Avant de sortir son sixième album studio, Against Me! a connu quelques années mouvementées. Le groupe de Gainesville qui avait signé sur un label dépendant d'une grande maison de disque pour leurs 2 précédents albums ("New Wave" en 2007 et "White Crosses" en 2010), a irrité certains fans de la première heure qui ont vécu ce choix comme une trahison punk. Cela a toujours été le prix à payer pour les groupes ancrés dans cette culture musicale ou se revendiquant de la philosophie "DIY" et souhaitant se faire connaître auprès d'un plus large public ou tout simplement évoluer artistiquement (1).

Cette période propice à une meilleure valorisation du groupe, fut toutefois compliquée pour le quatuor anarcho-punk. Non seulement pour les batteurs avec pas moins de 3 départs dont celui de Warren Oakes qui après 8 ans de service, fut remercié en 2009 (Tom Gabel, chanteur et guitariste ainsi que son fidèle compagnon de route et second guitariste James Bowman considéraient qu'il n'avait plus la motivation nécessaire pour continuer l'aventure) mais aussi pour le groupe avec l'annulation en septembre 2010 de leur tournée en Australie et Nouvelle-Zélande pour "un cumul de circonstances" et "un besoin de repos"...

Cette instabilité de musiciens a perturbé l'enregistrement de l'album sur leur propre label dont le groupe avait annoncé qu'il était en préparation en novembre 2011 (il faudra finalement attendre plus de 18 mois pour l'enregistrement final de cet opus en repartant de zéro en début d'année 2013 !).

Cependant, c'est en 2012 qu'une nouvelle surprenante est apparue lorsque Tom Gabel a annoncé son désir de changer de sexe après avoir souffert de dysphorie du genre (2) depuis de nombreuses années, d'entamer sa transition et de se prénommer dorénavant Laura Jane Grace. Ce mal-être intérieur avait été évoqué implicitement dans la chanson "The Ocean" 5 ans plus tôt (3). La chanteuse a du subir des propos haineux dans les réseaux sociaux mais la nouvelle a été accueillie chaleureusement par la scène punk. En janvier 2013, Against Me! débuta sa phase de reconstruction en recrutant Atom Willard à la batterie (The Offspring, Angels & Airwaves,...) pour la tournée australienne avant de participer à l'enregistrement de l'album puis de devenir un membre permanent du groupe. Laura Jane Grace qui produisit également l'album, assura aussi les lignes de basses sur 8 des 10 titres (Fat Mike, leader du groupe NOFX apporta son soutien sur les deux morceaux restants). Cette situation atypique amena le bassiste Andrew Seward à officialiser son départ peu avant la fin de l'enregistrement, après avoir officié pendant 11 ans au sein du groupe floridien afin de privilégier sa vie familiale. Cette séparation s'est effectuée de façon très respectueuse avec les membres fondateurs.

L'arrêt d'Against Me! fut envisagé un temps selon Laura Jane Grace mais aurait-il été concevable pour cette dernière de ne pas défendre ce nouvel album dans lequel elle s'était totalement investie ? Passé ce doute, Inge Johansson (The (International) Noise Conspiracy, CSS,...) devint le bassiste officiel du groupe, ce qui permis au groupe d'assurer leur tournée à travers le monde.

S'il n'y a pas de changements majeurs dans la voix de Laura Jane Grace à la suite de son début de traitement hormonal, ni même musicalement qui reste dans la continuité de "White Crosses" avec un rock rapide et énervé (bien que l'apport d'Atom Willard à la batterie apporte plus de technique et de variations rythmique), Transgender Dysphoria Blues se distingue des précédents albums par la thématique abordée. Laura Jane Grace en avait annoncé la couleur en déclarant qu'il s'agissait d'un album concept traitant d'une prostituée transgenre (quelques mois après, elle concédera que la majorité des chansons étaient inspirées de sa propre vie) ; le parfum de la révolte sociale et sociétale des précédentes chansons s'est dissipé. Dans le titre d'ouverture et éponyme de l'album , la frontwoman évoque le temps d'adaptation d'un nouveau corps et de s'assumer en tant que femme tandis que dans "True Trans Soul Rebel" la chanteuse se demande avec qui elle passera la nuit alors que dans "FUCKMYLIFE666", elle s'interroge sur sa nouvelle situation auprès de sa femme (le couple ne résistera pas à ce changement et elles finiront par divorcer). Cependant, si la dysphorie du genre est la pierre angulaire de cet album et qu'une insécurité transparaît, la mort est une thématique récurrente dans de nombreux textes. Laura Jane Grace évoque la perte d'un ami dans "Dead Friend", aborde sa future disparition en s'adressant à sa fille dans "Two Coffins" et le suicide d'une prostituée transgenre dans "Paralytic States" (la chanteuse ayant reconnu qu'elle avait tenté de mettre fin à ses jours 1 an après son coming-out). Enfin, dans l'improbable titre "Osama Bin Laden As The Crucified Christ", la chanteuse évoque les dépouilles de Benito Mussolini et de sa maîtresse Clara Petacci pendues et exposées à une station essence, d'Oussama Ben Laden et du Christ crucifié.

