Même si le premier album de la jeune Australienne Courtney Barnett avait été bien accueilli par la critique et avait reçu une certaine reconnaissance commerciale, il n'était pas facile d'ignorer les voix qui s'élevaient çà et là pour déplorer que l'attitude "slacker" de la demoiselle dépouille ses chansons de leur intensité et réduise son rock à un simple accompagnement de textes autobiographiques bien troussés. La légèreté frôlant l'inconsistance de son duo aimable avec Kurt Vile n'était d'ailleurs guère rassurant. Il suffisait néanmoins d'avoir vu Courtney se débattre sur scène avec l'héritage du grunge pour suspecter plus de profondeur (plus de souffrance ?) derrière l'efficacité détendue de sa musique...


"Tell Me How You Really Feel" est bien heureusement le second album qu'il fallait pour nous rassurer. Dès sa magnifique intro, le sombre et puissant "Hopefulessness" (joli titre absurde qui pose bien le décor doux-amer), il se passe quelque chose d'inédit chez Courtney : la guitare électrique gronde et tonne, les nuages noirs semblent s'être accumulés au dessus de nos têtes, on sent que le temps de faire les malins est passé. Ce n'est pas encore PJ Harvey (celle des débuts, écorchée et brutale), mais quand même... Et si tout l'album n'est malheureusement pas de ce niveau, et que quelques chansons retrouvent parfois ce sentiment délétère de distanciation frisant le "foutage de gueule" - qui plaira à certains, n'en doutons pas -, "Tell Me..." a globalement une consistance et une force inédites.


Et comme Courtney sait toujours habilement nous raconter son quotidien, mêlant franchise et auto-ironie de manière intelligente, qu'elle arrive à pondre ces petites mélodies toutes simples qui rendent ses chansons accrocheuses, et facilement mémorisables, voilà une jolie réussite qui impose Courtney comme une artiste avec laquelle il faudra désormais compter.


Suggérons-lui quand même - pour la prochaine fois - de laisser un peu plus parler la poudre : avec plus de titres sanglants et directs du genre de l'excellent "I'm not your Mother, I'm not your Bitch", la planète pourrait bien tomber amoureuse d’elle… ce qui est certainement la dernière chose dont Courtney a envie !


[Critique écrite en 2018]


Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Magazine : https://www.benzinemag.net/2018/05/20/courtney-barnett-passe-le-cap-du-second-album-sans-aucun-probleme/

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le 19 mai 2018

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Eric BBYoda

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