royaume-Uni...


Rapidement nommé Technique après délibérations du groupe et son entourage, le disque fut le premier album de New Order à connaitre une vraie campagne de promotion digne de ce nom. Tony Wilson et Rob Gretton (manageur du groupe) ne faisant pas les choses a moitié, le programme était le suivant : trois spots publicitaires TV différents d'une longueur de 30 secondes chacun diffusés sur la BBC à des heures de grande écoute; une vingtaine de panneaux en bordure des routes loués sur des points stratégiques dans tous le pays; des interviews du groupe multipliées plus fréquentes que d'habitude et un grand nombre d'affiches publicitaires, certaines recouvrant d'ailleurs complètement une partie de la façade de l'Haçienda.



Technique, dernier chef d’œuvre de New Order ?



L'album sort en janvier 1989 et se retrouve d'emblée en première place des classements musicaux, du jamais vu pour New Order. La campagne promo ainsi que la sortie du premier single, "Fine Time" en décembre 88, avaient bien préparés le terrain. Saisissant au vol l’intérêt du public pour la house music, New Order parvient donc à se hisser en haut des charts avec un album fusionnant les plus belles envolées acoustiques dans des rythmes électroniques syncopés. C'est d'ailleurs ce qui fait pleinement la particularité de ce disque, mais également du groupe en général. Depuis Power, Corruption And Lies (sorti en 1983), le quatuor s'attelle à mêler parties électroniques et rock pour au final sortir des perles pop comme "Age Of Consent", "The Perfect Kiss" ou "True Faith". Brotherhood, le dernier album du groupe en date, sorti trois ans plus tôt, avait continué cette veine de manière encore plus jusqu'au-boutiste : la face A était dédiée au côté rock, la face B au côté électro. Sur Technique, le contraste est toujours aussi marqué, mais de manière moins dichotomique. Les morceaux rocks et électroniques se suivent et ne se ressemblent pas.


L'album s'ouvre sur "Fine Time", morceau électronique clairement orienté house qui a fait les beaux jours de l'Haçienda. La légende raconte que ce morceau fut composé par Bernard Sumner (chanteur et guitariste) lorsqu'il se rua au studio après avoir entendu un titre house baléarique a l'Amnesia, célèbre club d'Ibiza, afin de tenter d'imiter ce son si caractéristique. Peu après, une fois l'enregistrement du morceau terminé, Barney y ajouta sa voix, qui devait contenir une structure axée sur des couplets. Toutes ces parties vocales furent effacées par erreur suite à une fausse manip de leur ingé son, Mike Johnson. Le texte de la chanson ayant été perdu, le groupe décida de combler le vide du morceau en y ajoutant divers samples et effets, allant d'une imitation de Barry White jusqu'aux bruits de chèvres...


Dans la plus pure veine contradictoire de New Order, le morceau suivant, "All The Way", ne contient quasiment pas de synthétiseur (une petite nappe de fond) et démontre tout le potentiel lyrique du groupe avec une guitare acoustique. De nombreux détracteurs du quatuor mancunien verront dans ce morceau une vulgaire repompe de "Just Like Heaven" des Cure, et il faut dire que la ressemblance est frappante. Si l'on en croit Peter Hook, ce morceau était une "revanche", après que le groupe de Robert Smith se soie "inspiré fortement" de "Dreams Never End" pour leur morceau "Inbetween Days" en 1985... Comme le dit si bien l'adage : "un donné pour un rendu"...


L'album se poursuit dans la veine "acoustique", voire même presque country, avec "Love Less". Il y'a là un petit hommage glissé discrètement à la réalisatrice Katheryn Bigelow (qui avait réalisé le clip de "Touched By The Hand Of God") en donnant le titre de son film éponyme au morceau.


Retour aux affaires électroniques avec le très pop "Round & Round", dans lequel Bernard Sumner chante son mariage en perdition sur un rythme house. Le morceau connaitra une vague de remixes, allant de ceux assez conventionnels du producteur Stephen Hague (qui avait produit leur single "True Faith") vers ceux orientés dub et house, signés Steve "Silk" Hurley, célèbre producteur de house de Chicago.


Le titre suivant, "Guilty Parter", marque la fin de la première face sur une fusion parfaite entre rock et électronique. La basse de Peter Hook atteint des sommets, pendant que la guitare de Sumner et les claviers de Gillian Gilbert glissent en douceur et lui servent à la fois de support et de contrepoint mélodiques.


La face B s'ouvre avec l'autre piste enregistrée a Ibiza, la très estivale "Run", autre single de l'album. Mettant en avant les guitares acoustiques, le morceau a valu au groupe un procès de la part de John Denver, un chanteur de folk, pour le break instrumental évoquant d'un peu trop prés celui de "Leaving On A Jet Plane". Mélodiquement parfaite, cette piste reste un sommet du groupe et de l'album, sa position centrale renforce ce fait.


La suite et la fin de l'album est plutôt orientée électro, avec tout d'abord l'entêtant "Mr.Disco". Portant assez bien son nom, la piste évoque cette fois le pire de l'euro-disco produit à la même période. Les choix de presets synthétiques et des percussions, provenant toutes de matériel estampillé Yamaha, y sont aussi peut-être pour quelque chose. Dans tous les cas, c'est certainement avec "Fine Time" le morceau qui a le plus mal vieilli sur le disque. C'est bien dommage, car mélodiquement et lyriquement, le morceau est un sommet porté par la voix parfaitement maitrisée (chose rare !) de Bernard Sumner.


