Tomorrow Blue
7.6
Tomorrow Blue

Album de Toad (1972)

"Arrogance : Fierté qui se manifeste par une insolence méprisante."

A cette définition approximative pourraient être associés un certain nombre de personnalités du monde du rock telles l'odieux et parfois violent Axl Rose, le pompeux Keith Emerson, ou même les énervants frères ennemis Liam et Noel Gallagher. Vic Vergeat, guitariste de l'obscur et méconnu groupe suisse Toad, représente l'essence même du dédain, de l'impudence : en concert, il joue des solos interminables durant lesquels il apparaît hostile, à la fois envers les spectateurs et ses camarades de jeu Cosimo Lampis et Werner Frolitch. Cette égocentricité excentrique s'est retrouvée accentuée avec le départ du chanteur Benjamin Jäger après le premier album du groupe, ce qui l'incite à prendre sa place au chant en intermittence avec Frolitch. Toad devient alors un power trio, et le rêve du guitariste est atteint : adorateur absolu de Jimi Hendrix, il est maître en 1972 de sa propre "Experience" et sort Tomorrow Blue, toujours avec l'aide du talentueux ingénieur du son Martin Birch.

Si les talents techniques à la six-cordes dudit Vergeat restent aussi impressionnants que sur le premier opus, il est bien loin d'en être de même au chant. Les lignes vocales sont véritablement le plus gros point faible de Tomorrow Blue, et sa voix n'est pas singulière au point de faire oublier cette inconsistance. Une frustration pesante émane alors de la plupart des compositions : "Blind Chapman's Tale", saisissante de beauté grâce au violon très inspiré d'un soliste suisse de 16 ans, Helmut Lipsky, n'atteint cependant pas les sommets auxquels elle aspire à cause de ce chant intimiste mais insipide.

La lourdeur hard-rock si particulière à l'album éponyme se retrouve quant à elle estompée au profit d'une musique plus influencée par le blues et la funk, comme le témoigne l'immense "Thoughts". Avec un riff totalement accrocheur, une section rythmique sans pareille et des solos au groove à faire pâlir le Voodoo Child en personne, Toad parvient à faire oublier son manque de consistance vocal. L'aspect "pot-pourri" qui desservait tant le premier album devient ici une grande force : Tomorrow Blue abrite nombre de chefs d'œuvres de genres différents, parfois même opposés. Ainsi, le country et entraînant "Green Ham", qui bénéficie encore une fois de l'aide du violoniste (ce qui rappelle d'ailleurs les Dixie Dregs, Free Fall en particulier) se retrouve confrontée à la joyeuse et bluesy "Tomorrow Blue", dans laquelle Vic Vergeat est absolument magistral d'intensité. L'apocalyptico-psychédélique "Change In Time", à l'ambition progressiste indéniable (les douze minutes en témoignent), transporte par son côté délirant puis exalte au travers d'un final exceptionnel. Les autres compositions sont au-delà du sympathique, comme la heavy/folk "Vampires", bénéficiant des meilleures lignes de chant de l'album, ou l'incendiaire et frénétique "No Need".

Tomorrow Blue reste l'un des plus excitants manifestes hard/funk de l'époque avec les Red Album et Closer To Home de Grand Funk Railroad, mais le batteur Frolitch, lassé des extravagances de Vergeat, quitte la formation peu de temps après l'enregistrement du chef d'œuvre. Dès lors, Toad se perd dans une musique plus apaisée, plus "mainstream" et nettement moins intéressante.

A vous, maniaques de chanteurs lisses et irréprochables (et irrépro-chiants): passez votre chemin.

A vous, amateurs d'excès, de saturation, d'imperfection, en bref, de rock'n'roll : vous ne pouvez pas passer à côté de ce Tomorrow Blue.
BenoitBayl
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le 3 oct. 2013

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Benoit Baylé

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