Le manga de ces 10 dernières années

C'est le 9 septembre 2009 qu'est publié le premier chapitre de Shingeki no Kyojin, manga dont l'auteur, Hajime Isayama, est alors un grand inconnu. Suivront 138 chapitres, qui seront tous publiés, à quelques exceptions près, au début de chaque mois.


Rapidement, Shingeki no Kyojin va faire parler de lui. Mais le phénomène va devenir planétaire avec l'adaptation en anime de 2013, qui va faire exploser la popularité du manga. Beaucoup l'ont découvert à ce moment-là, moi le premier. Je me rappelle encore la bande-annonce de la première saison, qui annonçait quelque chose de grandiose. Et je n'ai même pas pu attendre la sortie de l'anime : j'ai foncé direct sur le manga, et cela fait donc 8 ans que je suis assidûment l’œuvre d'Isayama.


L'histoire ? Tout le monde la connaît, même ceux qui ne l'ont pas lu. L'humanité vit recluse derrière de gigantesques murs, servant à les protéger d'une terrible menace, les titans, ces géants dévoreurs de chair humaine. Cela fait près d'un siècle que les hommes vivent en paix, jusqu'au jour où un titan gigantesque se pointe et ouvre une brèche dans le mur : l'humanité se rappela alors qu'elle n'était que du bétail.


Le scénario est l'un des points forts du manga, peut-être même le plus important. C'est simple, Isayama maîtrise son récit comme on l'a rarement vu. Tout fait sens, rien n'est jamais laissé au hasard. L'univers recèle un nombre incalculable de mystères, et chaque éclaircissement apportera son lot de nouveaux mystères à éclaircir. L’œuvre se redéfinit à chaque fois, bouscule sans cesse le lecteur, l'oblige à réfléchir, à s'interroger.


Après avoir lu le dernier chapitre, il semble tout à fait probable qu'en publiant le premier le 09/09/2009, Isayama savait déjà où il allait arriver. Peut-être même qu'il a pensé son intrigue en partant de la fin ? L'histoire a vraiment marqué beaucoup de lecteurs, au point de déchaîner les passions dans le monde entier. Suffit de voir toutes les théories, toutes les rumeurs, tous les spoils circulant avant la publication du chapitre mensuel. Tous les Youtubeurs qui parlent de Shingeki no Kyojin en faisant des dizaines de milliers de vues.


Ce qui est fort, c'est que jusqu'au bout, jusqu'au chapitre final, l'auteur aura maintenu ses lecteurs dans l'incertitude. Il aura continué de les surprendre, et je crois que c'est ça que beaucoup de monde a aimé. Les twists auront rythmé des années de lecture et tenu en haleine les lecteurs jusqu'aux derniers instants.


Si je dis qu'il s'agit du manga de ces 10 dernières années, ce n'est pas parce que c'est mon préféré, ou par pure vanité. Non, c'est le simple constat du phénomène qu'il est devenu. Je pense que le parallèle avec Death Note s'impose: tous les deux ont marqué leurs époques, tous les deux ont été capables de transcender les lecteurs de mangas traditionnels en attirant des gens qui ne lisaient pas de manga. Tous les deux ont eu droit à une adaptation en anime qui a propulsé le support papier sur le devant de la scène.
La différence, c'est que Death Note est beaucoup plus court, et que l'adaptation arrive peu après la fin du manga. Alors que pour Shingeki no Kyojin, l'anime n'adapte qu'une partie, la suite n'arrivant que bien plus tard. C'est pourquoi les gens sont venus chercher des réponses dans le manga pour ne pas attendre et avoir un coup d'avance, ce qui explique que Shingeki no Kyojin version manga est beaucoup plus populaire que Death Note version manga.


S'il y a bien un reproche que tout le monde semble partager, ce sont les dessins d'Isayama. Les planches des premiers chapitres ne sont pas moches, mais on a déjà vu beaucoup mieux. Pourtant, on s'y fait très vite, et on apprécie. Pourquoi ? Parce que le style de l'auteur tranche avec le reste, et qu'il devient indissociable de Shingeki no Kyojin. Parce qu'il y a surtout une amélioration très nette au fur et à mesure des chapitres. Il suffit juste de comparer des chapitres où l'on nous montre des flashbacks d’événements qu'on a déjà vus avec les premiers chapitres où ont eu lieu ces événements : la différence est frappante.
Que ce soit les combats, les expressions des personnages ou même les décors sur certaines planches, on finit par avoir des dessins vraiment beaux.


