Dans les épisodes précédents…

N’ayant pas franchement suivi la carrière des Foo Fighters depuis Wasting Light (voir même depuis Echoes, Silence, Patience & Grace en vérité) je reprends le train en marche et je suis en retard en plus…

Quoiqu’on en dise, les Foo Fighters resteront gravés dans l’inconscient collectif comme étant « le groupe du batteur de Nirvana », une étiquette aussi dure qu'injuste parce qu’en 25 ans de carrière le groupe a (eu) bien d’autres choses à proposer.

De fait, le son et l’attitude grunge / post-grunge du groupe ne semblent n’être plus que de lointains souvenirs dont les derniers soubresauts sont audibles dans The Colour And The Shape, véritable album de transition entre une époque et une autre.

C’est pourtant bien ce rappel au grunge DIY qui m’avait fait lâcher l’affaire sur Wasting Lights : le son comme la communication visuelle de l’époque était axée sur l’aspect analogique et organique du groupe, apparaissant comme un garage band dont l'un des stickers promo indiquait explicitement "enregistré dans le garage de Dave Grohl" (le même dans la langue de Shakespeare). Avec une typo égyptienne/machine à écrire et des clips bruts, clairement influencés par ce qu'ils faisaient durant les deux premiers album, on a frisé l'auto-citation et le groupe s'est alors senti obligé de se justifier sur cet aller-retour aux sources.

Sonic Highways se voyait un peu comme le successeur logique : sortir du garage pour parcourir les routes (mention spéciale à Sweet Home Alabama... heu non What Did I Do ?/God As My Witness). Laissons de côté les deux EP Songs from the Laundry Room et Saint Cecilia pour le peu d’intérêt que représente le premier (si ce n’est Kids In America, la reprise de Kim Wilde) et pour le contexte très particulier du second. Sortir de la cave (Wasting Lights) puis osciller entre une attitude de baroudeur ou de guitar hero dans Sonic Highways à celle de pop icons dans Concrete and Gold est d’une certaine manière un cheminement - certes à la fois autant idéaliste qu'idéal, mais - assez logique. Une forme de triptyque qui relève à la fois de l'allégorie de la caverne que du monomythe, Rock Star dans le texte.

« Wake up Run for your life with me »

L’appel est lancé d’entrée de jeu dans Run : avec Concrete and Gold vous êtes invités à venir vous élancer et vous battre aux côtés des Foo Fighters pendant un peu plus de trois-quarts d’heures.

Le thème de la route revient dans cet album dont la pochette évoque autant une plaque d’égout dorée qu’un panneau signalisation, dont la forme et la couleur sont bien moins rares aux Etats-Unis qu’en France. Est-ce une métaphore pour nous signifier que sous l’aspect brut du bitume se cache un cœur d’or ? Est-ce un avertissement ?

En réponse à cette première question, l’album partage avec nous une facette plus douce que les choix de production ont souligné . On peut bien sûr pointer du doigt, voir même regretter, le choix de Greg Kurstin à la production, très habitué à des productions pop aux sons ronds et policés, ou encore abhorrer le mixage de Darrell Thorp qui correspond bien plus aux standards actuels de la pop plutôt qu’à ceux du rock ‘n roll.

Pourtant, si les Foo Fighters lorgnent sur l’arena rock, Concrete and Gold n’est pas leur premier essai en la matière (et ce de manière plus ou moins assurée, One By One, le premier disque de In Your Honor et Echoes, Silence, Patience & Grace). Ça fait bien longtemps que les Foo Fighters remplissent des stades, voilà qu’ils ont enfin décidé de l’affirmer en élargissant les possibilités avec l’intégration assumée de claviers, incarnés par Rami Jaffee et par là même officialisé en tant que membre du groupe.

C’est donc bien toute une partie du répertoire pop/pop rock qui est ici digéré par les Foo Fighters : leurs influences très 60’s (les Pink Floyd, Eric Clapton, Creedence Clearwater Revival, les Beatles [le groupe allant jusqu’à inviter Paul McCartney pour le priver de voix, mais on y reviendra]…) s'entendent par exemple sur Make It Right et Happy Ever After (Zero Hour) ; les années 80 pour rester dans le coup face à toute la vague rétro des années 2010 (ce que l’idée de la reprise de Kim Wilde avait amorcé), comme sur Dirty Water ou Arrows ; des artistes plus contemporains (The Bird and The Bee - le groupe pop jazzy de Greg Kurstin -, Sia évidemment, Woodkid à coup sûr, Adele, Lana Del Rey…) qui pourraient reprendre Sky Is A Neighborhood a leur compte.

