Quand on pense à Damon Albarn il est dur de ne pas imaginer plein de couleurs.
Que ce soit dans le britrock déluré de Blur (qui le verra même s'habiller en glace italienne pour un clip) ou la pop indéfinissable de Gorillaz, l'imaginaire allié à ses projets passe autant par tout les états d'âme que les différentes fréquences de l'arc-en-ciel. Alors quoi, notre londonien préféré couverait-il un début de dépression avec toute ces vidéos et ces images en noir et blanc ?


Qu'on ne s'inquiète pas, dans le carré central du Arte Concert Festival le 5 novembre dernier, le maintenant cinquantenaire (sic) n'a rien perdu de sa superbe, de sa fougue et de son humour so british. Alors oui la setlist prévue pour la Gaîté Lyrique s'adapte au ton doux amer de son nouvel album, avec du El Manana par-ci et du This is a Low par-là, les lunettes noires sont toujours de sortie et on ne saute pas partout mais ce nouveau projet "solo" n'a rien d'ennuyant. Solo, le terme pourrait presque finir par agacer le principal concerné qui laisse aux bons soins des journalistes un terme avant tout là pour vendre mais certainement pas pour faire honneur à l'orchestre l'accompagnant. Car s'il fallait trouver un leitmotiv à The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, une nouvelle folie pour l'homme qui a déjà tout tenté en 30 ans de carrière ce serait ça : un hommage orchestral à l’Islande.


Du moins orchestral dans l'esprit car dès The Cormorant on retrouve la vibe art pop très downtempo d'Everyday Robots son premier et si spécial album solo dans une discographie jusqu'alors assez survitaminée. En ça TNtF,MPtSF garde cet aspect désenchanté, un spleen mise en exergue merveilleusement bien par la voix lancinante d'Albarn qui résonne comme une complainte aussi bien quand il entame le titre éponyme sur "You have gone" que quand il évoque le carrousel de sa vie dans Darkness to Light.
Et pourtant tout n'est pas désespéré en 2021 à en croire les paroles, car The Nearer the Fountain se veut non seulement comme un état du monde depuis la cassure du premier confinement (époque à laquelle Damon Albarn était déjà en Islande) mais aussi un message d'espoir où, si l'Homme saura garder ses sentiments, alors un avenir plus chaleureux que les terres glacés de Reykjavik est possible.


De fait, les chansons ne sont pas tant tristes qu'amères, c'est une nuance très difficile à cerner mais si le premier réflexe à l'écoute de l'album ne sera pas de se lever de sa chaise et de se mettre à danser partout, on appréciera la quiétude des 11 morceaux qui ont aussi fonction à nous faire voyager ailleurs (un peu comme n'importe quelle musique me direz-vous). Voyager en Islande ? Il serait plutôt question d'une terre propre à son créateur, une Île des Morts fictive dont un morceau comme Esja pourrait être la bande son de l'accostage. L'un des 3 morceaux instrumentaux (soit donc prêt d'un tiers de la production) qui finit d'ajouter au climat de brouillard de l'ensemble. Mais si Giraffe Trumpet Sea (aucun lien avec le Mr Tembo de Everyday Robots qui s'amusait d'un éléphanteau fort sympathique) se veut relativement calme aussi, Combustion fait figure d'outsider de More Pure the Stream Flows. Le ton général du morceau, son introduction terrifiante et les cuivres complètement dingues le sortent totalement de l'écoute, un peu à la manière d'un On Mainau Island (encore une île) sur l'album Gallipoli des américains de Beirut qui dénotait aussi avec une relative sagesse ambiante.


Le projet de Damon Albarn est résolument métamorphe et ce serait le contraindre que de le réduire à une simple vision symphonique des beaux panoramas islandais. Polaris qui conclue presque l'album vient même nous rappeler aux meilleures heures du groupe virtuel période Plastic Beach. Au fil des réécritures et des allers retours en Europe, on sent l'homme inspiré, encore une fois incapable de se limiter à un seul style même au sein d'un unique disque. Sans perdre en cohérence, il navigue entre les très charmantes instrumentations (souvent un piano classique, parfois des synthés rétro), les vitesses et les envies. On pourra toujours caricaturer que les albums solo de Damon Albarn restent sa bulle de création tendre/triste et ce ne serait pas forcément faux. Mais après tout où est le mal ? Comme le faisait remarquer des memes sur le net, même les plus vitalisants morceaux de Gorillaz contrastaient avec le contenu sombre des paroles.


The Nearer the Fountain constitue alors le meilleur rapprochement entre le texte et la musique, une écriture à fleur de peau, une maturité muée en poésie à l'image du morceau d'ouverture inspiré du poème du même nom de John Clare. Une fontaine (de jouvence ?) qu'on retrouve d'ailleurs sur le morceau de conclusion Particles et qui conclue ainsi donc la boucle. Après avoir donc escaladé la tour de Montevideo et atteint l'étoile polaire, voici donc l'un des dieux modernes de la pop en orbite dans notre galaxie perdu dans un cosmos sans fond. Pourvu qu'il garde toujours un œil sur nous et nous envoie ses meilleures compositions, on l'autorise bien à aller où il le désire.

Kaptain-Kharma
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le 11 nov. 2021

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