Depuis le début, qu'il s'agisse de PARADE, ZENITH, CREPUSCULE ou MONSTERS, DONJON semble être un concours entre dessinateurs qui cherchent à savoir qui dessinera le plus mal : Entre le dessin primaire de Trondheim, le crado de Sfar, le boursoufflé de Yoann ou le répugnant de Mazan (pourtant auteur de la belle série L'HIVER D'UN MONDE), sans oublier le kitsch de Killoffer et l'approximatif de Nine, on ne sait plus trop comment considérer ces séries imbriquées les unes aux autres. C'est d'ailleurs ce principe d'interaction qui fait que l'on poursuit la lecture car on veut savoir où tout cela mène. Et le scénario est heureusement là pour relever le niveau en étant parfois même de très bonne qualité (Le Noir Seigneur, La Nuit du tombeur, Mon fils le tueur, Crève cœur, Après la pluie...).


Et puis il arrive qu'un album sorte vraiment du lot, comme ce splendide Des soldats d'honneur qui n'a pourtant pas grand chose à voir avec le reste. Ce tome a sa vie propre en dehors de la série. On avait certes déjà eu la belle surprise de lire Mon fils le tueur dans lequel on avait découvert le tout jeune Marvin, que l'on retrouve ici (sans qu'il soit nommé, on se doute bien que c'est lui) des années plus tard, vieux, décoloré et aveugle.


Alors que le reste de DONJON est plus léger (mais POTRON-MINET un peu moins), ce dixième DONJON MONSTERS est particulièrement noir. On y voit évoluer deux frères dragons dont un est chargé de tuer l'autre par la haute autorité du Grand Khan. Mais avant d'en arriver au moment de l'exécution, les deux sauriens font un dernier voyage durant lequel ils vont se poser beaucoup de questions et, loin de la forteresse qui les rendait si vides, ils vont s'humaniser petit à petit, refusant plus ou moins cet état de fait. L'album est intégralement raconté en style indirect, il n'y a aucun dialogue (un peu comme Crève cœur). Ce qui crée une plus grande distance par rapport aux personnages et en renforce l'aspect tragique. Le lecteur ne s'identifie que très peu et reste simplement témoin (auditeur ?) de ce que le frère chargé de tuer l'autre lui raconte.
Aucun humour dans cet album (même les lapins de Zootamauxime sont sinistres) excepté le labyrinthe à souris du début ; on constate un monde en décrépitude et désespéré pourtant magnifié par le dessin irréprochable de Frédéric Bézian dont je n'avais jamais entendu parler avant cette lecture.


Preuve de la force de son dessin : rien qu'en feuilletant l'album, des cases vues rapidement et au hasard m'ont immédiatement frappé (les pages en quasi noir et blanc au beau milieu de l'album) ou simplement touché (ce lézard si humain qui pleure en haut de sa tour de guet). Ajoutons à cela une parfaite mise en couleur de Walter et on se délecte de cette œuvre irréelle. La version en noir et blanc est bonne aussi, mais perd en puissance visuelle. Ne serait-ce que par ces planches qui sont déjà en quasi noir et blanc dans la version couleur et qui deviennent bien fades dans la version intégralement en noir et blanc. Certaines cases perdent également en lisibilité immédiate (la souris dans le labyrinthe du début devient presque invisible sans couleurs, de même que les taches de sang sur le sol, etc..).
Cet album est puissant grâce au scénario tout en sobriété de Trondheim & Sfar et surtout grâce à la mæstria du dessinateur qui renvoie (presque) tous les autres dans les cordes.

Muffinman
8
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le 30 janv. 2015

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5 j'aime

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