Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 0 à 4, initialement parus en 2006, écrits, dessinés et encrés par Ben Templesmith, avec un recours intensif à l'infographie pour la mise en couleurs. Ce tome comprend une histoire complète.


Dans une ville non identifiée (mais sûrement New York), dans un bar à striptease appelé Dark Alley et tenu par Madame Medusa, Wormwood est attablé en train de déguster une bière en compagnie de Monsieur Pendulum (un robot qu'il a créé et qui ne boit pas). Wormwood a une forme de ver de terre ; c'est une entité extradimensionnelle, habitant un cadavre humain, disposant de pouvoirs magiques à l'étendue des plus floues. Il a la répartie sarcastique et facile.


Wormwood s'enquiert de la présence de Phoebe Phoenix car il a un boulot à lui proposer. Il doit faire face à la prolifération de parasites à tentacules chez les clients du bar, et même dans son propre corps de cadavre. Par la suite, l'inspecteur Trotsky lui demande de l'aide pour enquêter sur des cas de meurtres avec explosion de l'abdomen des victimes.


Ben Templesmith a acquis une certaine notoriété en concevant l'incarnation visuelle des vampires de Barlow, dans la série 30 jours de nuit (2002) de Steve Niles. Son approche graphique est unique en son genre, avec une apparence d'amateurisme prononcée. Dans cette histoire, le lecteur a l'impression que Steve Niles a fortement déteint sur Templesmith pour la consistance de son scénario : très linéaire, une intrigue basique, et un dénouement sorti du chapeau, avec un certain panache tout de même. Pourtant le lecteur se surprend à sourire tout au long de ces 5 épisodes. Mais comment fait-il ?


La première page comprend un unique dessin, la silhouette assez vague de gratte-ciels vaguement de guingois, se découpant en ombres chinoises, avec une demi-douzaine de taches blanches pour figurer un vague éclairage et un ciel pourpre du plus bel effet. D'un côté c'est un dessin basique ; de l'autre côté l'ambiance est à couper au couteau. Dans la page suivante, 2 cases sont consacrées à l'enseigne au néon du bar, dont le lettrage semble à moitié tapé à la machine, et à moitié écrit à la va-vite de manière irrégulière. La représentation des personnages participent du même mélange improbable d'esquisses rapides et grossières et de détails minutieux.


Wormwood lui-même présente une silhouette dégingandée, aux épaules tombantes, dans un costume noir (pantalon et veste) qui mange tous les détails pour se limiter à une silhouette noire. Son visage est figé dans un rictus montrant 24 dents toujours apparentes, les lèvres étant perpétuellement rétractées dans un rictus mortuaire. Le visage n'arbore donc aucune expression, et reste figé dans le même rictus. Il y a une étoile de David gravée dans la peau de son front, sans raison apparente, ni explication dans le récit. Ses cheveux sont représentés par des traits noirs et gras vite faits, aboutissant à une tignasse un peu grasse et indomptée. Sa chemise blanche semble d'une propreté douteuse, mais la cravate est jolie. Sa peau est d'un beau vert blafard. Quant à Wormwood, c'est un vague asticot, parfois juste un gros trait blanc logé dans l'orbite droite du cadavre.


Templesmith ne dessine pas pour faire réaliste. Le lecteur doit se contenter de ces apparences vite croquées, pas toujours finies, mais toujours lisibles. Lors du premier épisode, la tête de Wormwood est sectionnée en 2 à l'horizontal, entre les 2 mâchoires. Il continue à parler comme si de rien n'était, et demande si quelqu'un a une agrafeuse pour rabouter les 2 morceaux de sa tête. La case suivante, sa tête est d'un seul tenant, sans plus de détail. Amateur de réalisme et de logique, passez votre chemin.


De temps à autre, Templesmith décide que les images ont besoin d'apporter plus d'information, et dans ces cas-là il ne rechigne pas à représenter plus d'éléments, qu'il s'agisse d'une maison (la demeure de Wormwood) à partir d'une photographie retouchée, ou des cornes d'un démon dont le relief est représenté avec minutie. À d'autres moments, l'artiste se limite à une représentation grossière, aux traits de traviole, un téléphone portable vaguement esquissé aux touches disposées de manière irrégulière, aux bords présentant un arrondi déformée. Cette approche relèverait presque de l'imposture, presque parce que la narration reste intelligible.