Les personnages tient, parlons-en ! Car une histoire, même excellente, n'est rien sans ses personnages. Le récit suit Eren, accompagné de Mikasa et d'Armin, qui s'est juré d'exterminer tous les titans. Il suffit juste de prendre Eren et de constater l'évolution de ce personnage du début à la fin pour se rendre compte à quel point Isayama a été brillant. Nous ne sommes pas ici face à un héros classique, fort, sûr de lui, charismatique. Non, Eren n'est pas plus fort que les autres, il se prend régulièrement des raclées, et il n'a pas de talent particulier... si ce n'est une très forte volonté, et un grand attachement à ses amis. Et c'est ça qui rend le personnage très humain : on est loin d'un Sangoku ou d'un Naruto qui veulent sans cesse se dépasser, atteindre le sommet. Non, Eren ne fait ce qu'il fait que pour ses proches. C'est quelqu'un de profondément altruiste, et je ris bien fort de tous ceux qui dépeignaient un héros pleurnichard et faible. Ceux-là n'ont rien compris au personnage.


Les autres ne sont pas en reste. Beaucoup ont une évolution intéressante (Jean, Reiner, Gabi, Hansi,…). Le rôle de personnages badass échouera surtout aux Ackerman (Mikasa et Livaï), qu'on ne pourra toutefois pas résumer à de simples combattants, tant leurs liens avec d'autres personnages sont importants. Je serais plus mitigé sur Armin, l'auteur en a peut-être trop fait, mais la fin livre une explication possible.


Transition toute faite pour évoquer la fin de Shingeki no Kyojin, fin qui fait déjà beaucoup parler, en bien ou en mal. Et comment être surpris ? Une œuvre aussi populaire, qui a tenu en haleine tant de monde... forcément, la fin allait diviser. Comment pouvait-il en être autrement, alors qu'il y avait tant d'attentes, tant d'espoirs ? Il faut savoir raison garder, et se dire que la fin parfaite, ça n'existe pas. Isayama est là pour écrire sa fin, pas la fin que l'on veut. Les fins en apothéose, on les compte sur les doigts d'une main (c'est ce qui a fait la célébrité de Code Geass ou d'Evangelion, mais ce sont des exceptions). On pourrait même élargir à d'autres univers : 2019 a été marquée par la fin de Game of Thrones, et elle a déçu un paquet de gens. Mais est-ce simple de conclure une œuvre aussi colossale ? Regardez George R.R. Martin: il n'arrive même plus à finir son œuvre ! Tout ça pour dire qu'il faut relativiser, et que le chapitre 139 ne doit pas faire oublier les 138 autres.


Je ne considère pas la fin de Shingeki no Kyojin comme ratée, mais je pense que le chapitre est loin d'être le meilleur de son auteur. Lors d'une interview, il avait dit que Breaking Bad était sa série préférée, car elle répondait à toutes les questions. Et qu'il voulait que ses lecteurs, à la fin de son histoire, aient toutes les réponses. Je trouve que là-dessus, il n'a pas vraiment réussi. Alors le manga garde une cohérence du début à la fin, c'est clair, mais il y a certaines choses qui n'ont pas été bien exploitées. Des frustrations. Faute de temps ? Sans doute, Isayama en a manqué. Tout laisser à la libre interprétation du lecteur ? Je trouve que c'est un peu trop facile de se dédouaner sur les autres quand on n’a pas été capable d'apporter la réponse soi-même.


Reste qu'il n'est pas simple de cerner le message de l'auteur dans tout ça, tant le manga brosse large, évoquant tour à tour la peur de l'autre, la vengeance, l'amour, le fascisme, la guerre, la vie, et encore plein d'autres sujets. Peut-être trop ambitieux, à l'instar d'un George R.R. Martin qui éclate son récit façon puzzle, Isayama a choisi de recentrer les choses sur la fin, quitte à en laisser quelques-uns sur le carreau.


Shingeki no Kyojin, c'est une grande aventure, une histoire formidable, des personnages attachants, des enjeux, des mystères, des tragédies, des... tu n'es toujours pas convaincu ? Va vite le lire !


NB : à l'origine, j'ai publié cette critique sur un autre site.


EDIT du 12/06 :
Bon, les 8 pages supplémentaires (en fait 7, décidément, Isayama et les maths, ça fait deux) n'étaient pas un fake. Je ne comprends pas cet ajout. Outre le manque de respect, cela change la fin originale en lui donnant un tout autre aspect. Non seulement on a eu aucun éclaircissement, mais cela apporte de la confusion sur certains points.
J'espère que Mappa aura le courage de dire niet à Isayama et n'ajoutera pas ces pages inutiles et mauvaises dans la dernière saison.

Zero70
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le 11 avr. 2021

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