Les deux derniers morceaux sont certainement les meilleurs du disque. "Vanishing Point" d'abord, avec sa production aux accents techno empruntant parfois à Kraftwerk (quelques "zapps" et "bipps" qui évoquent Computer World) et mélodiquement toujours aussi parfait, sans parler du chant et du texte de Barney (traduction littérale) : "ma vie se résume aux vacances / j'ai atteint le point de non-retour". Le morceau est basé sur une démo instrumentale composée par le couple Gilbert/Morris destinée à la base comme indicatif musical d'une émission télé pour la BBC. Le groupe a également composé d'autres génériques instrumentaux pour la télé, ce qui leur vaudra d'être repéré l'année suivante pour composer "World In Motion", j'y reviens un peu plus bas...


Quand à "Dream Attack", c'est personnellement mon morceau "ultime" de New Order. C'est la fusion parfaite entre rock (quels riffs ! quelle envolée de basse ! quel solo final de guitare !) et électronique (quelle séquence de basse ! quelle magnifiques nappes de synthés lumineux !). Tout y est parfait et conclue l'album dans la joie et l'allégresse.


Technique nous évoque clairement une ambiance estivale, qui transpire le soleil et les vacances. C'est selon moi l'album le plus maitrisé au point de vue des mélodies, mais aussi des vocalises et des textes de Bernard Sumner, qu'on a parfois connues vacillantes. Sur ce disque, il se surpasse et atteint un sommet qu'il ne semble pas avoir retrouvé depuis. Peter Hook, bien que parfois discret sur certains morceaux, semble lui aussi poser de magistrales lignes de basses ici et là. Seul point négatif de ce disque; la production, un rien trop typée "late 80's". J'ignore si Stephen et Gillian se rendaient compte de ce qu'ils faisaient en échangeant tout leur matériel "difficile" tel que les synthés Voyetra ou Prophet 5 contre du 100% Yamaha, mais si en effet ce matériel nouveau était bien plus pratique à utiliser, c'était au détriment de la qualité de production qui en a légèrement souffert. Certaines compos "fruit de leur époque" (cf "Fine Time" et "Mr.Disco") ont bien du mal à tenir l'épreuve du temps aujourd'hui. Cela étant dit, Technique reste selon moi le dernier chef d’œuvre de la discographie de New Order.



Tournée en dilettante et addendum sportif



A partir de février 1989, le groupe part pour le "Technique Tour", d'abord pour quelques dates européennes (dont un passage remarqué à Montpellier et Lyon, faute de concert à Paris, annulé au dernier moment) avant de s'embarquer pour la plus grosse tournée Nord-Américaine que le groupe n'avait jamais faite auparavant. Répartie sur une trentaine de dates sur toutes les villes majeures de l'Amérique du Nord (de Puerto Rico) jusque Toronto, la tournée fut effectivement gigantesque. La qualité des lives avaient également bénéficié du changement de matériel; il étaient désormais plus longs (une heure au minimum) et plus maitrisés (moins d'erreurs). Aujourd'hui, cette tournée reste mythique. Il faut aussi dire qu'a partir du mois de juin, le concert fut augmentée d'une (double) première partie, New Order s'étant "offert" les groupes Sugarcubes (Bjork avant sa carrière solo) et Public Image Ltd (le deuxième groupe de Johnny Rotten des Sex Pistols) qui donnait chacun un petit concert avant celui du quatuor mancunien, rien que ça ! Cette partie de la tournée fut intitulée "Monsters Of Alternative Rock", et très franchement, ça donne envie ! New Order, surfant à la fois sur le succès de la compilation Substance sortie en 1987 et de Technique, commence donc à remplir des stades entiers. Si ça fait plaisir à Peter Hook, avide de concerts en tout genre et du contact direct avec son public, ça commence à fatiguer Bernard Sumner, alors en proie à des soucis de mariage, d'alcool et de dépression. Très vite, l'ambiance est délétère et le groupe se force presque à finir la tournée. Le point (ou plutôt l'anti-point) culminant reste l'annulation du concert de Détroit début juillet 89 suite à un ulcère de l'estomac de Sumner, soigné en urgence. Une fois la tournée terminée, fin juillet, le groupe rentre chez lui à Manchester et s'accorde tout de même pour jouer un dernier concert au festival de Reading en septembre. Suite à ça, les membres se séparent officieusement une première fois pour vaquer à leurs projets solos : Electronic pour Sumner, Revenge pour Hook, et The Other Two (les deux autres) pour.. les deux autres, Gillian Gilbert et Stephen Morris.


Quelques mois plus tard, au début de l'année 1990, le groupe est repéré par la Fédération Britannique de Football lorsque l'organisation se rends compte qu'ils sont les auteurs de l'indicatif musical de "Best & Marsh", une émission TV centrée sur le football. New Order est donc vite engagé pour écrire et composer l'hymne de la Coupe du Monde de Foot 90. Le groupe se reforme bon-gré mal-gré sous le nom "England New Order", recycle un thème instrumental composé pour une émission télé, font appel à Stephen Hague pour la production, à Keith Allen (comédien stand-up anglais, ami du groupe et papa de la chanteuse Lilly Allen) pour aider Sumner à écrire les paroles ainsi qu'a l'équipe de football de Grande-Bretagne au complet pour tourner le clip. Le single, nommé "World In Motion", devient numéro 1 dans les charts un peu partout dans le monde cet été là, et dans le plus pur esprit de contradiction célèbre au groupe, New Order se sépare officiellement pour la première fois.


"You gotta love Technique", indeed.

Blank_Frank
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le 2 mars 2018

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Blank_Frank

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