There Is No Ennemy semble poursuivre la voie ouverte sur You In Reverse, avec un groupe de plus en plus apaisé faisant la part belle aux mélodies. On recense seulement quatre morceaux entraînants (Good Ol’ Boredom, Pat, Planting Seeds et le final Tomorrow), le reste pouvant être qualifié de ballades, mais des ballades composées par Built To Spill, autrement dit des chansons planantes, qui sont l’incarnation ultime de la beauté et de l’onirisme sidérant. Les grincheux trouveront sans doute le disque trop mou, trop tranquille, sans prise de risque, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles le groupe a fini par tomber dans une indifférence générale (encore plus générale que lors de sa période de succès d’estime à la fin des années 90).


Alors, certes, le groupe est désormais loin de ses compositions fascinantes à retourner le cerveau, mais il a évolué vers une autre approche, encore plus sensible, en conservant son intégrité et son atmosphère si inimitable. Les groupes qui n’ont plus grand-chose à raconter au bout de deux ou trois albums (et même d’un seul) sont tellement légion que je ne vois pas comment on peut être indifférent, et ne pas avoir encore plus de respect, envers Built To Spill quand on écoute There Is No Enemy et que l’on retrouve un groupe si inspiré, si riche et attachant, plus que jamais. L’atmosphère dégagée par cette musique est si particulière et émouvante.


C’est sans doute le disque le plus délicat et raffiné du groupe, il possède une sorte de force tranquille, une mélancolique touchante et sensible, pouvant se transformer en lyrisme éclaté, entouré d’une aura parfois fantomatique, impalpable, éthérée. Car après tout, Built To Spill reste Built To Spill et l’obscurité et l’intensité des émotions écorchées ne sont jamais loin, même dissimulées sous une mélodie en apparence innocente, à l’image de la pochette du disque, étrangement sublime, sans doute la plus belle de toute la discographie du groupe (enfin, ce n’est pas bien dur vu les pochettes des précédents disques).


Les guitares participent ainsi énormément à l’atmosphère des chansons et aux mélodies, les faisant évoluer en douceur, en esquissant des solos d’une beauté inouïe ou en remodelant l’espace sonore. Les parties de guitares ne s’entremêlent plus de manière inextricable comme par le passé, elles sont désormais assez nettement différenciées et plutôt posées, mais elles ont conservé leur force unique, touchante et incisive, qui passe le plus souvent par leurs envolées mélodiques transperçantes.


Le groupe compose ainsi des chansons sublimes, d’une puissance émotive insoupçonnée, à l’image de Aisle 13 et sa mélodie stratosphérique, du délicat Hindsight, de l’intense Oh Yeah, du cosmique Done (le décalage de ton amenant la seconde partie est génial), du déchirant et déprimant Things Fall Apart, ou du final Tomorrow qui n’en finit plus de s’élever vers les cimes de la musique orgamisque et bruitiste, où la furie côtoie les émotions fissurées. Tous les morceaux sont bons (quoique je tique un peu sur Pat, un brulôt qui tranche trop avec l’ambiance générale), mais ceux là sont particulièrement marquants.


L’édition européenne rajoute en bonus le single Waters Sleepers qui ne dépareille pas avec le reste du disque, c’est même dommage qu’il n’ait pas été inclu dans l’édition américaine (que je possède) car ce titre est du genre à te remuer les tripes et les méninges en même temps, avec un solo de guitare qui donne presque envie de chialer.


Il se dégage de tout cela, de tout le disque, une cohérence, une ambiance saisissantes. There Is No Enemy est l’album le plus homogène du groupe depuis Keep It Like A Secret, et il l’est beaucoup plus que You In Reverse, ce qui le rend d’autant plus touchant et unique. Built To Spill a sans doute perdu de sa fougue mais le groupe semble néanmoins avoir atteint une nouvelle dimension, pas meilleure, pas plus grandiose ou méritante, juste une autre dimension, et c’est passionnant à suivre, à voir, à écouter, définitivement.

benton
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le 13 sept. 2016

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