Fracture temporelle

Tout d'abord je préciserai que je n'ai pas particulièrement apprécié la série Avengers de Hickman, à l'inverse de New Avengers. Les trois premiers tomes n'étaient pas particulièrement facile à lire, trop de concepts, trop de personnages, trop de mises en place, une écriture qui voyait grand sans s'en donner les enjeux nécessaires. Je ne dis pas que tout était mauvais, plutôt médiocres, surtout dans la construction de la série, la façon de la penser. En tout cas je n'accrochais clairement pas. Le quatrième tome améliorait nettement le niveau mais il dépendait directement d'Infinity. Concernant le cinquième je suis davantage partagé : d'une part il sert toujours essentiellement à la mise en place et manque cruellement d'indépendance (les adaptoïdes par exemple sont inintéressants excepté pour la conclusion de leur périple et la pierre qu'ils apportent à l'édifice d'Hickman), d'autre part certaines idées m'ont plu et surtout le dialogue final de 16 pages qui tient du pure génie.

J'attaquais donc sans grande attente cet ultime tome, ne le lisant que pour ne pas être largué par la suite dans ''Times run out''. À mon grand étonnement j'y ai pourtant enfin trouvé tout ce que j'attendais de cette série (c'était maintenant ou jamais aussi) : unicité et autonomie du récit tout en distillant des teasings sur les événements à venir comme quoi les deux ne sont pas incompatibles, équipe réduite où chacun trouve sa place, réinterprétation/réappropriation du principe de voyages temporels par Hickman (à titre de comparaison il n'avait eu aucune originalité dans le tome 5 sur le principe des Rogue Avengers).

Le début de l'histoire est un cauchemar, celui d'un homme, Steve Rogers, qui se remémore à la faveur de la nuit des événements horribles et effacés de son esprit. Un autre homme habite ce cauchemar, un homme a créé ce cauchemar, un homme l'a trahi. Alors Captain America rassemble ses plus fidèles avengers et pénètre de force le domicile de Tony Stark. L'interrogatoire se veut dure, la tension monte, les deux hommes se frappent. Mais au milieu du chaos qui s'apprête à éclater, la pierre du temps réapparaît. Vestige du gant de l'infini brisé par Captain lui-même au cours de la première incursion à laquelle les illuminatis avaient fait face, la pierre se brise à son tour et entraîne les Avengers dans une succession de fractures temporelles. Le voyage vers l'éternité peut commencer...

Au cours de ces sauts successifs vers le futur, nous voyons la Terre évoluer et la science progresser. Le dessinateur s'en sort bien pour faire ressortir une atmosphère différente à chaque voyage et Hickman livre sa version des paradoxes, où le temps est un champ de bataille entre les époques, où le temps ne fait qu'un. Bien malin celui qui aura compris ce tome du premier coup, à mon sens c'est impossible, pas avant d'avoir lu la suite. Déjà qu'une personne non au point sur le run en cours est obligatoirement perdue, particulièrement sur le principe de la planète vagabonde qui fait aussi interférer des voyages dans le temps... Au fur et à mesure, le groupe des avengers se réduit donnant son petit moment de gloire à chacun (œil de faucon en tête qui se confronte à sa version âgée, celle-ci murmurant ensuite un mystérieux message décisif à l'oreille de Cap, comment était-il au courant de l'issue de l'histoire je me le demande encore). Nous progressons dans le temps, rencontrant au passage la menace terrifiante d'Ultron qui en profite pour déposer une bombe vers l'avenir, et nous parvenons à l'époque du 5ème millénaire où Franklin Richards essaye tant bien que mal d'expliquer ce qui arrive à Cap. Malheureusement (?) il ne l'écoutera pas. Il aura manqué de temps au grand désespoir du lecteur qui aurait véritablement voulu écouter la fin des révélations (Franklin affirme tout de même que la fin du monde a eu lieu).

Mais dans ce tourbillon de temporalité, l’îlot auquel le lecteur se raccroche n'est autre que Captain lui-même. Ce dernier se confrontera à de nombreuses idéologies, à des formes de pensées diverses, et en tant que dernier avengers il fera comme toujours ce qui lui apparaît comme le bien. L'ensemble du tome est construit sur sa décision initiale d'arrêter Tony Stark, sur les raisons intérieurs qui le poussent à aller à l'encontre des illuminatis, alors même qu'ils font tout pour sauver notre Terre. Même lui ne peut ressortir idem d'un tel périple, et revenu à bon port il sait que le destin du monde se joue en grande part sur son choix. Pardonnera-t-il à son ami, détruira-t-il les futurs qu'il vient de visiter ou au contraire reproduira-t-il les événements y menant ?

Je ressors à peine de cette lecture et la logique de tout ceci me paraît encore floue. Tant de questions restent sans réponse. Il n'empêche que cet album est une vrai réussite, il est rythmé du début à la fin avec seulement un minimum de combat, on le lit avec une extrême attention pour essayer d'en saisir les subtilités tout en savourant le simple enchaînement des scènes. Concrètement il construit le futur Times run out tout en étant en lui-même une aventure de qualités, bourrée d'idées sympathiques et au graphisme réussi: une aventure qui se lit avec un plaisir certain.