Les inégalités raciales, parmi d’autres (hommes/femmes par exemple), ont toujours été des problèmes environnant notre société, que nous le voulions ou non. Cette impression s’est amplifiée ces dernières années aux États-Unis suite aux décès de Trayvon Martin et de Mike Brown. Sur le plan culturel, une polémique a vu le jour quant à l’appropriation par les blancs de la culture noire à travers le rap, Iggy Azalea étant la principale personne visée. Kendrick Lamar avait donné son point de vue sur quelques unes de ces questions lors de différentes interviews, notamment en déclarant : « avant de recevoir le respect des autres, nous devons apprendre à nous respecter entre nous (ndlr : entre noirs) ». Une remarque qui a créé une polémique sans nom. Azealia Banks avait d’ailleurs exprimé son dégoût face à ces propos du rappeur. Plutôt que de chercher à s’exprimer voire à s’excuser à travers une autre entrevue, K.Dot a opéré de la manière qu’il maîtrise le mieux : sa musique. Voilà le contexte dans lequel s’est fait l’élaboration de l’album To Pimp A Butterfly (cet intitulé pourrait-être traduit par : s’approprier le talent d’un artiste).


Afin de nous faire comprendre son point de vue sur ces questions rongeant la communauté noire et toute autre personne se sentant concernée par cela, Kendrick Lamar a décidé de tout lier à travers sa quête vers l’amour de sa propre personne.


D’un point de vue musical, il prend de court ses auditeurs grâce à des productions se classant beaucoup plus dans le jazz, la funk voire la néo-soul (même si Bilal dit le contraire) que purement hip hop. Donc pas de Swimming Pool ou de trap ici (pour ça, écoutez le dernier Big Sean). L’artiste opte plutôt pour un retour aux sources avec des samples de James Brown, des Isley Brothers (pour I), et consorts. Ce n’est pas pour autant que les instrumentales sont mauvaises, bien au contraire ! Nous avons droit à d’excellentes productions, voire même à des bangers à thème avec les titres Alright composé par Pharrell et Sounwave, Hood Politics et bien sûr The Blacker The Berry.


To Pimp A Butterfly commence par Wesley’s Theory dans lequel un sample de Boris Gardener est utilisé. Une intro explosive et quelque peu théâtrale grâce à un travail exceptionnel de Flying Lotus, Thundercat et George Clinton, qui ont composé une production funky tout en y apportant une touche moderne, et bien évidemment Kendrick qui joue de ses multiples personnalités dans le titre. La voix chantante et même la manière de rapper de K-Dot durant toute la chanson diffère de ce qu’il nous a habitué à faire jusqu’à présent. Une bonne manière pour lui d’imager que le succès est accompagné de ses risques (d’où la référence à Wesley Snipes qui a purgé une peine de prison à cause de ses impôts non payés).


Tout comme Good Kid Maad City, cet album est conceptuel. Les différentes histoires sont liées par un poème que Kendrick récite petit à petit à la fin de chaque titre. Une fois qu’il a fini de réciter quelques vers, une nouvelle chanson commence… et cela jusqu’à la fin de l’album où l’on se rend compte qu’il raconte son histoire à 2Pac ! Très sincèrement, ce dénouement et la conversation qu’ont les deux rappeurs dans Mortal Man m’a donné des frissons (oui je sais, je suis fragile).


To Pimp A Butterfly est divisé en deux parties. Dans la première, Kendrick fait face aux mauvaises tentations que lui apporte la célébrité, à de la haine envers lui-même et est emplit de remords tandis qu’il est loin de sa ville. Dans la seconde, il part en quête de réponses et découvre sa vrai valeur en tant qu’Afro-Américain.


Le titre où l’on ressent le plus intensément ses regrets est sans conteste U. Ce morceau est déchirant. La production commence par une instrumentale sombre et intense avant de changer pour une autre plus mélancolique. De plus, la prestation de Kendrick Lamar dans la seconde partie est incroyable : il prend le rôle d’un de ses amis dont le frère est mort. Son confrère est saoul, en larmes et en veut profondément à K.Dot de ne pas avoir été là pour le soutenir dans ses moments difficiles.


