Avec cette adaptation du roman de Roald Dahl, Steven Spielberg se livre une nouvelle fois aux sentiments de l’enfance et au monde de l’imaginaire. Et qui d’autre que notre cher maestro pour conduire la BO, je vous le demande ! Comme toujours ou presque : John Williams rempile pour une 28ème collaboration, avec un résultat une fois de plus excellent.


Ce qui frappe, c’est qu’après presque 50 ans de carrière (son premier film date de 1958, quand même), il arrive encore à se renouveler qui plus-est dans un domaine qu’il affectionne et qu’il a déjà exploité à de nombreuses reprises (ET, Hook, les « Home Alone », Harry Potter, ...). Chacune d’entre elles possède son univers,et l’on se demandait si cette BO allait être au mieux une synthèse de ce qu’il a pu nous offrir jusqu’alors, ou au pire une redite dispensable, mais force est de constater que, heureusement, Williams a su procurer une fois encore une âme propre à la BO, qui même si elle évoque de temps à autres ses grandes sœurs, n’est en aucun cas une pâle copie.


On a ici un style qui se veut plus posé et « régulier », par opposition aux changements très rapides que l’on pouvait retrouver dans ET et Hook, et qui donnait une impression de développement totalement imprévisible de la musique.


Egalement une orchestration revisitée, avec des cuivres beaucoup plus ponctuels : les trompettes sont souvent en sourdine, et moins proéminentes, la seule utilisation importante qui en est faite correspond au thème du Cauchemar (« Sophie’s Nightmare »), mais surtout on remarque un couple cordes-bois très fort ! Williams a cherché à donner l’impression d’un orchestre plus réduit, par opposition aux flamboyants Hook et Harry Potter qui mobilisait assez souvent tout un orchestre symphonique d’un seul coup ^^ Ici, on va solliciter beaucoup moins d’instruments à la fois pour favoriser les solos (beaucoup de solos de flûtes dans cette BO, il y en avait pas mal dans Hook aussi, mais ici encore plus), et surtout permettre un développement plus intimiste.


Une nouvelle définition de la féérie selon Williams, beaucoup plus douce et légère (une musique presque aérienne), avec des relais entre les cordes et les bois, qui permet de varier entre des passages très calmes et tendres et des envolées lyriques presque dansantes.


Et surtout, quasiment aucune ambiance froide ou tendue (sauf quand on découvre le BGG au tout début, bien sûr) à l’instar d’ET ou Harry Potter qui allait quand même chercher à de nombreux moments à procurer la peur, le doute ou du suspense par la tension. C’est une musique très lyrique et poétique, qui donne l’impression d’un voyage sur toute sa durée, et ça correspond pleinement aux choix de Spielberg.


Il a choisi, par rapport au matériau de base, un ton enfantin, et donc un film qui s’adresse pleinement aux enfants, avec par contre, un double propos qui est à la fois enfantin et adulte. C’est pour ça qu’il ne faut pas confondre « ton » et « propos », qui fait qu’un film destiné aux enfants, donc au ton enfantin, comporte un propos souvent plus adulte, pour donner de la richesse et de l’intérêt à l’œuvre, sans pour autant s’adresser aux adultes (on peut pas dire que le BGG s’adresse aux adultes ^^). C’est très important de savoir où l’on se situe car cela va conditionner tous les choix du compositeur en matière d’inspiration, de composition pure, mais aussi de synchronisation. Et pour parler du double niveau de lecture, on va devoir spoiler ^^


Le double niveau de lecture est introduit grâce à la dernière scène, où Sophie se réveille à Buckingham Palace, et qu’elle s’adresse au BGG en souvenir de son voyage avec lui. Mais ce qui nous est vraiment suggéré, c’est que tout ce que l’on a vu jusqu’à présent n’était qu’un rêve, qu’elle fait partie de la famille royale, et que le BGG est une figure imaginaire collective à laquelle elle s’adresse fictivement. Encore plus probable, tout ce que l’on a vu était un rêve sur mesure pour Sophie fabriqué par le BGG en personne, et qu’elle l’aurait rencontré via ce rêve !


Ça explique pas mal de choses tant filmiquement que musicalement, parce qu’avec un couple aussi fort que Spielberg et Williams, on peut être sûr que tous les moyens ont été mis en œuvre pour faire passer toutes ces idées sur le plan musical, qui prend une place très importante ici. Par exemple, dans la suite musicale « Sophie and the BFG », qu’on retrouve dans les crédits à la fin du film, il y a une petite séquence aux flûtes traversières qui ouvre et qui clôture la suite : quand on sait que dans ce film, les flûtes représentent le rêve (tous les magnifiques points de synchros ^^) ça veut tout dire !
L’une des thématiques récurrentes chez Spielberg, c’est celle d’une enfance abandonnée, qui est retranscrire dans la musique à travers une forme d’innocence mais aussi de fragilité, relative à celle du rêve.


