Ashman
7.2
Ashman

Manga de Yukito Kishiro (1998)

Excellent à-côté pour la série Gunnm

Le manga Ashman ne fait que 134 pages dans un petit format. Les dessins ne sont pas chargés avec beaucoup de fonds blancs pour maintes cases, et le rythme du récit est assez lent et peu dense.
Vous allez lui consacrer une à deux heures de votre temps, et vous vous retirerez.
C'est peut-être à tout cela qu'on doit l'idée cliché que ce manga n'est pas digne de Gunnm et qu'il n'est pas indispensable à tous ceux que la série Gunnm n'a pas profondément marqués.
Personnellement, je pense différement. Mon approche, avant de lire le manga, c'est plutôt d'être méfiant sur le thème du "Motorball" qu'on associe à Gunnm, alors que c'est inspiré d'un film américain Rollerball. Puis, le Motorball, c'est pas la partie de Gunnm qui m'a le plus marqué.
En revanche, ce manga Ashman, wouw, c'est ce que j'aurais voulu dans Gunnm, c'est ce qui manque cruellement à Gunnm.


Le manga se fonde déjà sur une esthétique phénoménale, déjà c'est une petite œuvre d'art en soi. Je ne vais pas parler des pages couleurs où on retrouve l'art de Yukito Kishiro sur un mode d'images mêlant le réalisme de la photo floutée à la dureté d'un visage tendu comme sorti d'un jeu vidéo brutal.
Le principe du manga, c'est la constance d'un contraste extrêmement violent du noir et du blanc, avec de temps en temps l'apport nuancé en tiers de touches plus grisées. Le contraste entre le noir et le blanc repose sur pas mal de procédés. L'auteur ne va dessiner que les contours de ces personnages sur un fond blanc sans décor, tandis que vêtements et peaux seront eux aussi blancs. Seuls les contours d'une casquette sont dessinés au bas de la page 9 et le décor montre un grillage, mais pas ce qu'il y a derrière. Mais, en même temps, face à tous ces fonds blancs, on va avoir l'opposition de pas mal de cases complètement encrées en noir, celles avec les cartons de narration, celles avec les pensées, pour le coup, sombres, des personnages. Et ce côté sombre va au moins ressortir au plan des visages. La visière d'une casquette, par exemple à la page 15, répand de l'ombre sur tout un côté d'un visage. Et juste en-dessous, un personnage sourit dents blanches et yeux en demi-lunes, mais visage complètement foncé à l'intérieur de son casque.La diffusion de l'ombre sur les visages, les sourcils plus épais, la mise en relief brutale d'une tignasse très hérissée en tous sens pour le héros Snev, le trait un peu épais pour les contours des personnages, l'auteur étudie des moyens variés pour faire sentir le contraste du noir et du blanc, et pour créer par la même occasion un sentiment de présence des personnages, et une alchimie entre eux et les lieux. Il y a des scènes plus dures où l'auteur joue sur le contre-champ, scène atroce devant une fenêtre éclairée par le jour, ou bien scène de crime maculée. Evidemment, il va y avoir l'opposition des pages plus sombres et des pages lumineuses où le féminin vient donner une note différente et une note paradoxale puisque les créatures de rêve sont en fait des prostituées. Les pages 17 à 25 avec les nombreux dessins de Beretta sont assez impressionnantes. C'est un personnage mystérieux avec une très forte présence, et cela reste après la lecture du manga. L'auteur n'hésite pas à lui donner des bouilles expressives moins valorisantes, puis sur certains dessins elle reprend ses poses sensuelles de femme désirable et énigmatique. A partir de la page 78, le héros marche à nouveau dans des pages très blanches, à la lumière du monde de la prostitution de la rue. On voit que c'est pensé.
L'auteur utilise aussi les ressources typiques du manga des dessins qui déclinent comme un moment ciné, avec plusieurs dessins d'un personnage qui ne bouge pas vraiment ou qui ne fait qu'un petit geste. Et page 90, on a un jeu de champ / contre-champ, avec un personnage qui fait avec la main un deuzio puis un tertio sur deux dessins différents, sauf que sur le premier on est tourné vers lui dans l'ombre et sur le second la main est passée de blanche à grisée et le héros a le visage blanc, mais le cache en se prenant la tête dans la main.
