Une oeuvre pionnière en 1986, une cruelle déception en 2019

Au moment de lire "The Dark Knight Returns", plus de trente ans après sa première publication, je partais très confiant. Le nom de Frank Miller était la promesse d'un grand plaisir de lecture : son "300" a été, avec "Watchmen", l'une de mes découvertes les plus marquantes en matière de BD. Précédé d'une foule de critiques élogieuses, "The Dark Knight Returns" n'a pas volé son statut d'œuvre pionnière. En créant un Bruce Wayne quinquagénaire en lieu et place de l'habituel play-boy en pleine force de l'âge, Frank Miller a, paradoxalement, réussi l'exploit de redonner un coup de jeune au personnage, à une époque où il faisait de moins en moins recette auprès des lecteurs. Son Batman plus sombre, plus violent, plus mature, a ouvert une brèche dans laquelle s'engouffreront tant d'autres auteurs plus ou moins talentueux... Rien que pour cela il mérite la gratitude éternelle de tous les amoureux de Batman. Mais c'est à peu près le seul point positif que je trouve à "The Dark Knight Returns". Car en tant que telle, sans tenir compte de son indéniable et inestimable valeur "historique", cette BD a été pour moi une cruelle déception.


Par quoi commencer ? Le graphisme ? Malgré une poignée de jolies planches, l'esthétique globale, il faut le dire, est assez repoussante. Il y a un certain nombre de dessins qui ne m'ont pas paru seulement laids, approximatifs ou datés, mais tout bonnement indignes d'une publication professionnelle, qu'on soit en 1986 ou en 2019. Je n'en doute pas, oser formuler une telle opinion fera de moi un béotien aux attentes superficielles, un rustaud qui n'a rien compris. Mais la posture consistant à soutenir que l'aspect graphique est sans importance me laisse toujours perplexe : dans ce cas, pourquoi lire des BD... pardon, des romans graphiques, et pas des romans tout court ?


La narration ? En général j'apprécie ce genre de récits nerveux, non linéaires, qui partent un peu dans tous les sens. Par contre il faut que ce soit très clair visuellement, qu'on sache d'emblée qui est qui, qui fait quoi et ce qui se passe... À cause du point précédent, ce n'est pas du tout le cas ici. En préface, Frank Miller nous apprend que, dans les premières versions du projet, "The Dark Knight Returns" était "un mélange de choses plutôt cools", "pas vraiment une histoire à proprement parler", "un vrai merdier"... Tout au long de ma lecture, j'ai eu le sentiment gênant que le "produit fini" était du même ordre : confus, brouillon, parfois à la limite de l'illisible.


Les personnages ? Ce Bruce Wayne quinquagénaire, poussé par les événements à sortir de sa retraite pour combattre le crime une dernière fois avant de tirer sa révérence, avait tout pour me plaire. Mais là encore, le traitement de cette idée ne m'a pas convaincu. Le héros sur le retour a beau se plaindre sans cesse de l'amenuisement de ses capacités physiques, il se montre plus bourrin que jamais, résolvant tous les problèmes à coups de poings. Superman n'est ni plus ni moins intéressant que d'ordinaire, autant dire pas très passionnant. Les vieux Green Arrow et Catwoman sont anecdotiques. Pire, mon habituel chouchou, le Joker, m'a laissé indifférent, signe que je n'ai accroché à rien ou presque... Allez, peut-être à ce nouvel avatar de Robin. La présence aux côtés de Batman de la jeune Carrie semble naturelle, elle n'est pas pour Frank Miller un prétexte pour nous servir un discours revendicatif (idem pour la policière qui remplace Jim Gordon à la tête du GCPD, d'ailleurs) : le nouveau Robin est une fille, comme il aurait pu être un garçon, son sexe ne change rien à l'affaire. Voilà qui est appréciable... bien qu'il soit un peu inquiétant de voir un réac' notoire être plus avancé sur le sujet en 1986 que pas mal de prétendu·e·s progressistes actuel·le·s.


Le scénario ? Entre une génération spontanée de "mutants" assez ridicule et l'énième menace nucléaire pesant sur l'Amérique, je regrette de n'y avoir pas non plus trouvé mon compte. J'aurais pu aimer le traitement des médias, très pertinent sur le fond : en entrecoupant son scénario d'innombrables interventions télévisuelles, souvent outrancières et hors de propos, Frank Miller illustre bien le parasitage permanent des médias dans nos existences (une vingtaine d'années avant BFM et les réseaux sociaux !) Mais trop c'est trop, l'insistance, la répétition, sont lassantes et ne font que rendre la lecture pénible. Le bombardement d'informations est d'ailleurs l'une des caractéristiques essentielles de "The Dark Knight Returns". C'est sans doute la raison pour laquelle je n'ai, entre autres, pas bien saisi les causes qui mènent à l'affrontement final entre Superman et Batman, par conséquent le point d'orgue du récit est tombé à plat. Pour le coup une relecture serait nécessaire. Encore faudrait-il en avoir envie.


Je suis très chagriné d'être passé à côté de cette BD, et si mon modeste avis de lecteur déçu n'enlèvera évidemment rien à son statut d'œuvre emblématique et adulée, ça va un peu mieux en l'exprimant. Alors que je me faisais une joie de poursuivre ma découverte des grands classiques de Batman qui manquent encore à ma culture comics, maintenant j'appréhende de lire des chefs-d'œuvre reconnus comme "The Killing Joke" ou "Arkham Asylum"...

Oliboile
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le 18 mai 2019

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