Gare au coyote et aux éclats de rire

Même si Nabuchodinosaure n’est pas la série la plus connue du paysage éditorial pour la jeunesse, le dinosaure vert résiste coûte que coûte depuis trente ans avec une vingtaine d’albums chez trois éditeurs différents.

Avec Coyotte Bill, ses créateurs Herlé et Roger Widenlocker changent de héros, de cadre et même de public. Coyotte Bill est un détective privé, qui a toutes les caractéristiques attendues d’un tel personnage sorti d’un film noir. Mais il évolue dans un monde de la justice et du crime anthropomorphisé, s’inscrivant entre le Canardo de Benoit Sokal et Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido. Lui même étant un coyote. Qui s’appelle Bill. D’où le titre.

Seules les femmes auront des traits plus humains, bien que l’exagération de leurs formes ne soit guère réaliste, elles sont bien à l’étroit dans leurs petites robes. A quelques exceptions près, ces femmes sont d’ailleurs plus des boniches sans cervelle que de véritables rôles. Sur ce point, l’humour de Coyotte Bill est celui de garçons.

En dehors de ce point, il faut reconnaître que Coyotte Bill se révèle assez drôle, usant et abusant d’un humour absurde à la sauce Monty Python ou ZAZ (les réalisateurs, pas la chanteuse, merde). Entre jeux de mots parfois discrets, parfois immanquables, et scènes décalées, la série est d’une grande richesse, et peu importe si elle peut être lourde ou rater son gag, un autre arrive.

L’une des caractéristiques les plus réussies de cet humour, sont ses enquêtes qui ne se déroulent pas sous un format classique, bien au contraire. La première reste presque classique dans sa forme, avec notre anti-héros à la recherche de l’explication d’un assassinat de masse par des enclumes tombées du sol. Demandant à l’inspecteur qui l’accompagne dans ses aventures s’il y avait des témoins : « oui, une soixantaine. Ils affirment que les enclumes sont tombées du ciel !!: Bien entendu je les ai tous fait interner dans un asile ! ». C’est aussi ça l’humour de Coyote Bill, de se moquer de ses enjeux ou de la perspicacité toute relative de ses personnages. D’ailleurs pour une autre aventure, persuadés d’avoir trouvé le coupable, ils n’écouteront même pas la veuve avouer son crime, la laissant seule dans la pièce qu’ils quittent sans un regard pour elle, condamnant donc un innocent.

Dans un autre épisode, la résolution du mystère sera même cachée par un autre bout d’histoire, qui n’a strictement rien à voir avec les personnages habituels. Chacun de ces épisodes est composé d’un nombre de pages qui n’est pas fixe, passant à de « grands » moments à d’autres plus expéditifs, selon les besoins de l’auteur et du dessinateur. Roger Widenlocker reprend son trait cartoon de Nabuchodinosaure mais en l’affinant ici, aux compositions plus détaillées. Ses personnages sont toujours aussi expressifs et même s’il a la main lourde sur ceux féminins, ces mesdames sont très jolies, à faire hurler un loup de Tex Avery.

Malgré ce petit 1 sur la tranche, Coyote Bill n’aura pas de suite. Dommage. Avec le personnage, on devine que Herlé et Roger Widenlocker lâchent les chiens (et le coyote), assumant un humour farfelu et absurde aux milles idées (pas toujours bonnes, mais c’est le jeu), encore plus réjouissant quand il déjoue les attentes devant ce que devrait être une enquête traditionnelle.

Pourtant, si ce tome est sorti en 1996, il semble que le personnage soit en fait antérieur à Nabuchodinosaure. Il apparaît dans Sale temps pour les cigales ! de 1989, une BD commandée par une institution, ce qui se faisait beaucoup à l’époque, le Syndicat mixte de défense et de valorisation forestière du département du Vaucluse, afin de sensibiliser contre les feux de forêts. Un sacré come-back en 1996 pour le personnage, mais dans un titre certainement bien plus brûlant que celui de 1989.