Bon sang que j'aurais aimé qu'il s'agisse d'une entrée en matière pour une suite éventuelle. Au vu de ce qui nous a été apporté avec ce One Shot, tout prête à penser qu'il s'agissait pour les auteurs d'exploiter un thème du Death Note qu'ils n'avaient pas pu aborder durant la trame précédente faute de risquer le hors-sujet.


Aussi friand de Golden que d'intrigues sournoises, Ryuk remet le couvert et s'échappe à nouveau dans le monde des hommes. Plus question, contrairement à la dernière fois, de remettre le Death Note au hasard (le hasard ayant bien fait les choses la fois dernière). D'après les dates, sa quête pour un possesseur digne de ce nom lui prendra près de six ans (entre 2013 et 2019). Light l'aura sans doute marqué autant que nous pour que le Dieu de la mort se montre aussi scrupuleux.
Première crainte en lisant (à qui je vais faire croire ça... je fais confiance à Ohba et Obata les yeux fermés), celle de retrouver un autre maître de l'intrigue à la hauteur du précédent Kira. Non pas que Light m'ait jamais déçu ; son cheminement vers la plus pure mégalomanie calculée au gré de ses intrigues tortueuses m'aura ravi jusqu'au bout. Toutefois, ne pas lui trouver un successeur à la hauteur de son intellect eut été prendre le risque de ne pas surprendre le lecteur grâce à des manigances tordues, là où trouver quelqu'un à sa pointure aurait manqué de virer au recyclage. La crainte se dissipe très vite.
Bien que nous n'aurons pas l'occasion de faire amplement connaissance avec Minoru, nouveau possesseur du Death Note, nous saurons de lui que ses capacités psycho-techniques sont à la pointe là où ses compétences académiciennes descendent bien en dessous de la médiocrité. Mieux encore, plutôt que de s'abandonner à l'immoralité la plus ostentatoire et de remplir frénétiquement le Death Note comme s'il s'agissait d'un annuaire, il n'écrira pas un seul nom.
Un personnage plus posé, amoral et brillant mais connaissant ses limites, le Kira nouveau est arrivé, buvons ses malices sans modération.


Pareil à Ryuk, les intrigues et les astuces de haute volée ne manquent jamais de me faire saliver jusqu'à la déshydratation. Longtemps j'aurais recherché cette sensation produite par les jeux d'esprit. Il aura fallu gérer le manque par une cure à base de Liar Game, Kaiji entre autres palliatifs faisant pâle figure en comparaison (Kakegurui, Gamble Fish, Akagi, One Outs, Todomachi Game, Usogui, j'en passe et des meilleurs).
Pour avoir donc acquis une modeste expertise en matière d'ingéniosité dans les jeux d'esprit au cours de mes lectures d'œuvres basées sur le même thème, j'avais noté que le ressort commun à ces fictions était encore la faculté des personnages à savoir se jouer des failles juridiques dans les règles du jeu qui leur était imposées. Death Note aura joué de ça pour nous prendre de revers plus d'une fois. Les auteurs transforment ici l'essai.


Pas de Justice divine qui tienne, on verse cette fois dans le crapuleux de basse envergure et pourtant... une crapulerie qui bouleversera l'ordre établi dans le monde durant un bref instant. Tuer, c'est bon pour les idéalistes ; au fond, Light était un grand romantique comparé à Minoru. La donne change considérablement par rapport à la trame précédente puisqu'il est question de vendre le Death Note. Le monde ayant été témoin par le passé de la portée de son pouvoir, très vite, les masses s'agitent.
Near reste aussi apathique qu'impuissant. Puisqu'il faut - pour des raisons scénaristiques - laisser le plan se porter jusqu'à son terme, il n'est pas permis de développer un antagonisme en si peu de temps. Near restera le spectateur strict de cette vente aux enchères, accompagnant les tenants de ses commentaires afin d'éclairer le lecteur sur le caractère - quasi - infaillible du plan de Minoru. Ce dernier n'en aura d'ailleurs que davantage de mérite, les avancées en terme de cyber-sécurité et le développement des caméras de surveillance rendant en principe sa manigance plus compliquée que par le passé. Une habileté à intriguer pas seulement présentée par l'intrigue, mais démontrée par les faits. Et putain, c'est beau.


Vente aux enchères au cours de laquelle Minoru conservera son anonymat le plus total par l'emploi de dispositifs à la portée d'un enfant. Un détail cependant retient mon attention. Auprès de Light, Ryuk avait admis ne jamais chercher à lui venir en aide et simplement à l'accompagner comme spectateur. La seule fois où il dérogera à la règle tiendra au fait que la surveillance du FBI impliquait pour lui de ne plus pouvoir manger de pommes. Ici, il coopère sans négocier et se fait porteur du message à Sakurai TV. Les auteurs auraient dû trouver un moyen de justifier sa collaboration, même sans être nécessairement convainquant, pour au moins donner la sensation qu'ils n'ont pas trahi les habitudes d'un de leurs personnages. Le défaut est d'une importance infime, mais il est bien là.


Nulle question au cours de ce chapitre de chercher à surfer sur la gloire passée de Death Note. Aucune redite, juste ce qu'il faut de références (Near, Masuda, Yotsuba) et de l'inédit dans l'astuce. On peut entamer la lecture confiant, Ohba et Obata ne sont pas hommes (à supposer que Tsugumi Ohba soit bien un homme) à se reposer sur leurs acquis. Se renouveler, ils savent faire. Ça, ils l'auront démontré à plus d'une reprise et récidivent avec ce One Shot que, pour ma part, je n'espérais pas.


