« Down On The Corner » ouvre l'album avec efficacité : riff simple, clair, rythmique enragée, voix puissante, complètement libérée, pleine de confiance, de conviction et de cette intention inarrêtable qu'on les vrais rockers à ouvrir leur gueule : « j'ai quelque chose à dire, je le dis, et je me fiche de savoir que ça ne plaira pas aux gens d'autant plus que je les emmerde ». A chaque fois que passait un morceau des « Creedence » comme ont les nomme souvent en France, dans une soirée, à la radio, ou encore dans une voiture avec des amis, j'ai toujours vu et entendu une personne, pas particulièrement familière du « genre rock » qui plus est, complètement allumée ou à tout le moins excitée par ce qu'elle entendait là, me demander comment se nommait le groupe qui interprétait cette magnifique musique. C'est dire le pouvoir du groupe, l'universalité de sa musique, son humilité, sa joie communicative irrésistible (« The Midnight Special »), son côté brut, rock dans ce qu'il a de plus pur, sans fioritures, et très loin à l'époque, de l'intellect parfois pompeux et grandiloquent d'artistes du circuit folk cherchant à imiter Dylan avec complaisance, ou de ces groupes progressifs cherchant parfois à faire compliqué pour faire compliqué.


Creedence Clearwater Revival, c'est tout l'inverse : c'est une utilisation du studio aux antipodes des procédés du moment (1969). Rock décharné, dépouillé d'aspects superflus. « Down On The Corner » est enregistré au coin d'une rue, avec une planche à laver pour seule percussion. « Poorboy Shuffle » s'inscrit dans cette simplicité brute : instrumental cru, guitare, harmonica. On entend le « coup » de bâton, tout en rythme, de Doug Clifford, sur une bassine (visible sur la pochette recto et verso du LP).


Quelle humilité.


Toute les chansons sont dotées d'une immédiateté, d'un aplomb, et d'une énergie brute : « It Came Out Of The Sky » et « Fortunate Son » semble avoir été composés pour les jeunes américains partis faire la guerre au Vietnam (on y est en plein au moment de l'album), « Cotton Fields » laisse entendre de ces solos qui ne sont pas démonstratifs, humbles car simplement effectués avec spontanéité, et dotés d'une énergie et d'une sauvagerie typiquement « rock'n roll », dignes de l'animalité d'un Little Richard ou d'un Chuck Berry. « Side O' The Road » est un instrumental plaisant, agrémenté de solos mélodiques mais virulents, crus, jubilatoires, et emplis d'un évident plaisir de jouer. Pourtant assez basiques car jouées sur les gammes classiques de blues, Fogerty est tellement entier, tellement authentique, qu'il nous déverse tout son génie, son plaisir, sa joie et son talent synthétisés en un truc hybride auquel personne ne peut résister. Et que dire du solo sur le dernier morceau « Effigy » ? / Pas seulement auteur – compositeur – interprète, Fogerty était donc un brillant soliste. Mais l'homme était aussi profondément inscrit dans la tradition du blues et de la country américains, comme The Band. D'ailleurs, le dernier mot du nom du groupe renvoie à cette tradition qui fonde le genre Americana : « Revival », ou plus exactement « le retour aux racines » (de la musique américaine). « Don't Look Now (It Ain't You Or Me) », ou « The Midnight Special » s'inscrivent d'ailleurs dans cette tradition.


« Willy And The Poor Boys », l'un des meilleurs disques des Creedence Clearwater Revival, sorti quelques mois avant la tornade « Cosmo's Factory », peut-être encore meilleur.

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le 9 mai 2020

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Errol 'Gardner

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