Je ne saurais honnêtement pas donner un avis un tant soit peu objectif (si tant est que ce soit possible quand on parle de musique) sur cet album. L'attachement que j'éprouve pour lui est presque davantage lié aux circonstances dans lesquelles se sont déroulées mes premières écoutes qu'à une quelconque qualité intrinsèque. Vous l'aurez compris, je ne vais donc pas faire une analyse détaillée, morceau par morceau, de ses qualités et ses défauts. J'aimerais néanmoins souligner deux points qui ne me semblent pas avoir été abordés dans d'autres critiques mais qui font selon moi de cet album une œuvre au-dessus des autres.


Le premier est la qualité de sa construction. Ayant pris l'habitude d'écouter de la musique par album, j'apprécie quand ceux-ci sont davantage qu'une simple liste de morceaux mis bout à bout, quand ils forment un véritable tout. Et Turn on the bright lights est certainement l'exemple-type d'un album bien construit. Untitled est parfaite en musique d'introduction, laissant la musique nous emporter, hantée par la voix de Paul Banks, musique qui redescend ensuite lentement pour ouvrir la voie au reste de l'album. S'ensuit une alternance de morceaux tantôt dynamiques, proches d'un rock plutôt classique (les deux Obstacle en sont un bon exemple) ; tantôt particulièrement mélancoliques (NYC en particulier). Cette alternance se poursuit jusqu'à Stella was a diver and she was always down, morceau qui me semble marquer une rupture tant par son ambiance que par sa durée sensiblement plus longue que celle des morceaux précédents, comme signifiant une sorte de maturité pour un album qui cherchait encore son ton. Celui-ci entre alors dans ce qu'on pourrait considérer comme une deuxième phase, plus unie, définitivement ancrée dans la mélancolie mais non pas dénuée d'espoir. En témoignent ce que je considère comme les trois chansons de conclusion (les morceaux Interlude et Specialist font pour moi partie intégrante de l'album) : celles-ci ouvrent toutes vers un semblant d'espoir, de révolte face à la mélancolie que les autres morceaux ont auparavant si bien décrite. Cette révolte emporte l'album dans une envolée épique jusqu'à un final paradoxal, entre acceptation sereine et espoir non satisfait de quelque chose d'encore plus grand mais pourtant inatteignable.


Le deuxième concerne la tendance du groupe à prolonger ses morceaux au-delà de ce qui aurait été absolument nécessaire. Pour expliquer cette sensation j'aimerais la comparer aux adaptations du Seigneur des anneaux par Peter Jackson : dans le Retour du roi, celui-ci semble s'éterniser pour conclure son histoire, comme s'il ne pouvait se résoudre à abandonner définitivement ses personnages. Ce qui paraît insupportable pour certains (pourquoi rajouter une demi-heure à un film qui dure déjà plus de trois heures ?) est particulièrement appréciable pour ceux qui s'y sont attachés. C'est précisément cette sensation que j'ai retrouvée à l'écoute de nombreux morceaux de Turn on the bright lights : comme si le groupe s'était attaché à ses morceaux, il semble refuser de les laisser partir et les poursuit pour notre plus grand bonheur. Présente dès le premier morceau (Untitled) qui semble sans cesse s'achever avant de reprendre de plus belle, elle est particulièrement identifiable dans le dernier morceau (Specialist) qui semble cumuler le refus de se séparer de l'album au refus de se séparer du morceau lui-même. Là où cette sensation est particulièrement intéressante, c'est qu'elle n'apparait qu'après plusieurs écoutes, quand, pris par l'habitude, on craint la fin prématurée des morceaux avant de les voir reprendre de plus belle. Elle se surajoute alors à une affection déjà présente et fait insensiblement passer Turn on the bright lights du statut de bon album à celui d'album d'exception.


En-dehors de ces points je ne saurais pas dire pourquoi j'apprécie autant cet album, à tel point que ma note est certainement une des moins objectives que j'ai pu donner (du moins selon ce que je considère comme étant objectif). Mais c'est aussi peut-être sa capacité à procurer de telles sensations, si complexes qu'elles en deviennent inexplicables, qui rend cet album exceptionnel.

Iorveth
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le 4 nov. 2018

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Iorveth

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