Une belle ouverture sur l’improbabilité du battement d’ailes de la mouche mutante dans les circuits informatiques pour nous ramener, après la courte mais dense visite d’un bel univers de science-fiction, au repère du Méta-Baron où discutent les robots de service : Alejandro Jodorowsky sait le prix du plaisir et permet à son compère Juan Gimenez de nous offrir une pure séquence de spectacle et d’humour avant de nous replonger dans la tragique histoire familiale.
Et de porter, au détour d’une obsession redondante, un étrange jugement sur les femmes.



« Les agissements des bios (comprendre des humains) sont d’une
effroyable complexité et tout effet est le produit de causes
multiples. »



Science-fiction débridée, combats galactiques où Alejandro Jodorowsky joue des mots toujours, les nuées de vaisseaux comme des nuées d’insectes, l’immensément petit pour l’immensément grand : un certain point de vue de l’univers, mélange de mathématiques implacables et de chaos. Othon continue sa route solitaire de faits d’armes héroïques dans un détachement empreint de nostalgie et d’apitoiement stérile, sauve malgré tout la progéniture impériale, imbriquant un peu plus la généalogie des Méta-Barons dans l’univers de L’Incal, et obtient ainsi le titre suprême, justement, de Méta-Baron.


Les auteurs abordent alors la rencontre, striptease sans décor, dessins splendides, portraits tout en détails, très expressifs, lisses et beaux, l’argent filasse des cheveux. La séquence est aussi nue qu’Honorata et dégage de suite un charme puissant à celle qui ne nie pas être une sorcière. La fécondation dès lors peut naître de magie, d’une goutte de sang perlée au bout du doigt. L’obsession est insistante : Alejandro Jodorowsky assume le machisme,



les femmes sont des ensorceleuses capables de magie,



et même si cela n’est pas nécessairement péjoratif, elles sont toujours, à travers l’œuvre du scénariste, porteuses du doute, d’une certaine dualité floue, l’Eve de l’Adam, avant de s’affirmer pleinement, salvatrices ou destructrices, à l’extrême.
Appuyant le propos sur cette dualité, les bonheurs et les dangers de la femme pour l’homme, le scénariste arque la narration autour de la jalousie pour amener l’imminence du drame. C’est par elles que le malheur arrive et, dans le même temps, que survient le miracle, et qu’encore arrivent les promesses de malheurs. Un accouchement spectaculaire, un secret à garder autour de l’enfant, nouveau-né et déjà l’enjeu de prétentions politiques machiavéliques, avec un sauvetage in extremis qui cause une mutation vécue par Othon comme une énième malédiction.
Le scénario est dense, l’intrigue haletante.


Mais le rythme est constamment brisé par trop d’interludes avec les robots, des apartés bien trop bavards, l’ensemble est narré par une voix-off un peu lourde, trop présente, et l’on a l’impression d’y lire parfois les notes de l’auteur quant aux enjeux qu’il entend développer. Avec un besoin de souligner à la vue de tous ses mécanismes de réflexion. Un défaut de structure qui hache la lecture d’un scénario pourtant simple et fluide.


Dans la dernière partie, l’auteur continue d’explorer les mythes pour forger une généalogie d’invincibles héros, implacables, à l’honneur droit : le jeune fils, temporairement renié par son père, est élevé par sa mère seule et passe une épreuve le jour de ses sept ans afin de se montrer digne de la caste paternelle. L’ensemble se clôt dans l’épreuve et le don de soi, sur une



filiation tyrannique par voie de mutilation,



comme un legs héréditaire lié aux sacrifices qui ont jalonnés l’existence du trisaïeul et qui promettent de se répéter pour des générations – et encore une fois on pense immanquablement à Star Wars et à l’obsession de George Lucas pour les mains tranchées, comme si l’adéquation n’était que pratique, justifiée pour inclure dans les chairs des hommes les détails d’une inévitable cybernétique.


Le dessin de Juan Gimenez est formidable.
De bout en bout, l’artiste délivre



une galerie de portraits magnifiques,



autant dans le sourire que dans la rage, les expressions sont précises, parlantes. Le plaisir est immense de se plonger dans l’univers coloré et infini d’une série où l’artiste s’implique pleinement : profusion de détails indispensables, choix pertinents d’ambiances, montage implacable. Après le schéma très classique du premier tome, les auteurs trouvent un peu de respiration dans le récit et Gimenez en profite pour livrer de superbes planches. Créer un monde dense peuplé de créatures diverses, rapaces, puissants, menaçants, humains et aliens, faibles, orgueilleux.


Première femme centrale de la série, Honorata la Trisaïeule bénéficie d’un traitement particulier puisqu’elle n’est qu’un pivot entre le père et le fils, un pivot cependant assez important pour prendre en charge l’éducation du rejeton et faire disparaître, plusieurs pages durant, le Méta-Baron de la narration. Alejandro Jodorowsky expose ses relations aux femmes, son admiration autant que ses méfiances, décrit des sorcières, semble se méfier de celles qu’il n’apprécie que pour la délivrance de l’héritier, idolâtrie béate autant que dédain et supériorité. Mais Juan Gimenez les aime et derrière les dualités assume leurs beautés, peint



des corps frêles et solides, doux et durs.



Et fait de ce second tome, un beau complément, tout en équilibre, à l’épisode précédent.

Matthieu_Marsan-Bach
8

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le 31 mai 2016

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