Tout le talent de Gainsbourg repassé au compresseur Gainsbarre

Avec cet ultime disque (mais pas ses ultimes chansons; on a encore découvert une cassette avec un inédit il n'y a pas si longtemps, il a été tellement prolifique qu'on n'est même pas sûrs de savoir quelle était sa dernière composition !), Gainsbarre avait sincèrement voulu reprendre le prestige artistique de Gainsbourg. Il avait conscience que "Love on the beat" était là avant tout pour déconner, mais qu'il n'avait aucune chance d'avoir un avenir influençable comme "l'homme à tête de chou" ou d'ouverture sur un genre comme "Aux armes etc.". Il a alors décidé de combiner les innovations de ses précédents albums, ce qui faisait qu'il était différent des autres, pour en résulter un album aussi original que ses illustres grands frères. Sauf que... Le Renaud d'aujourd'hui, par exemple, serait bien incapable de refaire des titres comme "Marche à l'ombre" sans y rajouter sa couche alcoolique, et surtout abusivement nostalgique. Gainsbourg/Gainsbarre n'en est pas très éloigné, il a d'ailleurs joué la comparaison. Serge a voulu reprendre le principe de l'album concept, créer une descendante de Melody Nelson et de Marilou, deux coquines inoubliables qui ont fait sa gloire musicale en matière de prospérité. Il décida également d'introduire un genre encore mal intégré en France à cette époque, frôlant le rap tout en restant funck, beaucoup plus "urbain" que Love on the Beat. Un peu à la manière de ses albums reggae, donc. Tout ça, c'est des intentions Gainsbourgiennes, et ça prouve qu'il avait encore quelques ambitions artistiques. Le problème, c'est qu'il s'est arrêté là. Il a cru que cela suffirait pour qu'il retrouve sa crédibilité créative. Il a soigné les idées, mais pas la concrétisation. L'histoire de cette Samantha, fillette de 13 ans nymphomane et junkie, se résume à ça: elle se défonce, il en a sa claque, point. Un petit interlude "c'est pas bien" pour les drogues, quelques titres en surnoms pour son pénis et deux reprise anachroniques à l'histoire. Si on reste dans le dispositif voulu, c'est un foutoir sans nom. Impossible de comparer cette héroïne et son "histoire" à celles, merveilleuses, de ses sœurs. Quant à l'introduction du genre, c'est bien beau de vouloir, mais lorsque les paroles sont carrément vulgaires (et faut le faire pour que je trouve des paroles vulgaires !), ça donne tout sauf envie de s'ouvrir à un genre visant surtout les jeunes. Ce n'est plus de l'érotisme romancé, puisqu'il n'y a que de la pornographie brut. Lui-même ne le met pas beaucoup en valeur, dû à sa voix qui est dans un état lamentable. Son parlé n'a plus la classe d'antan, véritablement anéanti par les excès, et inutile de dire le niveau catastrophique quand il se met à chanter. Il est bord du marmonne. Il rate donc complètement son but: au lieu de se dire "Bon sang, ça c'est du Gainsbourg !", on se dit : "Mais bordel, où est-il passé, qu'est-il devenu ?". Pourtant, il y avait les promesses. Mais Gainsbarre ayant tué Gainsbourg, il a eu tort de croire qu'il pourrait le battre. C'était louable comme objectif.
Comme ultime disque, il montre ici tout ce qu'il ne faut pas faire pour poser un épitaphe à son œuvre. Si je prend la qualité d'une chanson dans sa généralité, musicale et parolières, il n'y a que "Mon légionnaire" qui me fait triper. Mais c'est un vrai trip ! La reprise est géniale, la réinterprétation une idée du même tonneau. Manque de bol cependant, les paroles ne sont pas de lui. Les paroles du disque en général, même si il y a de belles trouvailles (des rimes en X sur les deux premières chansons, le titre de "Baille Baille Samantha"...), sont toutes plus navrantes les unes que les autres. Impossible de dénicher ici la trace d'un quelconque passé poétique, ou même du parolier de talent qu'il était. Si je compte les morceaux ayant une valeur instrumentale, j'avoue que sa trilogie dédiée à ses "coups" qui préludent "Mon légionnaire" ont un son excellent. Il demeure cependant que même pour les chœurs, il n'avait plus la maîtrise alors qu'il était le maître. Qu'est-ce qui lui a pris d'embaucher un Black énervé comme ça, qui est gonflant et inutile ? A part ces chansons, c'est désolant. Je sais qu' "Aux enfants de la chance" est populaire, mais je suis désolée, qu'est-ce qu'il dit à part "Touchez pas à la drogue" ? Il fait illusion en utilisant des surnoms anglais, en parlant de tabassage pour les dealers, mais concrètement, il dénonce quoi ? Et pourquoi ne pas avoir connoté un lien avec Samantha ? "Suck Baby Suck" et "You're Under Arrest" sont carrément consternants. Ce disque est une merde. S’appeler Gainsbourg n'excuse pas tout, et n'exclut jamais qu'une pareille bouse puisse naître. Et je vous assure que cela n'allait pas s'arranger. Vous savez quel devait être le titre de son dernier disque, censé être enregistré à la Nouvelle Orléans et centré sur le blues ? "Moi m'aime Bwana", basé sur une blague de journalistes. Y' a des signes qui trompent pas.
Mais il ne faut en aucun cas que cette erreur rebute certains. Gainsbourg est un des Best de la chanson française. Et si on l'a tant aimé, c'est parce qu'il faisait des erreurs lui aussi.

Billy98
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le 13 févr. 2017

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