Treize. Treize numéros d'horreur et d'humour, d'effrois et de joies. Treize volumes de découvertes à coups de crayons qui sillonnent les frissons. L'aventure DoggyBags livre sa 


dernière fournée de récits sombres, d'angoisses sanguinolentes



et d'hommages aux comics d'exploitation, le moins que l'on puisse reconnaître, sous les talents conjugués d'un éventail acéré d'auteurs et d'illustrateurs novateurs, c'est l'intense plaisir qui s'est renouvelé à chaque numéro malgré les quelques – rares – redites et remakes internes. Et que cet ultime tome est largement à la hauteurs de nos fébriles attentes, recette inchangée et nouveaux ingrédients, il y aura même eu du risque jusqu'au bout pour une collection mémorable qui marquera certainement longtemps la décennie en prouvant la faculté d'adaptation du cheptel créatif.


Run prend les commandes dès l'ouverture avec un court récit de quelques pages à peine, mis en cases par Florent Maudoux. In Viis Domini où la confession d'un tueur tombe dans la mauvaise oreille. Le plaisir du dessin, fin et sensuel dans le calme improbable autant que percutant et dur aux portraits du confessé, vient donner la profondeur glaciale de cette atmosphère cléricale perturbée par une soudaine et inattendue violence conjugale fatale.
Le second récit est confié aux derniers nouveaux venus de l'aventure et les deux auteurs assument avec brio la confiance qui leur est offerte. Anthony Calla narre avec un mystère bien entretenu le kidnapping d'un flic ripou qui se retrouve bientôt face au jugement du peuple, et nous emmène là dans les hangars déserts d'une Amérique décidée à guérir le pays de ses éléments nocifs.


 Une sorte de club select dans lequel on peut entrer qu'à condition
d'avoir eu une mort sordide dans la famille ? 



Aurélien Rosset illustre d'étalages sombres ce Dark Side of America et perd le personnage dans 


un dédale d'ombres et de mouvements instinctifs,



laissant là peser tout au long du récit une chape inextricable sur le destin du bonhomme. Les portraits sont beaux, vifs et férocement expressifs, la violence non retenue sait s'effacer aux limites du cadre pour mieux éclabousser le lecteur : c'est dense, intense.


Killer Klowns from da Hood garde le microscope sur ces 


vengeances erratiques et animales



auxquelles se livrent les populations désabusées de cette Amérique vorace, où Run s'amuse d'un hommage en retournement de situation au magistral Ça de Stephen King : un quiproquo fatal aux trois victimes de trois jeunes déconnectés qui se jetteront bientôt dans la gueule du clown de trop d'inconscience, Run gère parfaitement tension et surprises pour faire ce qu'il fait de mieux, un thriller angoissant autant que fun.



 On va lui niquer sa baraque, ça lui fera passer l'envie de
rigoler. 



L'envie passe, effectivement, tant l'association de Mojo et Hutt au dessin joue de cadres dynamiques et d'une esthétique savamment cinégénique pour poser la tension du récit. 


Une atmosphère crépusculaire



enveloppe cette échappée nocturne à travers une ville déserte, Detroit, et les portraits stylisés, durs, appuient ce qu'il faut des terreurs, des incompréhensions, des excitations et des folies des personnages. Un pur mix d'influences, comics et manga, vient faire la richesse visuelle et le plaisir averti, pur Doggy Style.


Run accompagne ensuite Tanguy Mandias pour un nouveau récit littéraire, plus long que les derniers proposés, Sang d'Encre, où le nouveau tatouage de Mina semble prendre vie et se rassasier de son environnement sans qu'elle n'en ait d'abord conscience. Le style est vif, tranchant, le rythme implacable. Court mais diablement efficace là où le fantastique du récit s'efface sous un réalisme tangible.
Dernier long récit entièrement réalisé par Run, le créateur reprend les rênes pour l'ultime au revoir avec Times Scares, plongée dans la violence de sociétés occidentales traumatisées par la réitération des attentats. Run accompagne la rancoeur d'un ex flic, viré pour violences, jusqu'à la démonstration effective de ses craintes, orchestrée en grands coups de fusils à pompe au cœur de la foule des touristes insouciants qui grouillent à Times Square, cibles offertes, coupables d'inconscience.


 On peut dire ce qu'on veut, mais les malheureuses victimes, à Times
Square, si elles avaient été armées, la situation aurait été très
différente : elles auraient pu se défendre, et rendre coup pour
coup. 



Avec une situation qui, inévitablement, nous évoque Backdraft, de Ron Howard, le pompier pyromane, Run appuie sur 


les paradoxes libertaires et sécuritaires de nos sociétés modernes



prêtent à sacrifier leurs libertés pour satisfaire à ces exigences tout au long d'un récit dément et explosif, où les innombrables clins d'yeux à la culture populaire tombent sous le coup de balles distribuées d'une largesse enragée. Et garde l'intelligence de ne pas finir sur la tuerie mais d'aller nous interroger quant à la manière de continuer après ça dans un épilogue teinté autant d'amertume que d'une angoissante ironie. Sombre et sans échappatoire.


Bonus de quelques pages avec le SuperJesus de Loïc Sécheresse, belle suite de tableaux décalés de la vie du messie, délire christique léger, mais j'ai bien trop de mal avec le dessin de l'artiste pour apprécier.
Voilà, c'est fini.
Treize tomes de sang où le lecteur s'assume vampire d'émotions et de frissons à partager. Sortie en fanfare funeste avec son poids en pages de bonus informatifs, collants, un imposant, dense, cahier graphique en survol de la collection, trois pages nécrologiques qui nous ramènent aux nombreuses victimes des monstres, goules et assassins dont nous avons tant apprécié les perversions au fil poisseux des récits épais qui nous ont nourris.


L'au revoir est superbe, magistral



malgré quelques défauts, tout comme DoggyBags a su l'être sept ans durant, élargissant l'horizon d'amateurs de bandes-dessinées qui ne demandent qu'à frémir et à se laisser surprendre. Merci à Run pour les rencontres, et merci à toutes les équipes créatives passées là pour le plaisir évident et partagé, soyez assurés que je surveillerai vos prochaines productions avec une curiosité vorace et une exigence tranchante !

Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 8 sept. 2018

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