C’est pourquoi la musique est souvent teintée d’une très légère mélancolie à peine perceptible, c’est retranscrit avec une grande finesse. C’est plus net dans la dernière scène (« Finale »), avec un piano et des violons plus intimistes, qui clôturent le film très calmement comme une comptine. On a plus l’impression de voyage, mais celle d’avoir voyagé : elle illustre, comme le réveil de Sophie, un passage à la réalité, et donc une enfance qui s’évade peu à peu.


Mais Spielberg introduit également une note d’espoir, il est toujours possible de retrouver cette enfance perdue même après les années, à travers les rêves : la métaphore de la fenêtre qui se poursuit tout du long, et surtout un film qui se clôture sur une image du BGG, et non de Sophie et sa réalité ! C’est ce qui explique pourquoi la musique n’est quasiment jamais froide, et que la très légère mélancolie d’un retour possible à la réalité (« Sophie’s Future », « Blowing Dreams ») est retranscrite avec une grande douceur dans la musique, parce qu’il s’agit précisément du message que le film cherche à transmettre : un passage à l’âge adulte obligé, qui n’interdit pas pour autant une évasion vers l’enfance à travers les rêves tout au long de sa vie. Ecoutez « Finale » plusieurs fois, derrière ses apparences très simples, vous verrez justement ce deuxième message se dévoiler au fil des écoutes !


Parce que tout est un rêve, il n’y a pas de danger ou de menace, d’où cette légèreté dans la musique pour accompagner Sophie et embellir son rêve. Quand dans le film, on ressent la peur ou le danger, ben la musique, elle, dira, ben non, non, ça va, y’a rien, t’inquiète, de toute façon, c’est un rêve, profite. Y’a qu’à voir la scène où tous les géants fouillent dans le labo (« Snorting and Sniffing »). Sauf une fois : la seule menace retranscrite musicalement de manière récurrente, la seule, c’est par rapport aux cauchemars, avec toute une séquence aux cordes et ce thème avec des trompettes en sourdine : la plus grande crainte de Sophie, en somme !


En fait c’est simple, la musique de ce film ressemble à un ballet.


Le film est lui-même très musical, très dansant (« Dream Country », « Frolic »). Beaucoup de scènes permettent à Williams de s’éclater avec des formes musicales qu’il n’avait pas forcément pu exploiter jusqu’alors (« Frolic » par exemple, qui permet de tourner en dérision une scène qui pourrait se montrer plus tendue).


On remarque également tout un jeu avec les différents bois. Par exemple, on commence avec une clarinette feutrée, propice aux ambiances nocturnes (par rapport à Sophie qui se balade dans l’Orphelinat), puis des bassons et contrebassons, plus graves, pour les géants (aspect un peu plus burlesque), puis des flûtes traversières et un piccolo qui font s’envoler la musique pour retranscrire les rêves eux-mêmes, et qui peuvent aussi être une personnification de l’innocence.


Il y a également tout un jeu thématique et motivique, qui est assez subtil pendant le film, par exemple, vous avez celui du Voyage (« To Giant Country »), et par exemple un autre petit thème lorsqu’on l’on se trouve à l’orphelinat (« The Witching Hour »), relatif à la solitude de l’enfance : à la fois une crainte pour Sophie, et une autre thématique récurrente chez Spielberg.


Tout est d’une grande fluidité, pas seulement dans le sens où il faut arriver à enchaîner les éléments avec cohérence (ce qu’impose le style très saccadé des BO d’Et ou Hook, où l’enjeu était de créer une ligne directrice), mais aussi pour créer une véritable sensation de voyage : on est presque en apesanteur à l’écoute de la BO.


Un truc marrant : j’ai commencé par écouter la BO sans rien faire d’autre, les pistes complètement dans le désordre, et au bout de ¾ d’heure, j’avais vraiment cette sensation de voyage, dans un nouveau monde musical, autre que ceux qu’il a pu nous proposer jusqu’alors : j’étais déjà pleinement satisfait, je me dis « c’est super le BGG, mais ... ah oui, c’est vrai, y’a un film, aussi !»


Rien que ça, c’est la démonstration du pouvoir N°1 des BO, c’est leur capacité à être belles et bonnes, et c’est une nouvelle fois le cas pour le BGG. Bonne parce qu’elle est un très bon soutien du film, qu’elle l’aide à accomplir ses objectifs, et belle, parce qu’elle arrive à être une œuvre musicale à part entière, qu’elle n’a pas besoin de son support pour exister. C’est une conception que Williams et Spielberg partagent depuis toujours, et y’a pas de secrets, c’est ce qui permet à Williams de toujours nous offrir un travail fin et original pour des films de Spielberg toujours soignés sur l’aspect musical, et qui en ressortent grandis. Une nouvelle BO à savourer sans modération !


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Voici le lien vers le "Boost" où j'en parle : https://www.youtube.com/watch?v=es2cdn--y_A

Soundtrax
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le 3 août 2016

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