Too
7.7
Too

Album de The Left Banke (1968)

Pas la peine de se raconter des histoires.
La musique peut être une expérience magnifique quand son auteur développe quelques mélodies en plusieurs mouvements, mis en forme par une équipe d'une centaine de techniciens aguerris. C'est très chouette aussi quand c'est un type qui gratte avec toute son âme une planche de bois mal dégrossie en poussant une complainte directement échappée des champs de cotons qu'il fuit comme la mort, à laquelle il aura préféré, pas fou le gonze, les promesses d'un diable goguenard. Les interminables expérimentations de cocaïnomanes divins soufflant dans leurs instruments comme s'ils pouvaient repousser l'inéducable fin à chaque inspiration ne manquent pas non plus de grands moments. Les déhanchés de rockeurs libidineux, les headbangings infernaux des graisseux assoiffés de théâtralité grand-guignolesque, les excès keupons estropiés, les esbroufes crooneuses, les chatoyances de buveurs de saoul, les fulgurances funky, les authentiques expressions world et les arguties rap ont toutes et tous leurs charmes, je n'en disconviens pas.


Mais, bordel, pourquoi tourner autour du pot, rien ne vaudra jamais une putain de mélodie pop torchée en 3 minutes, quatre idées et une ambiance sonore propre à arracher deux larmes au lézard mort de ta grande tante. Si t'es pas d'accord, y a deux solutions. Soit tu aimes te mentir et tu sais que tu finiras malheureux, vieux, seul, au fond d'un chambre sordide jonchée de reliefs inavouables, soit tu n'as pas encore connu cette révélation essentielle qui changera ta vie, et c'est une plutôt sacré bonne nouvelle: le meilleur est à venir.


Une fois qu'on s'est dit ça, le plus dur commence.
Faire le tour des demi-dieux de l'exercice est rapide (à viser, n'est-ce pas ? Pas à en faire le tour). Une fois les incontournables embrassés (ce qui peut prendre quelques années, tout de même) il faut passer à la phase découverte des perles rares, car elles sont nombreuses et presque toujours jouissives. Les trouver seul est l’œuvre d'une vie entièrement dévouée, totalement consacrée à cette tâche, et rares sont ces véritables croisés (souvent oisifs, en plus, les bougres. En général on a aussi autre chose à foutre).
Dans ces conditions, connaitre des chasseurs expérimentés (et fiable !) est une bénédiction.
Saint-John Poivrot d'Arvor en est un.
Pas de bol, connaitre de tels dégoteurs de pépites ne suffit pas toujours. Les meilleurs chasseurs gardent parfois leurs proies au secret.


Lorsqu'un ami se demandait, il y a peu, sur un (vulgaire) réseau social (non dédié à la culture, donc) si "nice to see you" n'était pas tout simplement le plus grand morceau pop jamais écrit, mon premier réflexe a d'abord été de rire bêtement. C'est un truc que je fais spontanément assez bien. Et puis je me suis souvenu du pédigrée de l'auteur de cette question, admirateur sans borne des années de la pop allant des années 50 à 2016, musicien émérite assez classieux, et meilleur joueur de blind-test de tous les temps, ce qui n'est pas rien dans une carrière de disquaire.., et du coup, merde, j'ai réfléchi.


Souvenons-nous.
The Left Blanke.
Pas d'histoire homériques pour alimenter la grande geste rock'n'rollienne. Des types relativement propres sur eux, au premier rang desquels Micheal Brown à la solide formation classique dont le papa, célèbre violoniste de studio gère un studio à New York.
Car oui, les oiseaux sont américains. Personne n'est parfait. Rassurons-nous, la pop n'est pas bégueule.
Les choses démarrent plutôt divinement bien avec deux premiers singles "Walk away Renee" et surtout "Pretty Ballerina" qui font mieux que faire remarquer le groupe. Un premier album plutôt impeccable sort, nous sommes en 1967. Personne ne sait encore que ce sera l'avant-dernier du groupe (si on oublie une réformation tardive de la formation dans les années 80, qu'il conviendra bien entendu de passer sous silence).


Parce que vois-tu, comme presque à chaque fois, la cohabitation de 5 types dans une embarcation aussi peu propice à supporter le gros temps que peut l'être un groupe de pop-rock, s'avère (bien trop rapidement) impossible. C'est une fatalité: il ne peut pas y avoir cinq batteurs dans une formation (aka des mecs cool qui ne se la prennent pas), ou alors ça s'appelle les tambours du Bronx et même ça, ça marche pas, parce qu'ils étaient bien plus que 5.


Bref, le coup classique: le leader, principal compositeur, au tour de tête plus large que les 7 octaves de son clavier, claque ce qui est le plus facile à claquer quand on a le melon, à savoir la porte, parce que la bise, tu vois, ça lui aurait bien fait mal au cul. Monsieur se veut l'égal de Brian Wilson, le con. Pas moins.
Et c'est avec les restes fumants d'un groupe qui a toutes les peines du monde a reproduire sur scène les léchés et savants arrangements du studio (ce qui les oblige souvent à faire appel à des musiciens ou des choristes de studio, dont certains deviendront célèbres, isn't it mr. Steven Tyler ?) qu'un deuxième album va être mis en boite. Croyez-le ou non, le résultat, peut-être dû à une meilleure cohésion du groupe, est au delà de tout ce qu'on pouvait espérer.


S'il y a bien une chose que je me refuse à faire, c'est de décliner les 11 morceaux qui composent un album. Je vais donc te laisser découvrir par toi-même les nombreux incontournables de ce Lp nécessaire à toute bonne collec (virtuelle ou non) de disques pop. Mais comme je ne suis pas non plus une complète crevure, je veux bien t'en indiquer deux ou trois, ici, pour que tu te dises que bon, appréciateur de ce texte ou non, va bien falloir que t'y aille.


Nice to see you (le -donc- meilleur morceau de pop de tous les temps ?)
Dark in the bark
Desiree


Cerise sur le minou, s'il te prenait l'envie de noter ce disque, le chat centenaire du Saint-John s'en trouverait grandement soulagé.
Il préfère mourir de sa belle mort, l'acariâtre.

guyness
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le 14 avr. 2016

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guyness

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