En ces années 2000, les comics sont clairement une valeur sûre de la culture américaine, nous abreuvant de super-héros à tour de bras, et leurs adaptations cinématographiques n'en sont que davantage légion, récupérant chaque personnage intéressant pour le porter sur grand écran. D'un côté, on a les Marvel qui se débrouillent très bien et tentent de construire un univers cohérent - personne n'y aurait cru il y a quelques années - et de l'autre, la révolution Nolan qui a pris le problème dans le sens du réalisme avec son Batman. Et Kick-Ass, c'est un peu ça, on pourrait même parler de la version moderne et populaire de Watchmen, en s'arrêtant à l'esprit d'origine du comics de Moore.

Kick-Ass, ce sont effectivement de jeunes, et moins jeunes, gens qui enfilent un costume basique pour aller combattre le crime dans les rues de New York. Aucun élément fantastique donc, ni d'origines tortueuses, ou encore moins de pouvoirs scientifiques ; Kick-Ass reste ancré dans un contexte réaliste, et très probable. En quelques sortes, on pourrait même dire qu'il se base sur la réalité puisque ces hommes et femmes qui se déguisent en super-héros en s'inspirant de leurs idoles dessinées, et effectuent des patrouilles de prévention du crime, c'est assez courant aux Etats-Unis (et dans quelques autres pays). Millar va néanmoins se servir du format comics pour davantage représenter des fantasmes d'ados. Contrairement à ce qu'une réplique en ses pages décrie ("Pourquoi personne ne veut être Spider-Man ?"), tout le monde rêverait d'être Spider-Man, ou de conduire la Batmobile, ou bien de se déplacer à la vitesse de la lumière,... Des pouvoirs qui n'apparaissent évidemment jamais dans les planches de ce comics, mais toute une culture de super-héros avec laquelle Millar joue, ironise, se sert, et surtout à laquelle il rend clairement hommage, ayant lui-même pu toucher à de nombreux titres différents au cours de sa carrière.

Comme tout comics qui se respecte, on va nous servir un développement d'histoire assez classique. Le protagoniste, Dave Lizewski, est un ado lambda comme les autres, loin d'être populaire, et de justesse échappant à la catégorie du looser. Il a une bande potes de son niveau, tous passionnés par les comics, les jeux-vidéos, et autres occupations assez geek. Mais ce qui différencie Dave des autres jeunes de son âge, c'est qu'il se pose des questions, qu'il est un peu inconscient, naïf même et, d'aucuns pourraient le dire, pas mal idiot. Notre tête blonde va donc décider que les super-héros n'appartiennent pas qu'au carcan du comics, et qu'il est possible pour quelqu'un de les rendre réels. Aussitôt dit, aussitôt fait. Il s'empresse de commander une combinaison de plongée, qui lui fait office de costume, fait quelques pompes et tractions, puis se lance à l'assaut des criminels dans les rues de New-York. Évidemment, il se fait méchamment amocher, finit à l'hôpital, et en ressort avec des attèles et plaques de métal dans tout le corps.

Sans le savoir, c'est là qu'il va vraiment devenir un ado différent, capable de résister assez longuement aux coups et profitant donc de cette "capacité", pour renfiler le costume de plus belle. Kick-Ass se fait alors connaître en cognant quelques malfrats et y prend goût, sent qu'il a enfin un but dans la vie, jusqu'à se faire de nouveau bien laminer. Comme bon nombres de super-héros, Millar fait traverser, à son protagoniste, des phases de responsabilités, où celui-ci se rend compte qu'il n'est pas dans un jeu et tente de raccrocher. On retrouve également cette fille inatteignable qui lui fait mouiller ses draps toutes les nuits, et qu'il va enfin tenter de se faire. Ou bien les déboires liés à l'identité secrète. Des thèmes assez classiques dans l'univers des comics en fin de compte ; l'élément rafraîchissant venant du côté casse-cou du héros, qui rappelle vraiment un certain Peter Parker. Et je pense que ce n'est pas anodin d'y lire autant de références à l'Araignée.

Pour continuer dans la coutume, il ne peut y avoir de héros sans vilain, et les dealers ce n'est pas forcément intéressant, ni une finalité pour tout scénariste de comics. C'est pourquoi Kick-Ass, qui pensait faire une action communautaire, va se rendre compte qu'il a fourré les pattes dans un engrenage bien plus dangereux. Si lui est sous les feux des projecteurs, il ne reste qu'un amateur et d'autres travaillent déjà dans l'ombre face à John Genovese, le mafieux américain de la ville, qui ne supporte plus que ses affaires soient perturbées par des gars costumés. Kick-Ass va donc rencontrer le duo infernal Hit Girl et Big Daddy, ayant vraiment une dent contre le parrain local, et rigoureusement entraîné. À un détail près, Hit Girl n'est qu'une fillette d'une dizaine année, jure comme un charretier, et manie n'importe quelle arme (blanche ou à feu) comme les maîtres de la discipline. Leur histoire est saugrenue, et leur assurance déstabilisante pour Dave qui ne voulait, à la base, que s'amuser, et se retrouve ainsi entraîné dans une spirale de violence, coups bas, et horreur qui dépasse clairement son entendement.

