La malédiction des héros universels, des icônes, c’est bien souvent que tout le monde a eu une opinion sur eux, sans les connaître pour autant. Sherlock Holmes, tout le monde a vu des films, des séries télé, a lu des livres et des BDs reprenant les exploits du plus célèbre détective de tous les temps… et même ceux, qui ne l’auraient pas fait – une minorité, on s’en doute – a une opinion bien établie sur le limier héroïnomane et névrotique de Baker Street. Pourtant, combien ont réellement lu l’œuvre géniale – il est vrai pléthorique – de Sir Arthur Conan Doyle ? Connaît-on réellement en 2019 Sherlock Holmes, au-delà de l’interprétation inspirée qu’en a donné ces dernières années Benedict Cumberbatch dans une adaptation il est vrai plutôt inspirée du mythe ?


La première qualité du livre de Cyril Liéron et Benoît Dahan, "Dans la Tête de Sherlock Holmes", c’est donc d’essayer autant que possible de retrouver l’essence la plus profonde du personnage de Conan Doyle, qui est bien sûr, le fonctionnement de son cerveau : facultés d’observation, tri des informations pertinentes, stockage mémoriel des données, et donc, finalement, puissance de déduction, c’est-à-dire capacité à construire une histoire cohérente à partir de tout le matériau brut recueilli… Et tout cela en faisant largement fi de toute psychologie ou sociologie (nous exagérons, car les analyses du détective de Baker Street intègrent évidemment les éléments utiles des sciences comportementales !), en se tenant de la manière la plus intègre possible dans le pur domaine de la logique. Et en défiant ainsi de manière terriblement « moderne » les chimères du surnaturel, ou plus exactement de la croyance et de la foi.


"Dans la Tête de Sherlock Holmes" est un livre formidablement ambitieux, puisque ses auteurs cherchent en permanence comment illustrer les mécanismes d’analyse du plus purement logique des héros, sans pour autant perdre le lecteur au long d’un chemin qui peut s’avérer, bien entendu, parfois austère (pas de kung fu ici, comme à Hollywood !). La technique du fil rouge, qui guide la lecture et organise le processus de manière efficace, mais aussi la composition de pages conceptuelles figurant littéralement le fonctionnement de l’esprit de Holmes font souvent ici des merveilles… quand les auteurs n’ont pas en outre recours à des astuces ludiques un peu plus superficielles comme le pliage de page ou la lecture en transparence !


Si le démarrage est un peu laborieux, le temps que l’on s’habitue à la distanciation qu’imposent les procédés du livre, on se prend vite au jeu, d’autant qu’il reste heureusement suffisamment de pages plus « conventionnelles » pour que la fiction impose son rythme naturel. S’appuyant sur un dessin – bien entendu – formidablement précis (et élégant…) dans sa stylisation, "Dans la Tête de Sherlock Holmes" s’avère une lecture à la fois stimulante, originale et plus plaisante que l’on ne l’aurait imaginé a priori.


Il reste que nous n’en sommes au bout de 50 pages qu’à la moitié de l’histoire – dont on aimerait évidemment ben déjà connaître le fin mot – et que nous réservons notre jugement en attendant la publication du second volume, qui est du coup l’une des BDs les plus attendues de 2020 !


|Critique écrite en 2019]
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EricDebarnot
8
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le 1 janv. 2020

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Eric BBYoda

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