Dark fantasy avec un côté shônen, mais un remarquable scénario tout de même

Bon, je vais allonger la critique au fur et à mesure que je lis le manga et quand j'aurai fini, j'enlèverai cette première phrase, tout ça histoire de ne rien laisser en chemin.

La série était excellente, là je lis le manga. L'idée, c'est de réagir face à quelques remarques : les dessins seraient simplistes, ce serait un sous-Berserk, le début serait moins intéressant à lire avec des combats répétitifs vécus par certains comme inutiles. Je vais spoiler d'entrée de jeu, puisque ma critique est en réaction et va mettre les points sur les I.
Donc, la succession répétitive des combats. D'abord, l'héroïne est une pourfendeuse de démons et des missions lui sont confiées avec des primes, et sa vie n'est que ça, pas de place pour l'émotion et la vie humaine en principe. Donc, cette structure du récit est normale. Ensuite, justement, l'intérêt est de ne pas s'arrêter qu'au combat. L'héroïne entre dans une ville, fréquente les gens, subit leurs réactions, interagit un peu avec eux, elle traque le démon avec de la ruse, de la patience, etc. Et sur les deux premiers volumes, on a très peu de missions différentes, on prend le temps de les raconter. La première mission est celle qui consacre la rencontre des deux personnages principaux, la claymore et le garçon qui après avoir perdu toute sa famille va s'attacher à elle. Au passage, il y a une subtilité que peu de lecteurs auront appréciée, je parie, puisque, alors qu'elle traque le démon, le garçon la suit et arrive près de son dos. Là, elle se retourne et abat son épée sur lui, l'arrêtant juste à temps. Le lecteur peut naïvement croire qu'elle s'est simplement sentie suivie, alors que pas du tout, elle a senti autre chose. Un peu plus tard, quand elle tue le démon, elle explique que le garçon puait et que ça lui a mis la puce à l'oreille. Avec le manga, le côté pleurnichard du garçon est plus facile à supporter que dans l'animé où on se prend le son et tout en bloc.
La deuxième mission montre l'héroïne en train d'affronter un groupe de démons, ce qui est inhabituel de leur part apprend-on au passage. Et ensuite, on apprend que le garçon de la première mission a été chassé du village parce qu'on a peur qu'il soit lui-même un démon vu que sa famille a été décimée. La claymore le sauve et l'emmène dans un hôtel qu'elle paie pendant que dans la ville elle part en mission. Or, elle a été vue en train d'amener le garçon et le démon tend un piège au garçon en se déguisant en claymore pour ensuite attirer dans un piège notre claymore qui s'appelle Claire. Ces trois missions ont été l'occasion d'approfondir notre connaissance de la claymore, des démons dits "yoma", de voir évoluer le caractère humain de la claymore Claire soumise à une interaction humaine insistante de la part du garçon. Même dans la deuxième mission, si le garçon n'est pas là, on apprend des choses sur l'humanité et le mal-être de Claire avec l'homme qui la charge de missions et récupère les primes. Il est donc bien difficile de trouver le scénario léger.
On a une mission intermédiaire où Claire doit tuer sa meilleure ou même sa seule amie claymore. Comme elles finissent par perdre le contrôle de leur nature démoniaque, les claymores se tuent entre elles et mettent un point d'honneur à mourir quand elles ont encore une nature humaine. Cela renforce notre intérêt pour le personnage de Claire et éclaire nettement son mal-être et la nature dramatique de son existence. On comprend sa solitude, son refus de s'attacher.
La quatrième mission contre un démon ou la cinquième mission, c'est selon, approfondit des aspects déjà abordés, et notamment celui de l'exclusion sociale des claymores en tant que demi-monstres. Cette fois, la mission se déroule dans une ville sainte où elle doit éviter de se faire reconnaître en tant que demi-démon. On apprécie l'hypocrisie autour des claymores : on fait appel à leurs services, mais on les craint et les rejette. On apprend que les démons peuvent s'emparer du corps de cadavres et on a un peu de sacrilège le démon se vantant même d'avoir effrayé les prêtres en prenant le corps d'un saint. Le suspense est ménagé, même si on devine facilement ce qu'il va arriver. On voit aussi d'autres personnages s'attendrir pour la claymore dans le combat commun qui se livre, jusqu'à la scène provocante du baiser volé qui rend jaloux le garçon désormais compagnon de Claire. Ce baiser volé permet de révéler les sentiments entre la claymore et le garçon qui l'accompagne, bien qu'il soit juste spectateur pour le coup, et cela permet aussi de voir l'évolution positive des gens au contact de cette claymore qu'ils ont appréciée dans l'action.
A partir de là, on passe dans le troisième volume à l'histoire de Teresa et du passé d'humaine de Claire, avec un renforcement de la symétrie déjà annoncée entre elle et le garçon. Tous deux ont perdu leurs familles respectives à cause d'un démon, mais tous deux s'attachent à une claymore en leur temps.
Il faut remarquer aussi que Claire était très fermée, justifiait par des arguments contournés le fait qu'elle sauve le garçon ("ne te mpérends pas, j'ai fait ça parce que...") avant d'être très rapidement aimante. Teresa est beaucoup plus brutale au départ que Claire, mais finit par être aussi aimante.
Après, il y a une piste qui ne sera peut-être pas suivie dans le manga et qui ne l'était pas dans l'animé si je ne m'abuse, c'est celle du yoma qui s'empare d'un humain, mais l'humain pleure alors que le yoma agresse son frère. Donc, cet humain vit encore dans le corps occupé ou en tout l'alchimie de la possession crée des paradoxes. Egalement, on a le passé de Claire avec Theresa, mais on aurait pu avoir le passé de Claire avec Elena, la claymore qui fut sa seule amie parmi les claymores. Il y a donc des pistes qui sont oubliées par l'auteur et jamais explorées, à s'en fier à l'animé, puisque je ne connais pas encore la suite...
Les dessins sont très beaux. On a des bâtiments médiévaux, etc. Les formes monstrueuses le font, sont saisissantes. On a une excellente dynamique dans la mise en page, dans la relation des cases entre elles. L'auteur crée des contours et saturent le dessin des contours quand il choisit dans une case de représenter la ville. On a des pages assez blanches, mais parfois nourries en détail. Il y a juste peut-être un abandon à des poses shônen pour l'héroïne principale un peu clichés, avec parfois une proportion des bottes un peu trop appuyées, mais face à cela on a aussi des dessins stylés pour les combats avec une recherche de l'effet dynamique, et un jeu façon cinéma sur des cases qui se succèdent. Les visages sont peu différenciés entre les personnages, mais les yeux sont très finement dessinés et expressifs.
Quant à la forme surréelle des claymores, silhouette très fine avec une épée énorme, elle est revendiquée comme fantaisie étrange dès les premières pages, puisque des villageois commentent eux-mêmes le contraste entre le corps filiforme de Claire et l'énorme épée claymore, il s'agit donc d'un argument voulu de l'ambiance fantastique.
Le scénario va devenir plus fort encore dans les volumes suivants, mais déjà là c'est tout à fait conséquent et bien géré.