1998. Le punk est mort depuis une vingtaine d'années. Depuis se sont succédés des fac-similés du grunge au punk rock californien du début des années 90s. Alors que la plupart de leurs congénères se déchaînent à faire du rock au rythme effréné, à la subtilité frôlant le zéro absolu, Refused prépare son programme pour une révolution sonore universelle.

"They told me that the classics never go out of style but...they do. They do. Somehow, baby, I never thought that we'd do, too."
Quelques mots au détour d'un carrefour, prononcés de manière anodine et pourtant à la portée prophétique en ouverture de cet album. Puis près d'une minute d'effets sonores qui ne laissent rien présager jusqu'à ce que le premier accord, le premier coup de batterie et les premiers mots criés par le chanteur explosent d'un seul coup.

Dès le départ de l'album, on sent qu'on a pas à faire à un punk ordinaire. Un mixage propre et pourtant laissant suffisamment transparaître la violence du chant et des paroles qui vont avec, une distorsion à la fois lourde, puissante mais raffinée, un rythme déconstruit mais structuré et des nuances nettes avec crescendos, breaks et autres subtilités trop travaillées pour être réellement punks.

Alors oui, le punk est mort, il n'y a pas de doute, et ce que présente ici Refused n'est pas du punk. Le nom de l'album est en lui même révélateur, le message se veut visionnaire, ce n'est pas du punk, c'est le punk du futur. La forme du punk de l'avenir. C'est une proposition révolutionnaire pour fonder un sur-punk, dépasser la mort du punk.
En ce sens, c'est presque un programme philosophique que nous livre Refused avec cet album. The Shape of Punk to Come se pose en totale opposition avec la maxime des Sex Pistols du No Future. C'est un message non pas optimiste mais positif, qui affirme au lieu de simplement nier.

La révolution musicale est là, partout dans l'album, tout au long des morceaux, des rythmes, des mélodies et des paroles. La fin de Worms of the Senses / Faculties of the Skull nous met un son "hardcore techno" comme le dit le présentateur hispanique, Bruitist Pome #5 est l'interlude expérimental aux sonorités ambient et électro, The Deadly Rythm incorpore le jazz dans son introduction, jazz que l'on retrouve aussi dans d'autres morceaux à travers la contrebasse prenant la place de la basse, l'ambient parsème l'album dans l'intro de New Noise notamment, le violon, l'harmonica jouent leur petit jeu quand il faut et plus loin encore, Tannhäuser / Derive reprend même une mélodie du Sacre du Printemps de Stravinsky (oeuvre révolutionnaire dans le monde de la musique classique pour ses variations rythmiques ayant provoqué un tollé lors de sa première orchestration, punk avant l'heure donc.)

Alors quelle est cette révolution ? Est-ce juste un mélange de références et de styles plus fous les uns que les autres simplement ? Pourtant on ne peut nier que Refused présente aussi sa face la plus accrocheuse du son rock avec les refrains et les riffs de Liberation Frequency et Summerholidays vs Punkroutine. On croirait parfois entendre du pop-punk ou tout du moins du punk rock californien. Quelle est la différence ? Pour commencer, on remarquera le mixage assez étrange de Liberation Frequency, les couplets très bas, pianissimos presque, pour des refrains forte avec les cris rageurs de Dennis Larxsen. Et le deuxième morceau a beau être catchy, son riff n'en est pas moins complexe contrairement à ce qu'on croirait entendre.

Pour Refused, la musique n'est pas synonyme de tranquillité, c'est un mouvement permanent, une évolution constante, ne jamais se reposer sur ses lauriers qu'ils nous disent. Nous dansons sur les mauvaises chansons. Nous devons crier. Nous manquons d'élan pour aller vers le nouveau rythme, le nouveau tempo, le nouveau son. Le nouveau bruit, voilà la thèse de Refused.
Se libérer des fréquences radio, guider le mouvement vers une réévaluation permanente de la musique. Refused se place en prophète du punk de l'avenir, celui actuel ne rimant plus à rien, il faut reconstruire, changer, évoluer. De cet album s'épanouiront le mathcore, le prog-punk, toute la mouvance post-hardcore, la renaissance du punk hardcore du début des années 2000.

Mais le message n'est pas que culturel, il est aussi politique. Plusieurs morceaux mettent en avant l'impact que veut avoir Refused sur la masse informe, la plèbe ignorante et soumise, victime, du capitalisme. On a par exemple les cris de concerts de la fin de New Noise, le discours d'introduction de Refused Party Program qui fait un semblant de conférence politique dans la présentation de l'album, la simplicité du message d'introduction, dans la rue, au plus proche des gens, qu'on pourrait croire intégré dans le décor lors d'une écoute avec un baladeur en extérieur. Les paroles insistent sur cette libération nécessaire du capitalisme et de ses institutions, les membres du groupe ne sont donc pas vainement anarchistes.

Le salut passe par l'art, le chant, la musique, le son, le bruit, la création. New Noise, Refused Party Program, Liberation Frequency, Protest Song 68, The Deadly Rythm, The Shape of Punk to Come..., à savoir donc la majorité des morceaux de cet album ne traitent pas de la société, de la politique, d'une quelconque critique d'un système mais surtout de musique, de création. L'art en tant que menace pourrait être dangereux, ils le disent eux-même, et l'appliquent. Ils respirent et créent. Et se libèrent ainsi.

Dans The Shape of Punk to Come, tout est question de nuances. Les inspirations du passé sont un élan pour le futur. Le nom de l'album rappelle The Shape of Jazz to Come, album pilier du jazz expérimental (un son tout nouveau donc), les citations tout au long de l'album éclairent le propos, la thèse, avec Henri Miller pour Protest Song 68, Apocalypse Now pour New Noise... Mais aller vers l'avant c'est aussi détruire pour mieux recréer. Voilà en conclusion le chemin, le parcours de l'album: 1/ Constat 2/ Libération 3-4/ Destruction 5-6/ Elan 7/ Idées 8/ Inspiration 9/ Remise en cause 10/ Avenir 11-12/ Création.

En écoutant cet album, en comprenant son message, nous faisons perpétuer l'idée que le punk est mort mais qu'il y a mieux que le punk, quelque chose de fondamentalement révolutionnaire au fond de la musique à condition qu'on ne cesse de s'ouvrir à l'évolution, au devenir incessant, qu'on porte haut et fort l'étendard d'une musique, une vraie musique, brisant les codes, le confort, se libérant des chaînes culturelles, politiques, sociales, pour aboutir à un bruit, un son toujours nouveau.
White-Fangs
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le 30 juin 2012

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