Ce tome fait suite à Eden atomique (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant car les 2 tomes forment une histoire complète. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Sean Murphy, avec une mise en couleurs réalisées par Matt Hollingsworth. Il comprend également les couvertures variantes réalisées par Matteo Scalera, Bengal, Andrew Robinson, Rafael Albuquerque, Dustin Nguyen.



  • ATTENTION - Ce commentaire recèle quelques informations concernant le tome précédent. -


Toujours en 2089, Led Dent est revenu de son expédition au Japon. Il doit intervenir en tant que représentant de l'ordre pour interrompre la diffusion d'une émission critique, présentée par Miss Muffet et Little Jack Horner. Ces 2 joyeux drilles effectuent une synthèse de la situation politique et économique des îles de Los Angeles, en critiquant vertement les actions de Mister Flak, le milliardaire affairiste qui tire les ficelles. L'intervention de Led Dent est brutale et spectaculaire, même s'il lui faut un peu de temps pour venir à bout de ces 2 activistes. Pendant ce temps, Mister Flak continue à débiter des sornettes au journaliste qui l'interviewe, qui gobe tout, et le trouve tellement excellent qu'il se précipite sur lui pour lui faire une fellation en témoignage de son admiration. Davey Trauma, maintenant le conseiller de Flak, lui suggère de faire quelque chose pour s'assurer de la docilité des masses hébétées par les flux continus de divertissement. Flak est convaincu par ses arguments.


Led Dent sert d'escorte aux gardes chargés de distribuer des packs émotionnels à la population afin de les rendre incapables de toute pensée cohérente. Contre toute attente, un individu armé d'un sabre luisant intervient pour essayer de stopper cette distribution. De son côté, Mister Flak s'assure que les préparatifs continuent pour que le paquebot de luxe puisse prendre la mer dès le lendemain matin, avec à son bord les individus les plus riches, pour aller s'installer au Japon, dans un havre écologique encore préservé. Mais le saboteur a réussi à s'introduire sur le navire pendant sa traversée.


En entamant ce recueil, le lecteur a conscience qu'il s'agit de la deuxième moitié du récit qui lui apportera donc une conclusion définitive. Il a gardé en mémoire la conclusion de la première partie et se doute bien de la trame générale de cette deuxième partie. Led Dent est persuadé que Debbie Decay est décédée, alors que le lecteur sait ce qu'il lui est arrivé. Il est retombé sous la coupe de Mister Flak, en décidant de recommencer à s'abrutir avec un flux continu de divertissements et d'informations, afin de ne pas avoir à réfléchir, de ne pas devoir gérer ses émotions, d'être confortablement désensibilisé. Le lecteur éprouve une petite déception en constatant que Rick Remender réutilise Davey Trauma comme ennemi principal. Le pouvoir de ce dernier n'était pas très bien défini dans le tome 1, cela reste le cas dans le tome 2. C'est d'autant plus flagrant que le tome 1 proposait des inventions d'anticipation construites et pertinentes. C'est également reparti pour quelques affrontements dont un qui dure plus que de raison entre Davey Trauma et son opposant. En outre l'explosion finale du tome précédent laisse supposer que le Japon ne doit pas être si accueillant que ça du fait de la présence de radiations. L'idée de proposer aux citoyens les plus riches des îles de Los Angeles de s'embarquer pour un territoire accueillant incite le lecteur à se reposer la question de qui gagne de l'argent et pourquoi.


D'un autre côté, Sean Murphy assure un spectacle aussi impressionnant que dans le premier tome. Les 3 premières pages avec Miss Muffet et Little Jack Horner sont délirantes d'exagération. Les 2 acteurs surjouent pour faire passer une hilarité forcée, tout en chantant les méfaits commerciaux et politiques des entreprises de Mister Flak, dans une forme forcée de comédie musicale pimpante. Le décor regorge de détails tous plus kitchs les uns que les autres, comme une forme de spectacle musical pour enfants, avec un gros budget pour les décors. La course-poursuite entre eux et Led Dent constitue une lecture rapide, avec des déplacements vifs et énergétiques, au milieu de décors concrets et étoffés. Le niveau du spectacle offre un divertissement visuel de qualité enchanteur. L'artiste continue sur sa lancée avec la salle monumentale de jeux à bord du paquebot, rappelant le luxe et l'opulence du casino traversé dans le tome 1. L'arrivée à Flak City au Japon montre une architecture qui respire l'argent, et la recherche du plaisir sous toutes ses formes.


