A mes amours déchiquetées, ou comment il n'y a point d'amour sans un brin de viol

Faudra-t-il que je commence par parler de la beauté d'une femme aux yeux crevés, ou bien du charme d'une esclave sexuelle envoyée à Hong-Kong.


Là où je ne partage pas l'ambitieuse critique d'Anvil c'est quand il parle d'un message visant à nous horrifier quant à, ou à dénoncer, certaines violences faites aux femmes. Ah mais non. C'est que voyez-vous la violence ici n'est pas à mettre en contraste avec la beauté, mais qu'elle ne fait que la souligner comme un rouge sur deux lèvres pulpeuses. Cher ami, tu auras remarqué que chez ces femmes yeux, cheveux et visages sont laissés - en grande partie - intacts afin que l'horreur, la peur, la souffrance, le désespoir de ces dames ne s'expriment que plus parfaitement à nos grands yeux goulus. Et que surtout aucun de ces atours ne soit déconnecté de leur féminité.


C'est ici le premier point : il ne s'agit pas d'un banal recueil de torture, mais de torture de femmes dans leur nubile majesté. Deux hypothèses s'ensuivent, pas forcément contradictoires :



  • Samura est un pervers psychopathe, possiblement impuissant mais diablement doué. Il excrète ses désirs sur le papier comme un adolescent le foutre dans un mouchoir. Vous pouvez faire confiance à un meurtrier pour avoir la prose alambiquée.


  • il y a quelque chose d'autre à l'oeuvre.



Je n'aurais pas commencé à écrire quelques mots si je ne croyais pas bien sûr en la deuxième hypothèse. Non pas celle d'un positionnement social (le numéro des violences conjugales est le 39 19), mais d'une ambition artistique troublante comme le vin du meurtrier. Qu'y a-t-il dans ces femmes cassées qui titille notre fibre d'esthète et agitait déjà celle de Baudelaire ? Où l'excitation s'achève-t-elle pour laisser place à quelque chose de plus noble ? (nulle part)


Je crois que le message, c'est la beauté de l'horreur.


Ce n'est pas un mensonge que de dire que la Femme est un archétype et que ses multiples variations se sont développées sur toute l'histoire humaine en un fatras de représentations qui ont été étudiées jusqu'à la nausée : la mère, l'amante, la salope, le petit tas de chair torturée (cette dernière est de moi), etc, etc.


Un dénominateur commun à tout cela : cet archétype passe par les yeux des hommes, ou ils nous sont en tous cas parvenus ainsi. Le point de vue est une chose cruciale quand on vous parle d'art.


Et justement ici le point de vue employé est celui d'un pervers. Les angles épient. La caméra espionne. Le cadre met à nu. Prenez un autre éclairage et les femmes deviennent des victimes à plaindre ! Mais ici elles sont des madones crucifiées, belles, si belles, et si attirantes. C'est ainsi que vous devriez les voir. Et le miracle s'accomplit.


Ton propre reflet trouble apparaît dans ce sombre miroir, tu regardes les ténèbres et elles clignent des yeux. Amour, peur, excitation, honte, joie, horreur, tout se mêle et tu saisis que les mots sont si artificiels. Les visages se succèdent et tout devient flou, tu ne sais plus quoi ressentir, s'il y a quelque chose


Et puis


elle


te regarde, perdue comme toi au milieu de toutes ces horreurs, et le monde s'effondre. Et tu comprends. Tout comme il suffit d'une voix pour changer un monde, il suffit d'une image pour éclairer le reste de l'album d'une lumière crue. Il a jeté une vierge intacte dans ce lupanar incendié.


A en juger par son post-scriptum Samura ne voyait pas dans Hitodenashi autre chose qu'une série de défis artistiques imposé par lui-même. Amusant comme il ne s'excuse ni ne se défend (quelle idée) mais parle plutôt en termes froids de l'échec de son expérimentation.


Samura, esthète que tu es, tu te fais une si haute idée de l'amour que tu peux l'entrevoir même dans ce qui se fait de pire. Amour. Love. Love of the Brute. L'amour est un terme si galvaudé aujourd'hui. Le nympholepte n'était-il pas fou amoureux ? Qui êtes-vous, monsieur, pour juger de ses passions ou des miennes ?


... je m'égare.


Puisque c'est un vilain rôle que je joue, autant écrire ma plaidoirie jusqu'au bout, pitoyable Humbert Humbert des Lolita cassées. Que bégaierait donc un accusé accroupi sur le banc ? Cela, sans doute, commencerait ainsi :


"Je crois que petit déjà les jouets cassés m'intéressaient..."

Brutalove
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le 15 sept. 2016

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