Les gros plans sur des visages caricaturaux et sur de gros yeux abondent dans ce manga également.
Et pour son esthétique, on ne peut manquer de parler des effets de vitesse dans les images. Les ressources ne sont pas franchement réinventées, mais qu'est-ce que c'est expressif ! Page 10 : la position du gars qui court, un peu façon les coureurs de 100 mètre dans Devilman crybaby, la main traînant à l'arrière en-dehors de la case, le port du casque qui symbolise la vitesse alors que le gars est quasi comme sans équipement, quasi comme à pied pour le reste. Le jeu sur les brumes, sur les parties grisées, et sur les lignes de vitesse confondues avec les plis des jeans immobiles. Dans le dessin expressif, il y a du niveau : une superposition de l'effet vitesse, de l'effet spectacle et de l'effet légende. Pour la collision sur une double page à la fin du chapitre #1, je ne commente pas. L'effet de courbe franchie à vive allure au bas de la page 39, c'est encore du dessin divin. Il faut le voir, le commenter ça vous aidera pas trop.
Beaucoup de dessins jouent évidemment sur la représentation en oblique, en perspective cavalière avec les traits de vitesse, mais il faut voir aussi comment les dessins s'enchaînent. A la page 48, On a un contraste des deux dessins du dessus, l'un en légère plongée face aux coureurs, l'autre en
légère contre-plongée à l'arrière des coureurs. Il faudrait aussi parler des angles, mais en gros on a un rendu intéressant moins de la vitesse que du côté prouesse car les deux dessins mettent en avant les patins des coureurs et le côté souplesse d'articulation des corps pour assurer en course.
Puis, on a un symbolisme évident à la page 120 avec le personnage qui comme disparaît au loin à l'horizon insaisissable, plantant tout le monde sur place par sa vitesse, puis page 123 on a un écho à ce dessin, mais sur un dessin qui fait toute la page et dont les éléments créent un délire symbolique cosmique avec la traînée donnant l'impression d'un sillage et les rayons du soleil, avec un fort encrage noir crépusculaire en même temps que le soleil fait sacré, sachant que la course n'est pas terminée et laisse encore de la place à une ultime péripétie.
Il faudrait ajouter les dessins fantasmagoriques, mais liés à ce qui se passe concrètement dans le scénario, puisqu'il ne s'agit pas de fantasmagories non motivées et seulement symboliques, par exemple le secteur des pages 114 à 117, d'ambiance démoniaque.
Je suis loin d'avoir tout dit sur les dessins, mais c'est une tuerie. C'est faux de dire que ce manga n'est pas indispensable.
Après, pour l'histoire, il est inspiré du film Rollerball et tout à fait dans l'esprit des mangas cyberpunks des années 90. Snev participe à des courses de rollerball, mais pour des raisons peu claires il se casse toujours la gueule en course. Or, les agents veulent le voir sur la piste parce que ses crashs attirent les spectateurs. Le public est assez hypocrite : les gens veulent le voir se crasher, mais le considèrent comme un minable, puis comme quelqu'un qui le ferait même exprès et qui n'aurait pas de fierté sportive. Le Motorball est aussi un lieu d'affaires où le dopage est plus que jamais de la drogue véritable et où les sportifs sont traités comme des animaux qu'on manipule. Une petite astuce de lien avec la prostituée Berretta permet à l'histoire de ne pas se limiter à un récit de corruption dans le milieu de courses à spectacle truquées. Et la révélation du casier en bas de page 93 est bien conçue pour montrer toute la hideur de ce monde et aussi en contrepoint toute la beauté qui peut rester dans l'ordre du déchu.
Le manga m'a coûté 7,22 euros, je le recommande chaudement à tous ceux qui veulent un manga d'action avec une vraie conception artistique des dessins, de la mise en page.

davidson
8
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le 26 janv. 2021

Critique lue 57 fois

davidson

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