Récemment, j'ai eu un intérêt soudain pour le personnage de Judge Dredd, et pour la dernière adaptation ciné en date, que je n'ai toujours pas vue. Je voulais connaître un peu mieux le matériel d'origine avant de voir le film, pour faire les choses bien. Après avoir lu "Heavy metal Dredd", j'ai donc acheté le premier tome de l'intégrale, un gros volume qui comprend la première année de publication des aventures de Dredd, lancée à la fin des 70's. Après l'avoir commandé, j'ai lu sur internet quelqu'un dire qu'à force les histoires étaient lassantes, et un autre répondre que ce n'était pas la meilleure façon de débuter, et qu'on ne commence pas Batman en lisant son premier comic, sans quoi on risque de vite décrocher.
Zut alors.
Maintenant, je trouve que ce premier volume est quand même une pas si mauvaise introduction dans l’univers de Dredd.

Le dessin des premières histoires est très classique, mais ça a l’avantage d’être lisible.
Il faut attendre une dizaine de numéros avant que le dessin ne se fasse plus détaillé, avec le travail de Ian McMahon, et encore mieux ensuite : Brian Bolland (The killing joke), avec qui ça devient plus élaboré et très beau.
Assez vite, le comic aborde des thèmes intéressants, mais d’une façon un peu simpliste et rapide : dans une de ses premières aventures, à la dernière case un juge évoque qu’ils risquent de tous quitter leur métier en mourant, mais la réflexion ne va pas plus loin que ça. Dredd répond que c’est la seule façon de partir pour lui, c’est-à-dire en servant la loi. Dès la première histoire, Dredd est un peu trop "goody two shoes", trop vertueux.
On cherche à en faire un modèle de justesse et de justice, ce qui le rend pas tant héroïque mais plutôt niais. Alors que ses collègues sont prêts à bombarder un immeuble pour se débarrasser de criminels, il est le seul à s’opposer à cette idée, et propose d’y entrer seul pour les déloger.
Et au début, Dredd conclut chaque histoire en parlant de la loi ou de la justice, et comme on ne peut jamais y échapper, etc.

Les histoires sont succinctes, mais les auteurs arrivent bien à façonner un univers, grâce à quelques idées fortes, comme l’empire state qui est en ruines et sert de repaire à des criminels.
Parfois une simple évocation d’une idée suffit à poser le décor : c’est le cas quand on parle du système de régulation de la météo, ou qu’on cite le "time-stretch jail" ; on ne nous en parle pas en détail, mais on devine aisément ce que c’est, et il n’y a pas besoin de plus pour donner l’impression d’un univers futuriste qui a été bien pensé.
Les auteurs font preuve, au fil des numéros, d’une grande imagination, trouvant chaque fois de superbes idées d’invention : devil’s island, la prison qui n’est en fait qu’une plateforme dans les airs dont on ne peut s’échapper à cause des routes autour où les véhicules vont à plus de 200 miles par heure ; le smokatorium qui est le seul lieu où l’on a le droit de fumer, et où chacun a son masque pour ne pas s’asphyxier à cause de la fumée qui emplit le bâtiment ; une énorme machine roulante nommée "roadmaker" et qui fabrique les autoroutes.
J’ai bien aimé aussi l’idée que dans le futur, les jeunes, pour se démarquer, s’habillent comme au début du 20ème siècle, et que la guerre ne se fait plus entre des armées mais des équipes de quelques hommes seulement, filmés et diffusés à la TV comme si c’était un show.
Ce qui est encore mieux, c’est quand les auteurs inventent une caractéristique du monde futuriste qui pose problème pour les forces de l’ordre, et trouvent une solution amusante. Quand Dredd affronte une mafia de singes qui n’est pas soumise aux lois humaines, il les boucle grâce à l’"animal act". Quand il affronte des hommes avec des armes dont les tirs explosent à une certaine distance et non à l’impact (ce qui permet de traverser les murs), il court vers eux assez vite pour qu’ils ne puissent régler la distance. Sur la lune, quand Dredd affronte des bandits dans un saloon (oui, la lune, ce territoire nouveau, est présentée comme un décor de western), il tire sur les bottes anti-gravité pour les mettre hors d’état de nuire.
Le plus étonnant, c’est quand certaines des idées se montrent en avance sur leur temps : il y a une histoire avec un show télévisé où l’on risque sa vie, et dans une autre Dredd dit que son arme à feu ne fonctionne qu’avec ses empreintes digitales (une idée qui devient réalité maintenant).
Il y a aussi dans une des premières histoires un appareil qui permet de reconnaître les criminels à leur voix, mais à mes yeux ils en ont fait un moyen trop facile de boucler une histoire.

