La sortie d'une suite de La ligue des gentlemen extraordinaire est toujours un évènement. Le Black Dossier avait mis la barre très haut en livrant une oeuvre tout aussi extravagante que singulière, une véritable uchronie généralisée, tout un nouvel univers de possibles et d'aventures qu'il appartient au lecteur de saisir...

Avec ce nouveau chapitre, Moore nous prend au piège. L'ancienne gloire de nos bien connus services secrets anglais s'éteint avec la mort de son plus fier représentant, le capitaine Nemo, laissant place à une nouvelle génération qui tente de trouver sa propre place dans l'ombre de la gloire de ses aînés.

Après le panache des deux premiers volumes exaltant une littérature populaire et imaginative vient le temps des critiques. Ces personnages que nous avons adoré voir se rencontrer, se battre et se déchirer au service de l'Angleterre ne sont plus que des caricatures froides d'une aristocratie conservatrice et surannée, la ligue devient une association d'anti-héros renfermée dans ces principes, tristes témoins de l'avènement d'une nouvelle culture qu'elle avait négligée. C'est ce qui peu paraître frustrant lorsqu'on s'attend à retrouver nos bon vieux héros et leurs nouveaux copains. Mais voilà on est chez Moore, pas chez Hergé.

L'oeuvre au coeur de ce nouvel épisode est le magnifique Opéra de quat' sous de Bertolt Brecht, pièce musicale picaresque transposant les méfaits de Jack l'éventreur au service d'une critique de l'avènement du nazisme. C'est cette dimension picaresque, critique de la société et des institutions plutocratiques par un anti-héros vil et immoral, que Moore réinvestit. Quatre chansons sont ainsi réécrites par l'exagération (autant dire qu'il vaut mieux lire la V.O. pour juger), mais l'exercice est peu convaincant pour des questions rythmiques: les pauses des mesures des chansons ne sont pas respectées et épousent mal le mode de lecture des cases.
Cependant le transfert plaçant Mack the knife au second plan et Jenny au rang d'héroïne constitue un parti pris des plus intéressant. La jeune fille innocente devient un véritable monstre par le mépris des dirigeant envers les prolétaires, l'histoire se répète, ce nouveau siècle ne peut donner naissance qu'à de nouveaux terroristes.

Voilà pour le message de ce nouveau chapitre, à l'ironie cinglante et sanglante: voir l'immortel Orlando défoncé du pirates à grand coup d'Excalibur, symbole de la grandeur bretonne est hilarant. La trame principale axée sur l'occulte reste au second plan, on attend un développement dans les chapitres suivants.

L'art de Kevin O'neil quant à lui ne cesse d'évoluer, la mise en page est beaucoup plus maîtrisée que dans les anciens numéros: certaines planches sont justes des petits chefs d'oeuvre ( les cabrioles de raffles, la complainte de Mack arpentant les rues de Londres, la mort de Némo, le prisonnier de Londres).
Les références sont toujours aussi omniprésentes jusqu'au vin que boit Raffles tirés d'une nouvelle d'Edgard Poe.
Moore prouve que le genre qu'il développe peut servir toutes formes de discours, on attend la suite avec impatience...

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le 2 juin 2011

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Vividly

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D'autres avis sur 1910 - La Ligue des gentlemen extraordinaires : Century, tome 1

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