Humanisme dépassé ?

On ne peut échapper aux quatrièmes de couverture d' "Aldébaran", largement reprises par divers critiques (paresse d'esprit ?), qui vantent l'aspect "humaniste" de la série.

Qu'est-ce que l' "humanisme" ? Cette idéologie, élaborée lors de la Renaissance européenne, et fondatrice de nos choix politiques et sociaux, peut se résumer en la célèbre formule thélémite: "Fais ce que voudras".

Cet embarrassant apophtegme présuppose donc que toute décision prise par l'homme ne saurait être préfabriquée, cadrée, canalisée ou contrainte. Liberté donc, parce que l'homme est bon, et ne prend que des décisions bonnes. Et il est la seule créature à agir ainsi.

Les héros de "Aldébaran" sont sympathiques, ils luttent contre la dictature et l'oppression (en cela l'humanisme peut se défendre), mais ils ont cette particularité de vivre dans des mondes neufs, où l'essentiel est à découvrir ou à explorer. Il faut connaître le milieu, dialoguer avec les êtres vivants que l'on découvre, etc.

C'est là que l'ambiguïté commence: jusqu'où peut-on peupler les mondes neufs et leur imposer le règne humain ? "Aldébaran" réitère l'injonction thélémite: ses héros sont beaux, gentils et respectueux des autres créatures, donc ils peuvent aller de l'avant dans leurs entreprises colonisatrices (qui s'étendent, tout de même, au cosmos).

Le lecteur d'aujourd'hui a de plus en plus de peine à croire à cette idéologie: comment l'homme, qui ne prend que des décisions si sages et si bonnes que les humanistes repoussent toute idée de les formater, comment l'homme est-il arrivé à façonner le monde suicidaire où nous vivons: guerres, surpeuplement humain, pénuries galopantes d'énergie, de nourriture, d'air pur, d'eau propre, menace nucléaire, haine inter-ethniques et inter-religieuses, mépris cinglant de l'environnement, jeunes générations promises à une vie bien moins facile que la précédente, etc. ?

Marc et Kim nous captivent - et le grand talent de l'auteur ne peut qu'être constamment salué. Mais l'élan juvénile qui pousse à jeter un regard d'enfant tendre et naïf sur les mondes d'outre-espace, cet élan n'est-il pas désamorcé par le constat de ce qu'il advient de l'homme lorsqu'il parvient au terme de sa puissance dominatrice sur la nature ?

Que deviendrait la mantrisse devant la toute-puissance des trusts étatsuniens et chinois ? Les belles plages d'Aldébaran résisteraient-elles longtemps au béton déprimant et à la fureur exploiteuse des faiseurs d'argent ?

Notre monde a perdu la merveille, et "Aldébaran" n'a pas plus de crédibilité que le jardin d'Eden. Etre humaniste, dans notre monde à nous, revient à prendre en charge les horreurs qui se commettent au nom de la liberté humaine.

J'ai assez de vicissitudes avec ma destinée personnelle. Porter le péché humaniste du monde, ce n'est pas mon truc.