Human bomb

Akira a ceci de commun avec Le Petit Prince qu’à chaque relecture il prend une nouvelle dimension. Akira à ceci de différent du Petit Prince que pour Akira c’est vrai. En littérature on appellerait ça une somme, au cinéma un monument et au royaume du manga c’est simplement la Bible. Aux "incultes" qui penseraient qu’on peut voir le film et se passer du manga, qu’ils sachent qu’ils se trompent lourdement, le film s’arrêtant aux environs de la moitié du manga tout en s’affranchissant parfois du dit manga. Que Katsuhiro Ôtomo réalise lui-même l’adaptation n’y change rien car Akira c’est un peu comme Le Seigneur Des Anneaux, très difficile à adapter.

Akira est une somme, un livre complet abordant une foule de sujets qui vont de la notion de Nation, en passant par le rapport à l’autorité tout en traitant de manière précoce la transhumanité, thème qui fait aujourd’hui peur à beaucoup car, comme le démontre Ôtomo, il n’est pas si éloigné le temps où nos créatures nous échapperons. Akira est un donc petit garçon tout ce qu’il y a de plus adorable en apparence mais doté d’une puissance de destruction équivalente de celle d’un dieu. Tout va bien puisqu’il dort depuis longtemps, depuis qu’il a rasé une partie de Tokyo. Il dort depuis trop longtemps puisqu’on se décide à le réveiller, il va alors provoquer une autre catastrophe, devenir malgré lui le seigneur de Néo-Tokyo et se retrouver au cœur de luttes de pouvoir entre les dirigeants légaux, les dirigeants autoproclamés et quelques citoyens qui voudraient que l’avenir de leur Nation ne soit pas que destruction.

Akira est certes un manga, mais c’est surtout une œuvre qui transcende la totalité des genres culturels et artistiques. Quand on aime Akira ce n’est pas un manga qu’on aime, c’est un chef-d’œuvre d’une incroyable ambition et d’une force jamais égalée jusqu’ici. C’est parfois très complexe mais jamais prétentieux ou pédant, les niveaux de lectures sont très nombreux, peut-être aussi nombreux que les lecteurs. Katsuhiro Ôtomo semble avoir créé une œuvre qui serait à la fois universelle mais que chaque lecteur peut aussi d’approprier. Chacun y trouvera de l’intérêt, les fans de gore, d’action, de réflexion ou d’anticipation, Akira est une somme…

Akira est un tableau, ou plutôt un recueil de tableaux, une succession d’images d’une complexité incroyable dans les détails qui les composent. Le temps qu’Ôtomo a dû passer sur ses planches doit être sidérant, certaines double-pages sont stupéfiantes de petits détails qui obligent à passer du temps pour observer, scruter pour être sûr de bien savourer cette petite merveille picturale. Le trait est net et nerveux et Ôtomo ne tombe pas dans la caricature de ses personnages qui rebute parfois les occidentaux, ses personnages sont étonnants d’expressivité et prennent quasiment vie. S’il fallait inventer un art pictural pour Ôtomo, ce serait la photo dessinée.

Akira est le plus marquant des mangas et va bien au-delà de l’effet de mode pour occidentaux, c’est bien un véritable chef-d’œuvre qui pose beaucoup de questions sans forcément apporter de réponses, voir même en n’apportant aucune réponse (c'est ce qui est bon). On se sent porté par une histoire aux enjeux qui dépassent notre compréhension mais qui conserve suffisamment de mystère pour nous passionner. Cette histoire conserve un authentique côté fataliste qui démontre, de par les thèmes qu’elle aborde, que les Japonais restent traumatisés par les deux bombes atomiques qui ont frappé leur sol, ce qui fait d’eux encore aujourd’hui un peuple à part et d’Akira une œuvre unique.