Dans le New York des années soixante-dix, les barons du crime organisé règnent en maître. Rorschach, pour qui le bien et le mal n’ont aucun intermédiaire, lutte sans relâche contre la prolifération des activités illicites dans les rues de sa ville. Ce faisant, il est rapidement pris pour cible par un criminel dont la drogue et la prostitution sont le gagne-pain. Concentré sur ce dernier, Rorschach fait l’erreur d’en laisser un autre sévir impunément…

S’il y a bien un titre que j’attendais tout particulièrement à l’annonce de Before Watchmen, c’est bien celui centré sur Rorschach.
Déjà rien que pour le personnage, s’il y a bien un personnage qui m’avait parlé dans Watchmen, c’est bien lui. Force brute pour une justice expéditive et sans concession. Personnage sombre, froid, distant mais voulant laisser une trace de son œuvre qu’il juge indispensable, dans son carnet. Ce fameux carnet qui lui permettait en fait d’échanger avec nous lecteurs.
Titre attendu de par l’équipe du Joker, Brian Azzarello, du génial 100 Bullets ou encore Wonder Woman version New52, à l’écrit et le talentueux Lee Bermejo pour les dessins. Forcément avec un tel casting, on salive d’avance.
Mais il arrive de temps à autre, que la sauce ne prenne pas, que les auteurs n’arrivent pas à s’approprier le personnage, qu’ils n’arrivent pas à s’approcher de l’essence qui fait ce qu’il est, ce qu’il représente, ou bien encore que le personnage ne conviennent pas aux auteurs. Et c’est avec un grand regret que j’ai découvert un Rorschach auquel, pour moi, Azzarello n’a absolument rien compris. Gâchant totalement ma lecture, pourtant tant attendue !

Ouh là, avec une telle intro, la messe est dite. Mais c’est vraiment pour montrer à quel point j’ai été déçu. Pourtant cela commençait plutôt bien avec les dessins, toujours plus photoréalistes, de Lee Bermejo. L’artiste nous dessinant une New York de la fin des années 70, sale, morbide, où la violence, le sexe et la drogue règnent sans partage dans les rues sombres et dangereuses de la mégalopole. Dès les premières pages le ton est donné, une femme nue, morte, entrain de se faire scarifier, une prostituée qui sort de sa passe derrière une poubelle dans une ruelle, un drogué entrain de jouer à cinq contre un devant un film porno juste avant de s’injecter sa dose. Le décor est planté. Et les personnages de Bermejo sont beaux avec leurs défauts. Ils font crédibles. On a l’impression d’être devant un film sur papier.

Mais le plaisir s’arrête là. Car on comprend très vite que le ton n’est pas là. Azzarello essaie, un temps, d’adopter la narration d’Alan Moore. Mais très vite le monsieur est dépassé. On sent qu’Azzarello n’arrive pas à transmettre la même froideur que son illustre prédécesseur en nous narrant les pensées de Rorschach. Cela ne prend pas. Là où nous avions un Rorschach capable de nous figer sur place rien que par la parole, on à l’impression de se retrouver avec un type quelconque nous racontant sa vie, ne croyant pas lui-même à ce qu’il raconte. Les phrases courtes, souvent sans verbe, de type impératives, sont remplacées par de vraies phrases, banales de types indicatives. On perd toute l’essence même de Rorschach ! Où est cet homme capable de me tuer avec une phrase, qui imposait son charisme fou avec un simple mot ?

Il y a deux axes dans la minisérie d’Azzarello. Rorschach lutte contre la pègre à New York. Remontant un trafic de drogue, il va se retrouver face à une montagne de muscle, au visage complètement ravagé. : Crane Cru (oui vive le nom…), résultat Rorschach à l’hôpital. Il ne restera que peu de temps afin de se lancer dans la deuxième ronde pour se venger mais le résultat sera encore pire… Se dire que sans certains évènements (dont un assez incongru et sorti de nulle part) notre héros serait mort… Autour de cette guéguerre puérile, sans fond et inintéressante, Rorschach est également aux trousses du Barde, assassins de femmes, aimant laisser leurs cadavres nus recouverts de messages écrits au scalpel. Et alors que Rorschach passe son temps à se faire tabasser par Crane Cru et ses hommes, il trouvera le moyen de remonter la piste du Barde.

Mais Azzarello ne se contente pas de perdre son personnage, non, il construit une histoire quelconque, en ne pointant qu’une seule facette de Rorschach. Son retrait. Comme si le Rorschach d’Alan Moore ne se résumait qu’à sa mise à l’écart de la société car il ne la comprend pas. Ou plutôt il l’a comprend trop bien justement et en est dégoutté. Cela dit, Azzarello va répéter l’erreur, également, sur Le Comédien. Non, il y a l’intelligence de tout prévoir, de tout déchiffrer, là il se fait avoir comme un bleu et ne doit son salut qu’à une manif !!??!! Il y a l’assurance, il est sûr de lui et de sa force, là on se retrouve avec quelqu’un d’indécis, prenant un temps fou à se décider. Il y a le charisme, de par la narration (comme déjà traitée) mais aussi par son masque, son identité secrète, là aussi encore une erreur d’Azzarello selon moi d’avoir traité Rorschach et son alter ego Walter Joseph Kovacs, il perd de son impact. Et surtout, on découvre son identité dans Watchmen, il aurait été logique dans Before Watchmen de ne traiter que du masque. Il y a le côté asocial, Azzarello fait comme s’il l’était et à côté il le fait draguer une serveuse…

Histoire creuse, absolument pas intéressante, à des lieux de Rorschach, n’apportant, comme beaucoup de titres de ce Before Watchmen, aucune lumière sur le passé du personnage, n’apportant rien à sa mythologie vu qu’il ne traite absolument pas du même Rorschach. Mais même sans cela, l’histoire d’Azzarello ne sert à rien, tabassage, tabassage, tabassage, serait également un bon résumé.

Bref, j’avoue avoir du mal à aller au bout de ses, seulement, cent douze pages. Plus je m’engouffrais dans ce New York glauque au côté de « ce » Rorschach sans saveur, sans identité, sans utilité, plus j’étais au bord des larmes (de voir ce qu’Azzarello faisait au personnage), et au bord de l’endormissement (tellement l’intérêt était intense…). Et si les dessins de Bermejo sont extras ils restent néanmoins bien trop éloignés de ceux de Gibbons et du style oldies collant au titre. C’est beau, c’est malsain, c’est sombre, les looks correspondent aux années 70 mais il y a un petit quelque chose qui ne colle pas, qui fait trop moderne, sans doute le style du dessinateur. Mais là ce n’est pas sa faute, mais plus celle de DC Comics de lui avoir confié ce titre a dessiner. Et après une telle lecture, on se demande tout court si l’erreur de DC Comics n’aura pas été d’avoir sorti Before Watchmen… Quand je vois ce qu’Azzarello nous pond sur Rorschach, je crie au massacre. !
Si vous voulez découvrir Rorschach, je vous conseille de lire Watchmen !
Romain_Bouvet
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le 21 févr. 2014

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Romain Bouvet

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