Les jeux de massacre furent très populaires dans le manga du début des années 2010, mais honnêtement, quasiment aucun titre n'a vraiment valu le coup dans le lot.


King's Game est nul. Sa nullité est d'ailleurs renforcée par le fait qu'il se croit intelligent, persuadé d'être une œuvre profondément tragique, qui nous livre une réflexion incroyable sur la nature humaine. Mais il n'en est rien.


Pourtant, l'idée de départ avait un potentiel. L'idée d'un jeu de massacre entre lycéens forcés de remplir des défis de plus en plus extrêmes pour survivre sous peine de mourir dans d'atroces souffrances, il y avait un petit côté Saw. Le manga aurait pu embrasser totalement cette dimension gore débile mais réjouissante.
Mais King's Game a choisi de se prendre au sérieux. Et clairement, il n'aurait pas dû, tant il parait incapable de comprendre son propre concept. Pour vous donner une idée du niveau d'incompétence de cette œuvre, le début nous montre une série de petits défis innocents à remplir et les élèves s’exécutent, sans évidemment savoir qu'en cas de refus, ils meurent. Or, un élève reçoit pour consigne de lécher le pied d'une camarade. On peut le comprendre lorsqu'il refuse de le faire, seulement son refus est appuyé par un dessin et une façon de s'exprimer tous les deux très agressifs, déformant grandement son visage au point de le faire paraitre bestial. Un choix de comportement et de dessin qui se comprendrait si le personnage était conscient de la peine qu'il encourt en refusant, mais à ce stade de l'histoire ça n'est pas le cas. Donc dès le début du manga, un personnage va surréagir à une épreuve alors même qu'il ne sait pas ce qu'il risque.
Belle note d'intention de la part du dessinateur.


Car au-delà des soucis d'écriture que nous verrons plus loin, le dessin de Hitori Renda est l'un des facteurs principaux de l'échec du manga. Pas qu'il soit mauvais en soi (même si l'on sent la trèèèèèèès forte inspiration du style de dessin de Takeshi Obata, dont le dessinateur fait presque le copié-collé de certains personnages de Bakuman), mais stupidement mal géré dans ses scènes de tension. A peu près toutes les 3 pages environ, vous aurez une planche où au moins un personnage sera en proie à des émotions violentes et aura ainsi le visage déformé comme expliqué plus haut, c'est presque systématique. Ajoutons à cela que, je pense, les deux tiers des dialogues au bas mot sont criés par les personnages, on finit véritablement par se sentir agressé par le manga. Il n'y a aucun travail réel de la tension, les personnages passent en 2 cases de l'état normal à une terreur profonde ou une colère inhumaine. Ça n'a aucun sens de ne pas chercher à diluer les effets. On a l'impression qu'entre les premiers gages innocents du début du premier tome et le dernier gage sanglant du dernier tome, il n'y a eu aucune progression en terme de tension, ce qui est quand même sidérant pour un manga qui se veut un thriller horrifique.


Mais si le dessin se montre ainsi bipolaire dans ses effets de style, c'est sans doute en partie dû à l'infecte écriture de Nobuaki Kanazawa. Tous ses personnages, en dehors du quatuor central, sont écrits de l'exacte même façon, à savoir des personnes égoïstes, veules, qui veulent survivre à tout prix en écrasant tous les autres, et leur fourberie nous sera d'ailleurs très clairement communiquée via le dessin de Renda, dans le cas où nous aurions encore un doute sur le fait qu'ils sont méchants. Bien entendu, il y a quelques personnages qui forment l'exception, mais leur bonté est tellement sur-appuyée par le dessin et l'écriture que c'en devient juste étonnamment guimauve pour un manga qui se prétend mature et sérieux.


Mature et sérieux et pourtant incapable de traiter narrativement de vraies et sérieuses questions que le lecteur serait amené à se poser sur le scénario. A tout hasard : "Que font les flics ?!"
Je tiens à rappeler que dans une classe de lycée japonaise d'une époque contemporaine à la nôtre, a eu lieu une série de morts étranges et inexpliquées, et pourtant à aucun moment la police ne prendra des mesures sérieuses ni ne jouera le moindre rôle dans le manga. C'est tellement confondant de stupidité qu'alors que notre héros tente d'expliquer à la police que sa classe est victime d'un jeu meurtrier et que les inspecteurs ne le croient pas, il n'a même pas la présence d'esprit de leur montrer sur son portable les messages du Roi pour prouver ses dires, il ne pense même pas à proposer à ses camarades de témoigner, que tous ensemble ils demandent l'aide d'adultes compétents.
C'est pitoyable. Bien sûr que le but est d'isoler les personnages, de les enfermer dans le jeu du Roi sans aucun espoir d'être secourus, mais à aucun moment ça n'est travaillé comme un propos en soi.


Il faut attendre le second tome pour que les personnages commencent vraiment à se poser des questions sur l'identité du roi, alors qu'il y a déjà eu une demi-douzaine de morts. Ils suspectent certains personnages, mais le lecteur se doutera immédiatement que la véritable cause de ce jeu ne peut en aucun cas être expliquée rationnellement, que quelque chose de surnaturel est forcément à l’œuvre, ce que pourtant les personnages ne comprendront pas avant la toute fin.
D'ailleurs pour parler rapidement de celle-ci, elle est juste stupide. L'identité de ce fameux Roi, reconnaissons-le, est surprenante (en cela qu'est était impossible à deviner) à défaut d'être crédible.