Le monde futuriste permet certaines situations farfelues, comme quand on voit des types à tête de Groucho Marx ou de Laurel et Hardy qui braquent une banque, grâce à un appareil qui permet de changer de visage, comme on change de look. C’est pas tellement logique que ce type d’appareil soit vendu à n’importe qui, mais il y a pleins d’histoires manquant de logique dans Dredd.
Quand notre héros est sur la lune, une station spatiale livrant de l’oxygène aux habitants de la lune est attaquée, et l’oxygène est remplacé par un produit soporifique. On apprend plus tard qu’il y a eu plusieurs centaines de million de morts ; c’est complètement idiot que tout l’oxygène sur la lune soit livré par une seule valve, et si ça tombait en panne ?
En plus à la fin de l’histoire, les braqueurs meurent parce qu’ils n’ont pas payé leur facture d’oxygène, qu’on retire soudainement de leur logement. C’est vraiment bête.
Mais alors le summum de la connerie, c’est l’histoire en 4 ou 5 épisodes avec une voiture tueuse qui a l’esprit d’un gosse de 5 ans. La voiture change de taille on dirait : à un moment elle rentre dans un appartement pour se planquer.
Si les auteurs ont de bonnes idées concernant les inventions du futur, ils ont du mal parfois à raconter une histoire correctement. Dès le 4ème numéro, les histoires et raisonnements des persos deviennent simplistes voire bêtes. Et il y a toujours des personnages qui décrivent tout, par exemple un juge qui chute et s’écrie "I’m falling !".
Il y a une histoire avec un thème pas mal, devenu assez commun maintenant : la révolte des robots sur les humains. Ca débute avec une belle idée, celle d’une exposition où l’on montre la fidélité d’un robot, à qui on ordonne d’aller au milieu des flammes pour brûler ; tandis que son visage fond, on croirait que ses yeux pleurent. Mais l’histoire, qui dure sur plusieurs épisodes, est résolue avec trop de facilités : les robots en rébellion decouvrent que leur nouveau chef est pire que les humains (bah tiens, quelle chance pour les humains hein !). Il est comparé à Hitler, et il dit lui-même qu’il admire cet homme ; putain c’est pas fin.
Les robots reviennent sous la domination des humains, ce qui est montré comme normal et logique, alors même que les robots ont été conçus avec des émotions, et agissent et pensent comme des humains. Leur situation est semblable à celle des esclaves noirs d’autrefois, sauf qu’ici on donne raison aux esclavagistes et que les robots sont heureux d’être sous la domination des humains. C’est assez douteux, d’autant plus que le terme "slaves" est réellement utilisé par les robots, conscients et satisfaits de cette condition au final.
Dredd a d’ailleurs à son service un robot ultra-loyal et lèche-bottes nommé Walter, une sorte de sidekick comique vraiment dur à supporter, surtout qu’il prononce tous les "R" en "W", ce qui est agaçant rien qu’à la lecture. C’est comme pour Maria, la femme de ménage italienne de Dredd, dont l’accent est retranscrit à l’écrit ; c’est affreux.
Le pire, c'est que Walter a ses propres histoires à la fin de l'album, des strips d'une page censés être comiques...

Pour parler de Dredd lui-même, il ne ressemble pas du tout au tas de muscles à la Stallone qu’il est devenu dans les comics plus récents ou dans les adaptations ciné, en fait il ressemble à un jeune homme svelte.
J’avais lu sur Wikipedia que l’idée de base était de faire de Dredd un Dirty Harry du futur, une idée qu’on ne retrouve presque jamais dans ce que j’ai lu. Il y a seulement une histoire où il lie justice avec radicalité : quand il brûle un immeuble de sorte à faire sortir un criminel, tout en disant au propriétaire qu’il sera remboursé par son assurance.
Je ne compte pas les autres fois en fin de volume où, bizarrement, et en inadéquation avec l’image du héros très à cheval sur les lois qu’on a vu jusque là, Dredd emploie des moyens si extrêmes qu’ils en deviennent juste débiles et dépourvus de tout caractère juste.
Il donne une amende à un type qui roulait trop lentement, prétextant qu’une fillette est morte à cause d’un truc comme ça la semaine passée ; je vois là l’idée d’en faire un héros très strict, mais ça devient juste ridicule là, en quoi il rend la vie des habitants meilleure avec ça ? Le comble, c’est que Walter conclut cette histoire en disant que Dredd est aussi sévère pour assurer la sécurité des citoyens de Mega City 1.
Une autre idée bien bête, c’est quand la police retire la couche de peau d’un suspect pour vérifier s’il n’a pas des traces de produits inflammables sur lui.
J’ai eu l’impression qu’au sein d’histoires réalisées au cours d’une seule année, on a déjà un personnage incohérent selon les auteurs qui s’occupent de Dredd. Un coup il est tout à fait juste, d’autres fois on essaie d’en faire un personnage un peu subversif.
Et avant même qu’on ne voie de lui ce côté trop extrême, on le présente déjà comme un personnage de "boogeyman", dont les parents parlent quand ils veulent que leur enfant se tienne bien (ce qui donne lieu à une situation bien drôle où, de façon justifiée, Dredd arrache la tête de ce qu’on croit être un enfant).

Je m’attendais à pire avec ce que j’avais lu à propos de ce premier volume des aventures de Judge Dredd, mais peut-être que j’ai mieux tenu le coup car je lisais seulement une ou deux histoires par jour dans le métro.
Même si ces premières histoires sont parfois très mal écrites, elles contiennent des éléments prometteurs. Et certains dessins valent le coup d’œil.
Il paraît que les histoires s’améliorent dès le volume 2 ; peut-être que je m’y mettrai, mais ça ne sera pas avant un moment.
Fry3000
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le 30 mars 2013

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Wykydtron IV

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