Rick Remender respecte la composition en épisode du récit, avec des moments d'action dans chacun d'entre eux. À nouveau, Sean Murphy baigne dans son élément, et le lecteur sent bien que le scénariste a conçu son récit pour jouer sur les forces graphiques de l'artiste. Après la course-poursuite initiale bourrée de trouvailles pour les embûches et les rebondissements, le lecteur passe à une intervention furtive d'une combattante munie d'un sabre luisant (même s'il n'est pas laser), se battant dans le noir contre des gardes ripostant avec des armes à feu, pour un plan de prise de vue aux petits oignons avec un enchaînement des mouvements en ombre chinoise parfaitement lisible. Le lecteur prend plaisir à suivre les affrontements physiques, ainsi bien filmés, avec des mouvements de caméras qui suivent les personnages et leurs déplacements. Il sent le confinement dans les coursives du paquebot, le déséquilibre dans le rapport de force entre Davey Trauma et son adversaire dans la confrontation de l'épisode 4, et il sourit devant l'assaut final baroque du fait des alliés de la combattante à la fin de l'épisode 4.


De séquence en séquence, il est visible que Sean Murphy prend plaisir à mettre en scène les éléments les plus délirants du scénario, participant vraisemblablement à l'enrichir par des détails visuels supplémentaires. Le lecteur est pris par surprise en voyant l'intervieweur se jeter goulument sur le sexe de Mister Flak pour lui faire une gâterie, sûr et certain d'y prendre un grand plaisir. Il sourit de bon cœur en voyant une dame d'un certain page s'armer d'une cuillère géante pour frapper Led Dent, vision surréaliste et moqueuse. Il grimace à nouveau en voyant que Mister Flak entretient dans son entourage une femme génétiquement modifiée avec des seins d'une longueur déraisonnable qui lui arrive sous le genou, preuve matérielle du fétichisme mammaire perverti de Flak. Il continue de scruter les cases pour les détails et s'incline devant le savoir-faire de l'artiste qui permet de rendre crédible l'araignée mécanique au bout de ce filin, comme une forme de grappin pour entraver la progression de Led Dent sur sa bécane surdimensionnée. Il sourit à nouveau devant les facéties de Mister Flak montrant son cul nu à sa suite, comme un roi bouffon à l'abri du ridicule. Il apprécie les appendices de la pieuvre dans la grande salle d'apparat du paquebot, ses tentacules se terminant en forme de prépuce, nourrissant ainsi le thème d'une société exclusivement préoccupée de son plaisir, et débarrassée de tout tabou. Il souffre avec Led Dent en voyant la pluie acide ravager ses maigres plantations.


Le lecteur se retrouve complètement emporté par la verve baroque graphique de Sean Murphy, appréciant le spectacle de la décadence d'une société, pimenté par des scènes d'action vives et enlevées. Par contre dans un premier temps, il lui semble que Rick Remender a cédé à la facilité en suivant une trame d'intrigue assez prévisible et en recyclant les personnages de la première partie, en particulier Davey Truama, comme si finalement le voyage au Japon n'avait servi à rien, n'avait apporté aucun élément et n'avait pas beaucoup de conséquences. Emporté par le plaisir du divertissement, il prête attention à la discussion entre 2 gardes sur la démocratie et le droit de vote, ou en tout cas la manière de se servir de son bulletin et la responsabilité qui en découle. Le scénariste aborde avec humour et sarcasme la fragilité de la démocratie et la manière dont elle peut être dévoyée par un peuple irresponsable, plus préoccupé de détruire certains candidats que de construire l'avenir avec d'autres. Au vu des résultats des élections américaines de 2016 survenues quelques mois après, ce passage prend un goût sinistre et prophétique.


L'intrigue continue de reposer sur la relation existant entre Led Dent et Debbie Decay, ainsi que sur son historique. Rick Remender a souvent sondé les conséquences de l'historique d'une famille dans ses précédentes séries (par exemple Fear Agent). Cette fois-ci, il examine la relation amoureuse entre 2 individus se connaissant de longue date. Il montre qu'il s'agit de 2 personnalités différentes, avec l'une plus forte que l'autre, ou en tout cas plus à même de résister à la séduction de la société du spectacle. L'individu le plus fragile s'appuie sur l'aide apportée par l'autre qui le tire vers le haut. Il ne s'agit donc pas d'une vision romantique édulcorée, mais d'une mise en scène de la complémentarité de 2 individus, Led Dent ayant également des points forts. À partir de là, Remender n'hésite pas à poser les questions qui fâchent. L'un est-il codépendant de l'autre, au point de ne plus voir ses défauts ? L'autre se sent-il valorisé par l'aide qu'il apporte, au point de ne pas vouloir quitter le plus faible de peur de perdre son importance ?


Dans un premier temps, le lecteur s'immerge avec gourmandise dans le monde d'anticipation baroque décrit par les dessins fougueux de Sean Murphy, en en savourant l'exubérance et l'inventivité débridé. Dans un deuxième temps, il regrette que l'intrigue ne soit pas plus surprenante, et revienne sur des situations déjà présentées dans le premier tome. Puis il se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un retour à l'identique et que Rick Remender n'a rien perdu de son ambition littéraire et de son honnêteté dans la manière dont il aborde les questions qui lui tiennent à cœur.

Presence
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le 17 janv. 2020

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