Chroniques de Jérusalem
7.8
Chroniques de Jérusalem

BD franco-belge de Guy Delisle (2011)

La grande histoire par le petit bout de la lorgnette

Je précise en ouverture que j'aime Guy Delisle. Ou je l'ai aimé. Ou non, je l'aime.


Enfin j'aime son dessin, je trouve qu'il raconte bien... et j'ai adoré ses premiers opus de voyage... Surtout le SHENZEN où il réussit à raconter une année entière passée en CHine en tant que responsable de studio d'animation, une année durant laquelle il ne se passe... strictement rien.


Et de ce rien, Delisle sort un livre extraordinaire, il sort sa lognette, fixe avec le côté grossissant des micro-miettes de vie et en fait un monument.


Ce livre est, je pense, un exemple à montrer à tout auteur voulant faire de l'autobio à partir d'une vie vide. Un chef d'oeuvre.


Par la suite, Vient le PnomYang en Corée du Nord, passionnant voyage au pays de la dictature communiste et du culte de la personnalité. Un petit pseudo-propos politique vient me déranger un poil la lecture avec la rentrée en douce d'un 1984 de George Orwell, sorte de petit défi (woooo dangeeeeer) un peu dérisoire et pathétique, surtout de la part d'un type qui vient bosser pour le régime ou du moins apporter des sous en gérant un studio d'animation, se faisant par la même l'instrument du capitalisme forcené exploitant les pays pauvres ET du communisme à visage inhumain.


On avouera que ce petit défi est à ramener à l'aune de son propre engagement dans le système.


Mais en dehors de ça, c'est un très bon livre, à nouveau, Guy Delisle utilise sa lorgnette pour mettre en avant du détail révélateur et c'est génial. Son dessin minimal excelle à cet exercice de dissection de la poussière. Son personnage naïf arrive à mettre les pieds dans les plats qui grattent où il faut et c'est très jouissif.


Et puis... et puis arrive les opus moins bons... qui se conjuguent avec le départ de l'Association pour passer chez Shampoing (je ne crois pas que ce soit liés, mais bon, c'est un fait).


Avec Chroniques Birmanes, le personnage de Delisles, probablement handicapé par son nouveau rôle de père à la maison va moins loin et, au lieu de se plonger dans le détail du pays où il traine sa poussette semble prendre plus d'intérêt aux couches de son môme qu'à son pays de résidence.


On approche du fond lors d'une virée en poussettes devant la résidence surveillée de l'ancien présidente en dissidence. Des considérations politiques d'une profondeur digne d'une réunion d'un syndicat étudiant en première année en socio viennent donner une lourdeur d'éléphant en crise de boulimie a un propos dont la légerté ne tient plus qu'à l'absence de fond.


Bref, un livre bien creux, célébré par une critique qui doit se rattraper après avoir raté les deux premiers opus. Du carnet de voyage à la sauce autobio de père au foyer, un intérêt assez faiblard, même si c'est toujours aussi bien dessiné et raconté.


Le fond est atteint avec les Chroniques de Jerusalem. Cette fois, notre père au foyer désoeuvré prend une nouvelle responsabilité... celle de compagnon d'une femme engagée dans une ONG caritative. Le séjour à Jérusalem se passe alors que la guerre vient de reprendre de sortir d'une relative létargie. On pourrait coire que, de cette actualité chaude, Delisle ferait un livre passionnant, c'est exactement l'inverse.


Sa lorgnette qui autrefois lui servait à grossir le détail pour en faire un élément fort lui sert désormais à réduire les évènements historiques à la taille de l'anecdotique, pour en faire une bouillie prémâchée facile à avaler.


Les bombardements lointain empêchent bébé de dormir, oulalala, les populations déportées requierent la présence de madame, alors papa doit tout se cogner tout seul... Bon dieu, le champagne est devenu si tiède dans les soirées d'expatriés, ah tout de même qu'on est bien entre soi.


Bref, ce livre, qui a été récompensé d'un prix à Angoulême est le niveau zéro du reportage, une honte au niveau du propos humanitaire, la couverture blanche peut sans doute être vue comme une alégorie au syndrôme de la page blanche. A ce stade de non interrogation sur ce qu'on fait, on est en droit si le brillant narrateur de Shenzen n'a pas subit une lobotomie, probablement à mettre sur le compte de la naissance de sa progéniture.


Par ailleurs, Guy Delisle se spécialise à côté sur le propos banal et le gag convenu en matière de paternité. C'est moche. RIP Guy Delisle. Et bravo pour le prix à Angoulême, ça a du bien vendre après.

CapitaineNemo
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le 30 août 2015

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CapitaineNemo

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