Grandville Mon Amour par Wykydtron IV

En classe de Terminale, notre prof d'anglais nous avait chargé de trouver un anglophone à interviewer. J'avais profité du Salon du livre pour rencontre l'auteur et dessinateur Bryan Talbot, et lui poser des questions. Je n'avais lu de lui qu'un numéro d'Hellblazer qu'il avait dessiné (il me l'a d'ailleurs signé en faisant un superbe dessin), et j'avais lu pour l'occasion un numéro de "Batman : Legends of the dark knight" qu'il avait écrit et dessiné, mais je me sentais un peu mal de ne pas avoir lu ses oeuvres plus personnelles, dont Grandville, comic pour lequel Milady l'avait invité au Salon, et dont il avait à côté de lui les premières planches du second tome.
Après l'interview, je m'étais promis de lire Grandville un jour, Talbot ayant été fort sympathique.
J'avais demandé à avoir le comic pour Noël. On me l'a offert l'an dernier (putain, un an déjà ? j'ai traîné), mais... c'était le tome 2. Il faut dire que ce n'est indiqué nulle part, on peut juste lire "Grandville mon amour".
Enfin tant pis, plutôt que d'acheter et de lire le tome 1 avant, j'ai lu le 2 afin de voir si ça me plaisait, et en espérant que je ne sois pas handicapé par le fait que je débarque au milieu des aventures d'Archie Lebrock.

Quand j'avais vu Bryan Talbot, j'avais cru comprendre qu'il avait résidé à Paris un moment pour son comic, qui se déroule dans la capitale française.
"Grandville" propose un univers steampunk qui alterne entre Londres et Paris. Le mélange des époques et des styles est pour moi très bien annoncé rien qu’avec la seconde de couverture, où l’on voit un motif style papier peint du début du siècle dernier, auquel se mêlent des rouages et autres images industrielles.
Dans l’album, le steampunk se manifeste notamment dans le design des armes plutôt original (il y a des flingues avec des munitions alignées horizontalement). C’est peut-être parce que j’arrive en cours de route, mais je trouve qu’on n’est pas suffisamment bien introduit à cet univers, j’ai été surpris par des éléments que je trouvais en trop, notamment avec la présence de vaisseaux volants et de robots dont un qui s’occupe d’ensevelir un cercueil sous la terre.
L’autre particularité de l’univers de "Grandville", c’est que ses personnages sont des animaux anthropomorphes. Je trouve les animaux bien choisis : le héros, Lebrock, est un blaireau, dont les crocs lui donnent un air sauvage quand il le faut, autrement il peut être vu comme assez doux, avec ses poils qui lui donnent un air d’animal en peluche. La gueule ouverte, il a forcément l’air d’être enragé, mais il y a un passage où il appelle quelqu’un qu’il croit reconnaître dans une foule, durant lequel si on prête attention, le regard du héros indique autre chose que la colère. On y lit une sorte d’inquiétude, qui fait qu’on compatit plutôt qu’autre chose. L’ambivalence de l’expression du personnage sert d’ailleurs à cette scène, où la personne interpellée s’enfuit, croyant que Lebrock lui veut du mal.
On a également un bélier dans le rôle d’un haut gradé dans la police, l’animal évoque un caractère belliqueux, et justement le personnage se montre souvent en colère. Le premier ministre lui est un bouledogue, sa tête évoque quelqu’un de flegmatique mais de puissant ; et l’association entre la bête et le poste me faisait penser à Churchill…
Bizarrement, les animaux de Grandville ont aussi des animaux de compagnie. Une chatte anthropomorphe a… un chat. Et, de façon amusante, l’associé de Lebrock, qui est un rat ou une souris, se plaint à un moment des rats qui foutent en l’air une combine du duo.
Il y a quelques humains aussi, dont deux hommes de main qui sont des parodies de Gaston Lagaffe et Lucien le rocker. Talbot semble bien connaître la BD franco-belge, mais il s’amuse à détourner plusieurs personnages connus en général. Parmi des catins, on en voit une costumée en marsupilami, et une qui ressemble beaucoup à Miss Piggy du Muppets show. Bryan Talbot semble vouloir dégrader tous les personnages auxquels il fait référence : dans une cellule de prison remplie de pervers, on voit Donald une clope au bec, et un policier évoque un certain "Pipi l’ourson", et un "Pig Malion". N’importe quoi.
Ah, si j’avais lu Grandville à l’époque, j’aurais bien posé une question sur toutes ces parodies à l’auteur… Peut-être le reverrai-je un jour…

En dehors de ces délires bizarres, Talbot s’avère être un auteur appliqué, l’enquête au cœur du récit est complexe bien comme il faut, et pleine de rebondissements, avec des déductions intéressantes même si trop vite tirées par Lebrock pour que ce soit crédible.
Et même si les évènements historiques évoqués dans "Grandville" sont fictifs, j’ai trouvé qu’il y avait quelques points de vue intéressants, par rapport à des choses qui ont des équivalents dans notre monde réel. La réflexion de Lebrock sur les anarchistes, page 24, par exemple…
Concernant le dessins, j’aime bien le style de Bryan Talbot, mais ce qui m’avait dérangé, même déjà lorsque j’avais feuilleté l’album par le passé, c’est la mise en couleur, qui fait beaucoup trop artificiel. A la fin de l’album, on a deux pages où Talbot détaille chaque étape de la création d’une planche, depuis le crayonné jusqu’aux détails de la colorisation. Eh bien je préfère les dessins tels qu’ils sont à une voire deux étapes avant la finalisation…
(et je me rends compte que mes cours de Photoshop n’ont pas été inutiles, car il y a des trucs que je n’aurais pas compris, car ni l’auteur ni l’éditeur de l’album ne prend la peine de mettre les choses dans leur contexte, on parle de "baguette magique" mais pour la plupart des lecteurs ça doit ne vouloir rien dire).
Bon sinon la composition des planches est bien pensée. Dans une des premières pages, quand le méchant doit être exécuté, on a une page séparée en deux, avec à gauche plusieurs cases, et à droite une seule grande. On commence à lire les cases de gauche en descendant, et on se retrouve dans la dernière case qui fait toute la hauteur de la page, cette case qui présente la guillotine au bas de laquelle se trouve le condamné à mort. Ayant descendu la page avant, notre regard part du personnage vers le sommet de l’outil de mise à mort, ce qui le rend aussi imposant au lecteur qu’il doit l’être pour le personnage.
Talbot semble aimer mettre en valeur ses décors, à chaque nouveau bâtiment, on voit celui-ci dans une case plus large dans la longueur ou la hauteur, et dans ce dernier cas les personnages sont toujours en bas, dominés par l’architecture.

Un comic bien sympa en tout cas. J’achèterai probablement le premier tome, même si je ne lis plus trop de comics ces temps-ci…
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le 26 déc. 2012

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Wykydtron IV

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