Si Mark Millar parvient à développer une histoire intéressante, c'est clairement grâce à John Romita, Jr. qu'elle prend tout son sens. Son dessin reste simple, et en 2D, mais chaque case est riche et détaillée. Ses personnages sont expressifs, ses scènes sont significatives et ses angles de vues variés. Ajoutez à cela la patte colorée de Dean White qui reste également plutôt sobre dans ses apports de nuances de reliefs et de jeux de lumières, mais joue très bien avec les couleurs. Les scènes quotidiennes sont ainsi généralement dans des tons clairs, pastels, ou bien uniformes, permettant ainsi à la combinaison verte satinée parcourue de jaune de Kick-Ass de faire mouche dès sa première apparition. Dans la même optique, le "héros" est du coup toujours mis en valeur puisque ayant, généralement, les tons de couleurs qui ressortent le plus dans chaque case. Mais s'il y a des scènes où les deux artistes se régalent, ce sont clairement les passages à tabac et massacres d'Hit Girl, qui leur permettent de dévoiler toute l'anatomie intérieure du corps humain et de repeindre leurs cases en rouge, avec un certain sadisme dans leur représentation.

Voilà donc le nouvel univers mis en place par Millar et Romita, Jr. Avec ses huit numéros, Kick-Ass se parcourt très rapidement et dévoile une histoire déjantée d'un ado qui se rend compte que ses rêves ne sont, finalement, pas tous roses. L'histoire est bien amenée, avec ce qu'il faut de back story, et le personnage principal tellement descendu au long des pages qu'on finit par avoir pitié de lui. Cette double identité est donc très amusante à suivre, et les quelques retournements de situation sont bien trouvés. Pour autant, le ton du comics demeure relativement léger et bon enfant, grâce à toute cette enveloppe de culture geek, en dépit de scènes assez sombres dans l'esprit qui rappellent que, quand même, dans la réalité on ne rigole pas, et d'autres passages un tantinet grotesques et exagérés, notamment par rapport à Hit Girl. Sans être un comics culte, car il demeure assez simple dans son déroulement et se résout bien plus vite qu'il ne pose ses bases, Kick-Ass adopte une autre approche, plus juvénile du super-héros et réussit à divertir un moment.
AntoineRA
7
Écrit par

Créée

le 29 août 2013

Critique lue 217 fois

1 j'aime

2 commentaires

AntoineRA

Écrit par

Critique lue 217 fois

1
2

D'autres avis sur Kick-Ass : Intégrale

Kick-Ass : Intégrale
Spoof
8

Critique de Kick-Ass : Intégrale par Spoof

C'est pas courant pour ma part, mais j'ai vu Kick-Ass, le film, avant d'avoir lu le matériau d'origine. Généralement, on garde une préférence pour la première version qu'on a découvert. Si on lit un...

le 4 août 2010

15 j'aime

Kick-Ass : Intégrale
Nijo
7

Critique de Kick-Ass : Intégrale par Nijo

Millar tient là une bonne idée : un gamin, geek et mal aimé au lycée, décide qu'il va le faire, il sera le premier super-héros ! Malheureusement pour lui être super-héros c'est dur comme le goudron...

Par

le 22 nov. 2010

9 j'aime

2

Kick-Ass : Intégrale
Pariston
4

Ass-Kicked

D'aucuns en parlaient comme d'un comic révolutionnaire, excitant, phénoménal dans le gore, un peu comme l'adaptation cinématographique qui en a découlé ; pourtant, KICK-ASS n'est clairement pas une...

le 16 avr. 2012

7 j'aime

3

Du même critique

Caldera
AntoineRA
9

Critique de Caldera par AntoineRA

Il y a des jours, comme ça, où on tombe sur des courts-métrages d'orfèvres. C'est le cas de Caldera, découvert via une news sur le site Allociné. Réalisée par Evan Viera, l’œuvre a déjà récolté...

le 5 avr. 2013

14 j'aime

2

Minutes to Midnight
AntoineRA
7

Critique de Minutes to Midnight par AntoineRA

C’est étrange comment on peut en venir à renier, voire haïr un groupe pour, la majorité du temps, se faire bien voir parmi la communauté Metal. C’est le cas de LINKIN PARK. Le nom vous donne des...

le 27 oct. 2012

14 j'aime

Marvel's Daredevil
AntoineRA
8

Critique de Marvel's Daredevil par AntoineRA

• SAISON 1 (9/10) [Critique du 1 mai 2015] Très loin de la mièvrerie, du fan service forcé, et du kitsch cheap et Disney-ien des films de Marvel depuis Avengers, Daredevil a su s'émanciper de ces...

le 1 mai 2015

13 j'aime

2