Complètement chamboulé par sa nouvelle vie, Kendrick Lamar décide à la fin du titre For Sale ? que la meilleure manière de trouver les réponses qui apaiseront sa peine est de retourner chez lui (je pense qu’il parle de l’Afrique, mais il pourrait très bien s’agir de sa ville ou d’une métaphore pour parler de Dieu). C’est là, à partir du titre Momma, que commence la seconde partie. En termes de production, cette chanson est l’une de mes préférées. Le beat soulful accompagné des chœurs en fond est tout simplement magnifique. J’irais même jusqu’à dire que ce morceau est apaisant grâce au flow beaucoup plus posé du rappeur. À ce moment de l’album, Kendrick Lamar se rend compte que tout ce qu’il croyait connaître, avoir appris était en réalité loin de la vérité, ce qui explique son mal-être dans la première partie de To Pimp A Butterfly :



« I know how people work I know the price of life, I’m knowin’ how
much it’s worth I know what I know and I know it well Not to ever
forget until I realized I didn’t know shit The day I came home » –
Momma



C’est à partir de là que le pèlerinage de Kendrick Lamar vers le respect et l’amour de sa propre personne débute vraiment. Mais ce n’est pas quelque chose d’instantané, c’est tout un processus. L’électrochoc se produit dans le morceau How Much A Dollar Cost ? où il se rend compte que son égoïsme l’a aveuglé au point de ne plus comprendre la peine qu’éprouvent ses frères. On ressent énormément de frustration et de colère dans la voix de K.Dot dans ce titre, jusqu’à la partie où Ronald Isley prend la parole et exprime de la meilleure manière les pensées du rappeur : des remords et la volonté de changer avec l’aide de Dieu. L’ambiance un peu triste et grave du morceau nous plonge parfaitement dans cet échange entre Kendrick et le SDF qui s’avérait en fait être Dieu.


Le processus continue et après quelques doutes révélés dans Complexion (où Rapsody a assuré d’ailleurs), il finit par comprendre sa valeur en tant que noir américain dans le morceau The blacker the berry dans lequel il dénonce les injustices faite à l’égard de sa communauté. Pour se faire entendre, le rappeur utilise un flow dynamique, criard afin de révéler la colère enfouie en lui pendant bien trop longtemps. Mais son évolution n’est pas finie pour autant, car même à ce niveau-là il se considère comme un hypocrite qui blâme le système pour des raisons viables mais qui accepte la mort de ses confrères lors des guerres de gangs.


Le but de sa quête est réellement atteint dans le morceau dans lequel il prône le respect et l’amour entre noirs plutôt que de se faire la guerre et de jouer les victimes lorsqu’ils sont pointés du doigt. Pour exprimer son idée, Kendrick a opté pour une version Live du titre dans son album. Autant dire que son idée est brillante ! En plus d’être meilleure que la version studio, cela rend le message de la chanson plus fort. Surtout à la fin lorsqu’il donne sa définition du mot « négro » initialement issu du mot éthiopien « negus »:



« N-E-G-U-S definition: royalty; King royalty – wait listen N-E-G-U-S
description: Black emperor, King, ruler » – I



En plus de nous proposer des instrumentales toutes plus exceptionnelles les unes que les autres, Kendrick Lamar réussit à toucher nos cœurs avec brio grâce à une narration soignée et un message fort sur un problème actuel. Mais là où K.Dot est vraiment impressionnant, c’est qu’il ne le fait pas en parlant de racisme tout au long du projet. Il la joue finement en liant tout à son expérience. Ayant adoré Good Kid m.A.A.d. City, je ne pensais pas qu’il serait capable de signer un autre chef d’œuvre (du moins pas aussi tôt). Je suis heureux que Kendrick Lamar n’ait pas cédé à la pression, il aurait très bien pu. Donc une nouvelle fois, merci pour ce bijou portant le nom de To Pimp A Butterfly.


Starvelous pour Hyconiq.com

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le 1 juil. 2016

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