La théorie des meurtres.

« From Hell », ou « depuis l'enfer » dans la langue de Molière, sont supposément les deux premiers mots de la seule lettre authentifiée comme étant de la main de Jack L'éventreur. Cela tombe bien – les amateurs d'ironie comprendront que cela est justement le but – le sous-titre de l’œuvre appelée From Hell est « Une autopsie de Jack L'éventreur ». Bizarre, d'habitude, c'est plutôt lui qui les fait, les autopsies … Enfin bref.
From Hell est un roman graphique dessiné par Eddie Campbell et scénarisé par Alan Moore, qui a imaginé également les histoires de Watchmen et de V pour Vendetta, pour citer ses travaux les plus connus. Forcément, on s'imagine que l'ouvrage sera complexe, verbeux et qu'il ne prendra aucun gant envers le lecteur. Et bon sang que l'on a raison. L'histoire qui nous est présentée ici est une version des différentes théories existant actuellement concernant Jack L'éventreur, notamment la version nous présentant l'éventreur comme lié à la famille royale et saupoudré de l'intervention des  francs-maçons de ci, de là … Une théorie qui ne fait pas l'unanimité, mais hé, aucune ne fait l'unanimité concernant monsieur l'éventreur !
L'histoire est lourde de sens, mais n'est pas si complexe que cela, finalement : on peut résumer ça à une banale histoire de faire taire des gens du commun – ici, en l’occurrence, les prostituées qui sont les victimes de Jack l'éventreur – afin qu'il cesse leur chantage qui menace la famille royale. Mais tout cela est enrobé dans des considérations englobant toute l'histoire de Londres, celle des francs-maçons et presque carrément des passages oniriques, qui finalement donne de la complexité à l’œuvre, et surtout une charge dénonciatrice forte de la société d'alors et même de la nôtre, l'auteur allant jusqu'à montrer à L'éventreur une vision de la fin du Xxéme siècle, sans doute vers les années 90, permettant de placer la phrase imaginaire associée au personnage :  «  j'ai donné naissance au vingtième siècle ».
C'est cette couche, ce vernis de thèmes et d'idées mélangées entre elles, que l'on retrouve régulièrement dans les travaux d'Alan Moore, qui donne du poids à cette œuvre. Du poids véritable, même, puisque l'ouvrage fait un peu plus de 500 pages, et encore, ce n'est qu'en comptant la Bande dessinée en elle-même, puisque certaines éditions contiennent en plus 41 pages d'annotation écrites concernant les différentes pages de son œuvre ou encore 23 pages d'une autre Bd se voulant être un succinct résumé de toutes les théories concernant L'éventreur, ainsi que leurs auteurs. Autant vous dire que si jamais les quelques 500 pages extrêmement verbeuses et extrêmement denses ne vous ont pas laissés K.O et exsangue, vous pourrez vous y plonger, elles sont très intéressantes.
Parlons un peu aussi des dessins. Ceux-ci sont difficiles à saisir : Tantôt extrêmement réaliste au niveau des environnements et des bâtiments, il sont tout de suite plus obscurs concernant les personnages, comme s'il était restés au niveau d'une esquisse pas tout à fait terminée. Cela est une volonté des auteurs : Après tout, si les bâtiments sont si détaillés, c'est parce que la ville de Londres, le lieu des crimes, ne change pas ; mais les personnages qui la peuplent, elle, changent selon les théories : ils sont donc mouvants, toujours au statut d'esquisses, afin de montrer que cette histoire n'est qu'une théorie parmi d'autre. Le trait est très mouvant, tantôt réaliste, tantôt malsain, voire gore, 
En conclusion, From Hell est une œuvre immense, mais qui vaut plus à mon avis pour l'enrobage qu'a crée Moore que pour son intrigue primaire. Après, comme le dit l'auteur lui-même dans l'appendice racontant les différentes théories concernant L'éventreur : « Cinq pauvresses assassinées, un agresseur anonyme. Cette réalité est éclipsée par le vaste parc d'attractions que nous avons construit autour ». Une citation qui convient tout autant au mythe de l'éventreur qu'à l'ouvrage From Hell en lui-même.

Disclaimer : Cette critique a d'abord été écrite pour Radio Campus Grenoble.