Les Forgerons. Quel drôle de nom pour un groupe. Quel drôle de nom de famille, car il est très répandu au Royaume Uni et fatalement aux USA. En même temps, l'on affublait aux hommes et femmes un nom de famille en rapport avec leur métier. Il y a longtemps, très longtemps. En France c'est significatif également. Bref, j'ai rien trouvé de mieux comme introduction qui sorte des sentiers battus cette fois-ci.


The Smiths sont anglais. Manchester plus précisément. Le grand nord de l'Angleterre. Ville qui a connu, excusez du peu, Joy Division, New Order, The Verve, Oasis, The Fall, The Hollies, Herman's Hermits. Pays qui est selon moi - je le rappelle - le N°1 toute compétition confondue en matière de zik. A la vie, à l'amour. Mémoire rafraichie, je peux continuer mon laïus.

The Queen Is Dead est un chef d’œuvre. Chez The Smiths, ça en deviendrait presque énervant tellement ils sont forts. Ce sont les Messi de la composition, impossible de leur prendre la balle. Pas un pet de travers, toujours là où il faut quand il faut. Morrissey en tête d'affiche. LA voix des Smiths, môsieur n'en avait pas assez alors il s'est dit 'pourquoi pas faire une carrière solo qui déchire tout ?' Yep, le sieur Steven Patrick Morrissey nous a pondu de bien beaux œufs dans les années 90. C'est d'autant plus honorable et classieux de passer après une telle verve et notoriété smithienne, et surtout de réussir ce pari somme toute osé.
Revenons sur scène avec ce TQID.
En 1986, le groupe est à l'apex de sa carrière. Fulgurance. Les tubes s'enchainent, la reconnaissance tape à la porte et tout le monde s'arrache ce groupe qui apparait chez certains, comme la continuité de Joy Division. J'entends par là dans la qualité de ses compositions/interprétations. Le tout dans un style beaucoup plus smoothy et une approche plus pop évidemment. Oui la continuité et un rapprochement quasiment inévitable dans la mesure où tous deux sont du même patelin. Étant donné la disparition de Ian Curtis (et par-là même celle de Joy Division), les Anglais trouvaient en The Smiths les petits frères de ces derniers. Un héritage ? Possible. Une volonté ? Encore plus probable. Toujours difficile de voir disparaitre des groupes extraordinaires, encore plus quand ils sont météoriques. Bingo ! The Smiths allaient être ceux-là. Les bookmakers ont parié sur le bon cheval, et on peut dire que celui-ci a rapporté gros. Il a surtout rapporté dans sa musette des chansons que l'Angleterre n'allait pas être prête d'oublier ("Frankly, Mr. Shankly", "Bigmouth Strikes Again", "There Is a Light That Never Goes Out"). A une époque où les English se morfondaient dans les bras de la Dame de Fer, ils pouvaient au moins s'échapper à travers la musique. Époque rude, époque de merde niveau politique. Tout est lié mes amis, tout est lié.
Quand un genre apparait dans une nation, ce n'est jamais dû au hasard de la composition de quelques effarés. C'est principalement dû aux conditions de vie générale, à l'atmosphère intrinsèque d'un pays, et/ou en parallèle à l'ambiance globale dans le monde (je ne vais pas m'étendre car je risque de digresser). Ainsi, quand The Smiths sortent leur album en juin 1986, on est en plein dans le dur. Exit la vague contestataire du punk, et entrée de celle du retour à la réalité. La dure réalité du terrain. L'heure de faire les comptes et d'établir les bilans. C'est un peu comme ça que je définirais le milieu des années 80; du moins en GB. En musique c'est le même constat. Des traces du punk, nous avons une jangle pop sous-couverte de résidus punk. Cela va de soi. On ne passe pas du coq à l'âne du jour au lendemain; y a des étapes à franchir. The Smiths EST dans cette fameuse étape de transition. Un "entre-deux" musical qui se ressent, qui est prégnant. La rage contenue, une expressivité mesurée, un malaise latent. En effet, quand on entend/écoute Morrissey, on se rend bien compte que c'est pas la franche rigolade. Des louches de désespoir habitent sa voix, des poignées de réminiscences hantent les guitares, et la basse veloutée se veut timide, chétive. Non absente mais peureuse pourrait-on dire. The Queen Is Dead est une ode d'amertume mariée à une autre de fatalité, sans que cela ne soit une résignation. (cf. There Is a Light That Never Goes Out)
Faire les comptes d'un passé négatif et moribond ne signifie en rien que l'on abdique. La lucidité ne tue pas les illusions, elle peut juste rendre meilleur le futur. Il suffit de le vouloir. C'est ce que semble nous faire passer comme message cet album. Une recette extraordinaire empreinte d'une lucidité effarante. En à peine 38 minutes et 10 titres, la nage se fait fluide. On traverse la Manche d'une seule traite pour aller poser ses bagages à Manchester. On EST à Manchester quand on EST avec cet album. Lequel est - selon moi - un des chefs d’œuvre du XXè siècle. A bien chercher, je n'ai pas trouvé pareille chose dans le monde de la musique (pourtant prolifique). Jamais je n'ai rencontré une telle magie (si, peut-être avec Forever Changes, mais c'est encore une autre époque). The Queen Is Dead est une pièce unique dans laquelle tout est magie, tout est magique. Pourtant ces types ont deux pieds, deux jambes, une tête, un buste. Enfin tout l'attirail qui nous ressemble, mais comme à toute chose, il existe des exceptions, des êtres doués de forces qui dépassent l'entendement, qui dépassent la normalité. Serait-ce donc ça le génie ? la transcendance ? le paranormal ?


Quand vous avez goûté à cet opus des Mancuniens, vous vous êtes définitivement fourré dans une sacrée galère. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre; toucher de l'oreille la magie du génie peut rendre fou.
Demandez ça à L.v. Beethoven...

lehibououzbek
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le 9 avr. 2016

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