A quoi tient donc l'originalité et donc la bonne tenue de cet album ? Non les situations qui sont vues et revues, et a priori pas les réactions des personnages qui semblent maintenant, au bout de 18 albums, caricaturales et répétitives : Haddock qui s'énerve et vole la vedette à Tintin (plus ça va et plus Tintin devient "Les Aventures du Capitaine Haddock" (exemple pages 55-56: 15 cases montrent Haddock, et seulement 3 montrent Tintin)), Tournesol distrait mais marrant, Tintin d'une neutralité exemplaire... Eh bien non ! Coke en Stock est réussi en ce que les personnages de Hergé nous surprennent. Aux situations revisitées répondent des personnages qui changent. Je vais le montrer.


D'abord, nous sommes bien dans Les Aventures de Haddock. Le vieux mène la danse, il fait avancer l'action (au lieu de se cantonner au rôle de faire-valoir grincheux de Tintin), et assure le quotient humoristique de l'album en enchaînant les gags : non seulement il bouge dans tous les sens à la Charlot, non seulement il a ce vocabulaire fleuri qu'on lui connaît, mais à présent il fait des bons mots, a apparemment de l'esprit : « je commence à avoir l'habitude » page 47, stoïque... « J'espère qu'elle regarde au moins où elle va, elle ! » page 53. et puis ce comique involontaire, très bon ici, avec par exemple sa panique à la vue d'un périscope. Page 56 c'est le festival Haddock.


Il y a néanmoins trop de personnages secondaires (parfois injustifiés, et Szut a peu de charisme), trop d'intervenants (n'y avait-il pas moyen de s'en sortir sans les Américains?)... Encore une fois l'économie de moyens et de personnages des débuts de Tintin rendaient ses exploits extraordinaires, en faisaient un héros, alors qu'ici c'est plus Haddock qui étonne le lecteur par son énergie d'abord (il n'arrête pas de s'agiter, de parler, et communique bien plus avec les autres personnages que Tintin), et par ses capacités ensuite (c'est quand même lui qui répare les machines du bateau, page 45).


Entre le très bon et rythmé Affaire Tournesol et le fameux Tibet, Coke en Stock s'avère légèrement décevant. Oui on peut voir la déprime à travers cet album, une certaine lassitude aussi, une lassitude envers Tintin, remplacé pour faire l'action par Haddock, vieux barbu désillusionné mais capable de tendresse, caricature du Bourru Bienveillant dont parle Roland Barthes, et donc... du bourgeois, peut-être le bourgeois qu'Hergé est devenu.

Bernardo
8
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le 16 mai 2015

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