Avec Greg Kurstin, choix réfuté à l'origine par leur manager John Silva, les Foo Fighters ont été repoussés loin dans leurs retranchements et proposent ici leur album le plus "étrange", ce qui n’est pas un mal pour Dave Grohl qui pensait « avoir perdu la main » et être « créativement atrophié ». Se battre contre ses propres démons, se dépasser, aller plus loin que ses propres convictions et en tirer quelque chose de neuf est certes un schéma narratif qui favorise l’épopée, mais qui est un peu éculé. Il faut alors admettre que le chemin parcouru sur le bitume est transformé en légende dorée.

Néanmoins, face à celle-ci, la réalité n’est pas aussi simple.

« I just wanna sing a love song Pretend there's nothing wrong »

C'est donc plutôt un avertissement que Dave Grohl lance sur T-Shirt, à l'instar d'un panneau de signalisation. Il peut être paraphrasé de la manière suivante : « j’aurais aimé écrire des choses simples, mais à l'heure actuelle je ne peux pas ».

Selon différentes interviews, Dave Grohl a donc commencé l’écriture de Concrete and Gold, entre 2015 et 2016, avec différentes angoisses : celles de l'individu incapable de marcher, celles de l’artiste incapable d’écrire et celles de l’être humain qui observe un monde sous haute tension.

Incapable de fermer les yeux, comme Sky Is A Neighborhood le révèle (« Gotta get to sleep somehow Bangin' on the ceiling, […] Mind is a battlefield, all hope is gone Trouble to the right and left, whose side you're on? Thoughts like a minefield, I'm a ticking bomb »), de multiples questions sont posées et tournent autour des convictions, de l’engagement et de l’affranchissement de certaines règles d’or.

Il faut croire que c’est l'héritage du lieu de l'enregistrement, EastWest Studio, qui a inspiré Dave Grohl a chercher des réponses chez les anciens : tout l’album est teinté de blues et de jazz. L’introduction de Happy Ever After (Zero Hour) n’est pas sans évoquer Blind Willie Johnson ou Woody Guthrie ; Chuck Berry, B. B. King, puis plus tard Gary B.B. Coleman ou encore plus récemment Kristeen Young sont évoqués pour Sunday Rain. Ce titre est l’évidente réponse du groupe à l’espoir béat des années 1960 constatant avec quelle aigreur et violence les hippies d’antan agissent dans les années 2010 : le symbole qu’est McCartney n’a donc pas voix au chapitre, certes présent il reste néanmoins coi.

Ce que sous-entend le groupe avec ces influences - déjà amorcées sur les autres albums (mention spéciale au second disque d'In Your Honor) -, mais ici encore, plus prononcées, c’est le contexte d’extrême dureté durant lequel ces musiques se sont développées : la prohibition américaine, la Grande Dépression et la récession économique des années 1920-1930. L'imagerie de cette époque avait déjà évoquée dans le clip d'In The Clear et du propre aveux de Dave Grohl Concrete and Gold est autant sur l'espoir que le désespoir -Gold pour le premier thème, Concrete pour le second. C'est donc par anticipation d'un futur similaire que le groupe effectue ces piqures de rappel et se projette dans le contexte dans lequel les musiques futures devront se développer.

De cet amère constat découle l'artwork et le booklet qui font explicitement référence à cette période (cd comme vinyle) rappelant les vieux Decca ou les Odéon et Pathé par chez nous, et dont leur label RCA / RCA Victor produisait alors des artistes comme Count Basie à l'époque où il jouait chez Bennie Moten, Duke Ellington, Jimmie Rodgers ou encore Blind Willie McTell. Qu'on ne s'y trompe pas, si dans les années 1920-1930 la promotion d'un artiste se faisait par rapport au système d'écoute sur lequel il était, les Foo Fighters également transformé cette formule pour "tester les limites de tous les haut-parleurs".

Rien de tout cela n’est moins visible que dans le titre Concrete and Gold qui a le double rôle d’être à la fois un morceau blues âpre et dépressif, mais également une référence relativement explicite à la période « engagée » de Pink Floyd (Animals / The Wall). L’accord qui l’ouvre et le conclue est un scellé, une chape de plomb (de béton? [Concrete]), qui sonne à la fois comme un point d’interrogation sur le futur et une injonction mourante peu optimiste.

Ainsi, le rêve devient un cauchemar, la légende dorée devient une réalité triste, l’or devient du béton - en espérant que l'inverse se produise un jour.

« Fuck You Darrell »

L’album Concrete and Gold est un album résolument nostalgique, une exercice de grand écart, une expression des fondements du rock, cimentés par le blues et jazz, mais aussi de l'"âge d'or du rock" (les années 1960), rehaussés selon les standards de la musique actuelle. Reflet des inquiétudes sur le futur, que l’on apprécie ou pas cet album, il est indéniable que les Foo Fighters, contrairement à leurs précédents efforts Wasting Lights et Sonic Highways, ont su être incroyablement « zeitgeist », et pour le meilleur me concernant.

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le 9 mars 2023

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