Lorsque le lecteur commence à plonger ans le récit, il est séduit par la morgue de Wormwood, son cynisme, ses réparties sarcastiques, son humour en dessous de la ceinture. Il apprécie également l'étonnant parti pris de la mise en couleurs. Ben Templesmith n'utilise pas les couleurs pour colorier chaque forme détourée, en veillant à ne pas déborder. Il tartine chaque case de camaïeux, sans se préoccuper des contours, à tel point qu'on a parfois l'impression qu'il a d'abord appliqué des couleurs à l'infographie sur son fond de pages, pour y poser ensuite des bordures de cases, et des dessins plus ou moins figuratifs dans chaque case. Cette impression s'avère très déconcertante.


En y regardant de plus près, il apparaît que le jeu de nuances rehausse certaines formes pour les mettre discrètement en valeur, insiste sur l'éclairage, ou donne un soupçon de volume. Ces effets sont discrets, mais perceptibles quand le lecteur y prête attention, c'est ce qui assure une bonne lisibilité. Ce tartinage installe également une ambiance spécifique à chaque scène, et une légère patine onirique comme s'il faisait apparaître des flux d'énergie sous-jacents, perceptibles autrement qu'avec le sens de la vue.


Immergé dans cet éclairage si particulier, le lecteur découvre l'intrigue, en faisant tout d'abord connaissance avec la personnalité abrasive et moqueuse de Wormwood, avec les sarcasmes de monsieur Pendulum qui ne peut pas savourer la bière et qui est dépourvu de truc entre les jambes, avec l'acrimonie de madame Medusa qui se souvient très bien des raisons qui l'ont convaincue de laisser tomber Wormwood, avec l'incompétence de l'inspecteur Trotsky dépassé par les événements, avec la défiance de Phoebe Phoenix vis-à-vis de cet employeur pas commun. Wormwood dispose de la même attitude cassante que John Constantine au meilleur de sa forme, avec un humour tout aussi cassant, les jurons anglais en moins. Les exagérations des dessins fonctionnent admirablement bien d'un point de vue comique, qu'i s'agisse de ce monsieur bedonnant dans une séance avec une dominatrice, de cette dernière s'emparant une tronçonneuse placée là de manière opportune, du démon Nybras promenant son leprechaun en laisse, de ce dernier vomissant sur Pendulum, ou encore du ventre de Wormwood gonflant jusqu' à éclater. C'est crade, dessiné à la va-vite, et très drôle, à la fois punk car primaire, à la fois intellectuel car tournant en dérision les poncifs du genre.


Contre toute attente, l'intrigue tient la route et maintient une forme de suspense jusqu'à la fin. Ben Templesmith fait preuve d'une verve moqueuse et enjouée qui génère un entrain communicatif, avec un sens du rythme très sûr pour que les effets comiques arrivent au bon moment. En outre l'auteur ne fait pas dans le politiquement correct. Son humour n'est pas aussi trash que celui de Garth Ennis, il est aussi irrévérencieux et ironique. Templesmith ne donne jamais l'impression de se prendre au sérieux. Il sait qu'il réalise une histoire dérivative de nombreuses histoires d'horreur et de possession. Il n'a pas la prétention de concevoir un monde cohérent, ou d'exposer des vérités bien senties sur le besoin irrationnel de croire en quelque chose, ni même de réaliser un récit d'action bien mené.


Pourtant le niveau de divertissement est très élevé grâce à un usage dérivatif et conscient des poncifs de genre (horreur, action, comédie), une forme de détournement moqueur, et une autodérision aux dépends des personnages, mais aussi de l'auteur lui-même. Ben Templesmith raconte son histoire en ayant conscience de ne pas révolutionner le genre, mais avec un bagout comique irrésistible. Bien sûr que cette tronçonneuse n'avait rien à faire dans le donjon de cette dominatrice, mais elle est tout à fait à sa place comme arme salissante pour débiter une grosse bébête immonde, et peu importe la vraisemblance. Au final, la lecture de ce premier tome aux personnages invraisemblables, à l'intrigue squelettique et à l'humour dérivatif et sarcastique fournit un quota de divertissement élevé et postmoderne.

Presence
9
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le 14 mars 2020

Critique lue 45 fois

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