La vente aux enchères d'un pareil instrument pouvant entraîner la frénésie que l'on peut espérer, j'estime toutefois que les auteurs auront opté pour la voie de la facilité quant aux réactions des États dans l'affaire. Plutôt que de participer sans réfléchir, j'aurais davantage imaginé que chacun œuvre afin d'empêcher la poursuite des enchères en censurant Twitter, mettant en détention les participants de l'enchère afin de dissuader et en isolant diplomatiquement, voire, militairement, tout État qui ne jouerait pas le jeu. Cela reste toutefois une perspective envisageable comme l'était celle qu'ils ont ici abordé et qui, pour des raisons scénaristiques, se conçoivent parfaitement.


Au final, le crime sera si parfait que même Near s'admettra vaincu. Crime d'autant plus parfait que les recettes des enchères sont disséminées parmi de trop nombreux suspects potentiels, que l'acheteur, du fait de son statut, ne peut pas être arrêté et que la mémoire de Minoru n'aura plus aucune trace de ce qu'il s'est passé. Même s'il était - par miracle -percé à jour, il serait impossible de l'inculper. D'autant moins possible que l'illégalité de sa mesure n'est pas avérée, la vente aux enchères étant tout à fait licite. Échec et Mat en trois coups.


Peut-être que Ohba aura été malgré tout trop naïf quant à l'issue d'une pareille transaction. Cent-mille milliardaires spontanés dans une même nation ne manquerait pas de provoquer une dévaluation brutale poursuivie d'une inflation record au point où tous les nouveaux riches se retrouveraient - comme le reste de leurs concitoyens - plus pauvres encore qu'ils ne l'étaient initialement. Quand on pense à tout dans son œuvre dans les moindres détails, il faut aussi penser à cela.


Ironie grinçante du sort, là où les innombrables meurtres de Kira auront laissé les yeux secs au roi des Shinigamis, ce dernier paniquera toutefois à compter de l'instant où il sera question de vendre le Death Note. La mort de milliers d'êtres humains étant en réalité moins significative pour l'équilibre du monde qu'une transaction de pareille envergure. Sans tuer et sans chercher à nuire, Minoru aura été plus dangereux que le Kira original. Et à son corps défendant qui plus est. C'est dire la performance.


La réaction du roi des Shinigamis se comprend sans se justifier. Qu'une nouvelle loi soit portée aux règles du Death Note est une autre innovation intéressante présentée par le One Shot, toutefois, subsiste un arrière-goût amer lorsque l'on sait d'une part que cette loi se veut rétroactive et surtout que Minoru n'en sera pas prévenu. Si l'on suit la chronologie du chapitre, Ryuk est revenu du monde des Shinigamis avant que Minoru ne renonce à la propriété sur le Death Note, Ryuk aurait largement pu le prévenir. Le fait que Minoru exige de Ryuk qu'il ne revienne pas le voir est gratuit et infondé dans le principe. Au moins, cette fois, ils auront tenté une justification. Mais bien mal acquis ne profite jamais. Ni à son acheteur, encore moins à son vendeur...
La mort de Minoru est d'autant plus horrible qu'il a perdu la mémoire relative au Death Note et ne saura pas d'où vient la crise cardiaque. Un régal.


Un régal qui ouvre toutefois l'appétit. On en voudrait plus bien que ce One Shot s'achève correctement sans rien laisser en suspend. Les auteurs ont certainement de nouveaux angles d'approche à exploiter dans le registre de ce manga. Une guerre entre plusieurs possesseurs de Death Note par exemple, avec tout ce que cela implique comme filouteries tortueuses.
Malheureusement, et c'est là où le bât blesse, Tsugumi Ohba et Takeshi Obata sont précisément trop intègres pour chercher à capitaliser sur un succès passé pour la simple finalité de raviver les braises d'un feu jadis irradiant. Gageons qu'ils trouveront un jour de nouvelles idées à exploiter. Un One Shot est sorti des années après la fin de Death Note, l'espoir est permis bien qu'incertain quant à la rédaction éventuelle d'une suite.

Josselin-B
7
Écrit par

Créée

le 22 févr. 2020

Critique lue 1.1K fois

5 j'aime

Josselin Bigaut

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

5

D'autres avis sur Death Note: One-shot

Death Note: One-shot
Josselin-B
7

Dura lex sed lex

Bon sang que j'aurais aimé qu'il s'agisse d'une entrée en matière pour une suite éventuelle. Au vu de ce qui nous a été apporté avec ce One Shot, tout prête à penser qu'il s'agissait pour les auteurs...

le 22 févr. 2020

5 j'aime

Death Note: One-shot
GuillaumeL666
6

Il reste encore des pommes

Il y avait visiblement une volonté de ne pas décevoir les fans en leur en mettant plein les yeux avec un scénario riche en rebondissements, une volonté de transposer Death Note à notre époque aussi...

le 12 févr. 2020

2 j'aime

Death Note: One-shot
mpgo
4

Critique de Death Note: One-shot par mpgo

L’histoire : Quelques années après la mort de Kira, Ryuk donne le Death Note à un jeune collégien. Pas mal déçu par ces retrouvailles. L’idée mise en place par le nouveau propriétaire du Death Note a...

Par

le 3 mars 2020

1 j'aime

Du même critique

Hunter X Hunter
Josselin-B
10

Éructations fanatiques

Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...

le 20 juil. 2020

55 j'aime

150

L'Attaque des Titans
Josselin-B
3

L'arnaque des gitans

Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...

le 8 avr. 2020

31 j'aime

60

BLAME!
Josselin-B
5

Bien sûr que j'ai tout compris

En fait non. Pas vraiment. Il aura fallu que je potasse les archives des internets afin de comprendre le fin-mot de l'histoire et savoir de quoi il en retournait réellement. Et encore. Avec son lot...

le 20 juil. 2022

29 j'aime

12