Si "Transgender Dysphoria Blues" est un album personnel de Laura Jane Grace, cela restera également une oeuvre musicale permettant de sensibiliser les auditeurs auprès d'une communauté discriminée, moquée et marginalisée (4).


(1) Les artistes musicaux se réclamant de la culture du Do It Yourself (en français "Faites le vous-même") prônent notamment le refus de signer sur des majors afin de préserver une certaine indépendance artistique. De nombreux groupes musicaux ont été critiqués ou se sont mis à dos leurs premiers fans et les exemples ne manquent pas. Le choix de Nirvana d'avoir contractualisé avec une filière dépendante d'une major pour l'album "Nevermind" a été très mal perçu par certains fans malgré la vente de plus de 30 millions d'exemplaires de cet opus dans le monde entier depuis 1991. Kurt Cobain donnera même raison aux critiques en l'évoquant brièvement dans la chanson "Serve The Servants" dans l'album "In Utero". Pour Jawbreaker, 6 dates étaient prévues pour accompagner Nirvana afin d'effectuer la première partie de la tournée...'"In Utero". Les fans souhaitaient que le groupe n'honore pas cette première partie et craignaient que le groupe signe sur le même label que le groupe de Seattle. Non seulement, le groupe new-yorkais va assurer les dates mais ensuite signer sur le label DGC pour l'album "Dear You" qui sortira en 1995 contre une avance d'1 million de dollar. Cette situation va provoquer le rejet de certains fans d'écouter les chansons de ce dernier album lorsqu'elles seront interprétées sur scène, mais aussi la dissolution du groupe quelques mois plus tard (même si de vives tensions transparaissaient déjà lors de l'enregistrement de l'album entre le chanteur et guitariste Blake Schwarzenbach et le bassiste Chris Bauermeister qui se conclura par une bagarre entre les deux musiciens à Salem). Enfin, Green Day en a subi l'amer expérience après avoir opté pour une major pour leur album "Dookie". Malgré plus de 20 millions d'albums écoulés, le groupe a été considéré comme des "vendus" par de nombreux fans et rejeté de la scène punk de Berkley. De cette situation, en découlera une chanson intitulée "86" dans l'album "Insomniac".

(2) Selon le diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), la dysphorie du genre n'est pas un trouble mental mais une souffrance clinique qui se traduit notamment par l'"identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe)" et "le sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante".

(3) Parmi les paroles de la chanson, Laura Jane Grace chante "son souhait d'être née femme, que sa mère l'aurait appelé Laura si elle était née fille et qu'elle aurait eu un mari et des enfants".

(4) Le taux de suicide étant plus élevé chez une personne transgenre qu'une personne cisgenre. Le rapport annuel 2018 de l'association SOS homophobie révèle que le nombre d'actes transphobes a augmenté en France entre 2016 et 2017. L'enquête "Trans : la bataille de l'état civil" (page 14 à 20) dans "La Chronique d'Amnesty International n°367" évoque une mauvaise volonté de l'état français de faciliter le changement d'état civil des personnes trans. La nouvelle loi Justice du XXe siècle qui fut adoptée en octobre 2016 à l'Assemblée nationale permet dorénavant aux personnes transgenres de faciliter leur changement d'état civil sans passer par une démarche médicalisée.

Zoropsis
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le 24 mars 2018

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Transgender Dysphoria Blues
MathieuCan
5

Classique mais pas forcément enthousiasmant

C'est du basique, plutôt bien fait, mais ce genre de rock fait un peu daté de nos jours je trouve. Certes les mélodies vocales sont efficaces, les chansons s'enchaînent sans accros, les refrains se...

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