L'Antre du dieu crocodile - Pline, tome 7 par Nébal

Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/04/pline-t.7-l-antre-du-dieu-crocodile-de-mari-yamazaki-et-tori-miki.html


Retour à Pline, le manga historique de Yamazaki Mari et Miki Tori, avec ce tome 7 sorti récemment – reste que, la publication française ayant rattrapé son retard sur la japonaise, près de neuf mois se sont écoulés depuis ma chronique du décevant tome 6, et je ne savais plus très bien où j’en étais… Je me souvenais cependant que ce tome 6 m’avait paru au mieux médiocre – et qu’il y avait ce petit truc bizarre, qui doit sans doute tout au hasard et dont il serait absurde de vouloir déduire du sens, ce constat gratuit que, dans cette série, globalement, les volumes impairs étaient meilleurs que les volumes pairs...


Et, vous savez quoi ? Je crois que ça se vérifie encore une fois avec ce tome 7. Qui m’a bien plus parlé que le précédent, en tout cas, même s’il n’est pas sans défauts, loin de là. Mais, le truc… c’est que les raisons qui fondent ce jugement davantage positif sont presque diamétralement opposées à tout ce que j’avais pu dire de cette série jusqu’à présent ! Au sens où, cette fois, c’est ce qui se passe à Rome qui m’a vraiment intéressé, et dans l’entourage de Néron et Poppée, là où les pérégrinations égyptiennes de Pline et de ses larbins m’ont paru passablement fainéantes…


C’est que, à Rome, il se produit ici ce que l’on attendait peu ou prou depuis le premier tome – à savoir l’incendie de la Ville, en 64. On l’attendait… mais, pour ma part, je le redoutais, et je n'en faisais pas mystère en concluant ma précédente chronique, car le traitement du personnage de Néron, surtout, m’a à peu près systématiquement déçu dans cette BD, pas à la hauteur des intentions affichées de Yamazaki Mari et Miki Tori. Par chance, ils s’en tirent beaucoup, beaucoup mieux que ce que je craignais. Si je demeure indécis sur certains points (tout spécialement l’imbroglio de l’implication des juifs et parmi eux des chrétiens dans cette affaire), le traitement global de cette catastrophe m’a paru pertinent.


Et, un miracle pour le coup, le personnage de Néron y apparaît moins caricatural que précédemment : on nous épargne l’empereur qui joue de la lyre devant le spectacle grandiose de sa ville en proie aux flammes, et la responsabilité au moins directe de Néron dans l’incendie est pour ainsi dire écartée – si les fourberies de Tigellin et les manies artistiques du monarque guedin font que l’empereur, aussi horrifié soit-il de prime abord, se prend bientôt d’enthousiasme pour le projet de la reconstruction intégrale de Rome selon ses vœux et ses goûts.


Un autre personnage ressort grandi de ce traitement, et j’en suis heureux, car il s’agit de Poppée – l’ambitieuse impératrice qui m’avait tant séduit dans les premiers tomes, avant de me décevoir si cruellement dans tous les suivants : cette fois, elle retrouve du caractère, et une appréciable ambiguïté – car, dans l’entourage immédiat de Néron, elle est celle qui perçoit bien que quelque chose sent le soufre.


Quelque chose autour de Tigellin, sans doute – qui confirme, encore qu’au travers de non-dits, qu’il est le grand méchant dans cette affaire. Il est, typiquement, l’éminence grise plus qu’ambitieuse, qui tire les ficelles dans l’ombre, dans un jeu de manipulations complexes – il se rêve peut-être empereur, en tout cas il est partout. Une position très appréciable pour susciter ou entretenir les rumeurs qui circulent parmi les Romains accablés, l’aristocratie comme la plèbe ; ils cherchent tout naturellement des responsables, pas forcément les mêmes d'ailleurs, mais, de toute façon, identifier les coupables est difficile, et désigner des boucs émissaires plus simple et plus rapide. Néron lui-même (mais il en est qui l’apprécient et rejettent ces calomnies), Poppée peut-être (à peu près systématiquement haïe), les juifs (forcément), les chrétiens (on le sait…), les propriétaires fonciers (ah, maintenant qu’on le dit…), Tigellin pourquoi pas (qui n’est pas le moindre de ces propriétaires), ou les ex-conseillers de Néron tels Pison (idem) ou le philosophe Sénèque (pareil) – lequel s’en tire bien du fait de son amitié avec Tigellin ?


