Recueil rééditant plusieurs histoires publiées initialement en 1971 pour la première et en 1973 pour les autres, « L'argent du déshonneur » est un gekiga magnifique qui nous éclaire sur une pratique qui avait lieu sur les champs de bataille du Japon féodal.


Pour résumer en quelques lignes, des samouraïs vaincus sur le champ de bataille pouvaient être épargnés par leur bourreau contre la promesse du paiement d'une somme d'argent à l'avenir. Cela se formalisait par un un bout de papier ou de tissu sur lequel était apposé un sceau de la main du vaincu avec son propre sang, et l'affirmation selon laquelle celui-ci devait telle somme à tel samouraï qui l'avait vaincu sur le champ de bataille. Ce papier avait donc valeur de reconnaissance de dette, et cette dette qu'avait le vaincu envers le vainqueur n'était jamais prescrite et se transmettait toujours d'une manière ou d'une autre. Si le samouraï qui s'était endetté pour survivre se faisait tuer, alors c'était celui qui l'avait tué qui devait assumer la dette etc...



Un billet tiré sur le prix de sa tête vaut échange sur la vie de celui
qui l'émet, il n'y a aucun moyen de l'annuler.



Cette pratique était loin d'être une fin en soi et mettait les samouraïs qui s'y prêtaient dans un réel embarras... déjà parce que le fait de payer pour ne pas affronter la mort était une enfreinte suprême au bushidô, le code d'honneur des samouraïs, et qu'il fallait donc taire le plus possible ce genre de chose (le titre de l’œuvre l'explique très clairement). Mais ce n'est qu'une facette, et cet album en rassemble plusieurs, toutes passionnantes et documentées sur cette pratique.


Chaque histoire nous fait suivre Kubidaï Hanshiro, un "recouvreur de vies humaines". C'est l'intermédiaire chargé de récupérer la somme d'argent du vaincu et de la transmettre à son client, le vainqueur. Une fonction difficile qui requiert de nombreuses qualités humaines et physiques. C'est donc dans le cadre de ses missions de recouvrement de dette que l'on découvre plusieurs facettes de cette pratique.


La richesse de « L'argent du déshonneur » est d'abord celle de son background.
Hirata est un spécialiste de l'histoire du Japon et son œuvre est très bien documentée. Elle revêt un intérêt historique et culturel particulier pour toute personne qui s'intéresse de près ou de loin à l'identité de ce pays et à son histoire.


Impossible aussi de ne pas évoquer l'immense talent de dessinateur (et de calligraphe) d'Hiroshi Hirata. C'est vraiment magnifique et ça rend particulièrement hommage aux lieux et aux personnages qui y sont représentés.


Cette richesse de « L'argent du déshonneur », c'est également la profondeur philosophique de son propos. Les rapports que l'Homme entretient avec l'argent et la mort, l'argent et la vie. Et comment ces liens infernaux entrainent des dilemmes d'une cruauté sans nom.


C'est aussi le parallèle évident qu'évoque Pierre Jovanovic en préface. Celui que l'on peut faire entre cette pratique du sceau de la main à laquelle s'adonnaient certains samouraïs sur le champ de bataille et celles qui se multiplient dans notre société actuelle entre organismes/personnes qui s'endettent pour repousser l'échéance de leur engagement, et des banques par exemple qui continuent d'exister en prêtant de l'argent qu'elles n'ont pas. La similitude des situations et des problématiques qui en résultent est frappante et peut nous questionner sur les bases de notre économie.


Je retiendrai comme seul bémol, et c'est vraiment malheureux, les fautes d'orthographe ou d'inattention stupides disséminées ci et là dans la traduction des phylactères... C'est vraiment dommage et difficilement pardonnable envers l'éditeur, surtout pour une œuvre d'une telle qualité. Si cet album fait l'objet d'un second tirage, j'espère que ces fautes seront corrigées. Malgré cela, je le recommande très vivement à tous.

Endless_
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le 19 avr. 2016

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