Car de crédibilité, le manga manque cruellement. Des personnages passent de parfaitement normaux à d'abjects manipulateurs en quelques pages, les règles du jeu changent à chaque fois que ça arrange le scénario,...
Et au passage, je trouve le manga d'une misogynie assez crasse. Ça se vérifie pour moi avec 2 personnages féminins. Le premier est une jeune fille qui est prise dans un jeu d'élection, où elle doit obtenir plus de voix que son concurrent pour survivre. On nous explique au détour d'une case que cette jeune fille se prostitue pour l'argent et qu'elle a offert son corps à plusieurs élèves pour s'assurer des voix. A aucun moment ces éléments ne sont développés dans l'histoire, il s'agit juste d'éléments posés là pour diaboliser le personnage, le rendre détestable, sans que jamais le scénariste, qui en réalité, et pour le dire crument, n'en a rien à foutre de ses personnages, ne cherche à nous développer ce personnage, à nous faire comprendre son parcours de vie qui l'aurait conduite à ce genre d'actes. A la place, on a juste l'impression que le manga nous crie "Sale pute !" avant de tuer la jeune fille qu'il juge impure.
Autre personnage féminin complètement à la ramasse : Chiemi, la petite amie du héros. Personnage presque totalement laissé sur le bas côté durant tout le manga, sauf encore une fois quand ça arrange le scénario. Notamment lors d'un passage qui se voudrait extrêmement poignant, émouvant et tragique en même temps mais qui est juste malaisant : Le meilleur ami du héros reçoit pour consigne par message qu'il doit coucher avec une fille dans les 24h s'il ne veut pas mourir; réaction de notre héros ? Enfermer l'ami en question et Chiemi dans une chambre et les inciter à coucher ensemble. Et autant vous dire qu'il demande à peine son avis à la jeune fille, il la supplie juste de le faire pour sauver une vie, ce qui rapproche moins ce moment d'un sacrifice exceptionnel que de la prostitution. Et si encore le scénariste allait jusqu'au bout de son idée en faisant en sorte que cet événement ait des répercussions sur la relation entre le héros et Chiemi (ne serait-ce qu'une séparation, je pense que ça serait le minimum), mais même pas. Ce moment passe et ne sera plus jamais abordé à nouveau par aucun personnage.
Voilà à quoi en est réduite la femme dans ce manga : Le sexe.
Bravo.


J'ai dans l'idée qu'après avoir offert d'aussi pathétiques représentations féminines, l'auteur a dû ressentir quelque remords, et nous a donc gratifiés de Ria Iwamura. Un personnage féminin qui se voudrait fort, mystérieux mais aussi intelligent que Light Yagami dont je suppose que l'auteur est un grand fan vu à quel point il en repompe le mode de réflexion. Pourtant Ria est le personnage le plus mal écrit de tout le manga, et ce pour une raison très simple : Elle n'a rien à faire dans ce manga. Je vous jure qu'à chaque fois qu'elle apparait, on a l'impression qu'elle sort d'une autre série. Le personnage va au lycée, pourtant elle nous est présentée comme extrêmement intelligente, tellement froide qu'elle n'éprouve aucune empathie à l'égard de ses camarades de classe décédés et n'avoir pour seule philosophie que la victoire à tout prix. Et dans le principe, on pourrait trouver ce personnage intéressant, elle est le pendant opposé de notre héros, bien plus geignard, naïf et idéaliste; mais encore une fois, le scénariste n'ayant aucune envie de replacer ses personnages dans un contexte et une expérience de vie, on a juste l'impression d'un personnages qui sort de nulle part et n'a rien à faire dans ce manga. Un personnage censé être intelligent et qui pourtant prétend être le Roi devant tous ses camarades sans aucune raison, met en place des coups fourrés pour son seul amusement et, le meilleur pour la fin, est un hackeur de renommée mondiale recherché depuis des années par les autorités. Je ne plaisante pas. Et si vous êtes en train de vous demander si je suis toujours en train de vous parler d'un jeu de massacre entre lycéen et n'ai pas pété un câble pendant que j'écrivais, je pense que vous avez trouvé la métaphore parfaite de Kanazawa au moment d'écrire son scénario.


King's Game est nul.
C'est un manga qui se voudrait mature et réfléchi mais n'est même pas capable d'aligner trois bouts de scènes sans faire quatre erreurs, qui voudrait nous proposer une réflexion sur l'être humain mais ne dépasse jamais en cela le niveau collège, qui ne comprend ni les règles élémentaires de narration, ni la simple logique d'écriture scénaristique.
Et ça n'est pas comme si les erreurs que je relevais étaient du simple chipotage, quelques incohérences par-ci, par-là, ça ne poserait pas de soucis. Le problème, c'est qu'elles sont extrêmement visibles, elles sont le socle même de l'histoire, car le scénariste sait qu'avec sa paresse d'écriture, il n'a aucun moyen de tout faire tenir ensemble s'il développe quoi que ce soit, et se contente donc juste d'accumuler les scènes de tension artificielles, les moments gore réjouissants mais rares et finalement trop expédiés, et d'emballer le tout dans une intrigue superficielle qui veut se donner les apparences de l'intelligence, mais nous prouve juste avec son dénouement qu'elle n'est qu'une pathétique rédaction écrite par un collégien qui se croit drôle à écrire du trash pour du trash, et qui ne mérite comme note finale qu'une zéro pointé.

Arkeniax
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le 7 nov. 2021

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