« S’en tire bien », de l’incendie, hein – car cette « amitié » ne vaut probablement pas grand-chose : là encore, Tigellin est partout, derrière, dans l’ombre. Dans la conjuration de Pison, qui s’élabore dans la foulée de l’incendie, et qui implique un peu par défaut le philosophe mou, qu’importe le tour pris par les événements, Tigellin en profitera : la répression de la conjuration tient en effet à la fois du coup d’État et de la purge – et Sénèque y passera comme les autres. Un personnage bien falot, pour le coup : mélancolique sans doute (un stoïcien a-t-il le droit d’être mélancolique ?), mais en même temps un peu con-con dans son apathie, qui relève assez clairement du refus de voir les choses en face ; à la fin de ce tome, il erre dans les jardins de Pline, et contemple la ciguë, avec les réminiscences que l’on suppose…


Mais Pline, justement ? Il est bien loin de tout ça – il est en Égypte. Ceci dit, même là-bas, certes avec un retard nécessaire (dont les auteurs jouent plus ou moins bien ? La chronologie de ces épisodes n’est peut-être pas très rigide...), la nouvelle de l’incendie atteint les voyageurs. Elle accable Félix, comme de juste, qui tente même la sottise de partir seul, en pleine tempête dans le désert – de très belles pages, graphiquement –, pour retourner en Italie et y veiller sur son acariâtre mais adorée épouse et leurs enfants ; lesquels sont, ainsi que le médecin de Pline, des personnages de choix pour peser les effets de l’incendie avec un point de vue diamétralement opposé à celui de la cour impériale et de l’élite aristocratique.


Mais, comme de juste là encore, le désastre laisse Pline lui-même indifférent – une réaction qui ne surprendra pas, de la part de notre naturaliste psychopathe, mais qui est peut-être plus que jamais chargée d’ironie, car l’incendie de Rome, aussi bien thématiquement que graphiquement (notamment dans les pages en couleur qui ouvrent le volume), renvoie sans doute aux éruptions volcaniques qui émaillent le récit depuis le premier tome – qui évoquait d’emblée, quinze ans plus tard, en 79, l’éruption du Vésuve qui noierait Pompéi sous les cendres, et, avec, le héros de cette histoire.


C’est là ce qui se produit de plus intéressant pour Pline et les siens dans ce volume 7. Le reste, hélas, n’emporte pas vraiment l’adhésion, car l’Égypte visitée par la petite troupe relève beaucoup trop de la caricature – cultes étranges, labyrinthes sous les pyramides, crocodiles, etc. ; c’est très Indiana Jones, d’une certaine manière (voire Tintin, avec le coup de théâtre impliquant la chatte Gaïa), mais sur un mode relativement fainéant.


Le contraste avec ce qui se produit à Rome n’en est que plus saisissant – et, oui, cela produit bien cet effet très inattendu pour moi : contrairement à ce que j’ai pu dire de chaque volume ou presque de cette série depuis disons le tome 2, dans celui-ci, c’est ce qui se passe à Rome, autour de Néron et compagnie, qui est intéressant, là où ce qui se passe autour de Pline est globalement indifférent…


À la fin de ce volume, nos héros prennent toutefois la route d’Alexandrie : espérons que la confrontation du naturaliste à ce haut lieu du savoir saura ramener sur le devant de la scène ce qui jusqu’à présent faisait le sel de cette série, à savoir la science et la pseudo-science de l’Histoire naturelle. Qu'en sera-t-il du thème de la destruction de la bibliothèque ? La question semble toujours débattue, mais je suppose que les auteurs pourront jouer de ce thème, en miroir de l'incendie de Rome...


Ce septième tome est donc surprenant à plus d’un titre – mais, avec ses défauts indéniables, il se montre en définitive plutôt convaincant ; bien plus en tout cas que le volume précédent.


Pline est une série très inégale, et chaque tome me fait me poser la question si cela vaut le coup de poursuivre – mais, oui, celui-ci m’y incite, décidément. Alors on verra bien, un de ces jours, si le tome 8 poursuit cette étrange alternance du bon et du moins bon…

Nébal
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le 12 avr. 2019

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