L’A6, c’est pas toujours les vacances

Voici un road-movie de plus de 400 pages mais qui se lit assez bien, et assez vite. Composé de grandes cases en noir et blanc avec souvent un face à face de trois grandes cases rectangulaires sur chaque double page. Plein de thèmes abordés avec une histoire-prétexte pour pénétrer dans des univers en général mal connus ou pas fréquemment abordés dans la bd comme les fachos, le milieu de la drogue, une émeute de banlieue. On croise un ancien de mai 68, des routiers, des jeunes de banlieue, et aussi pas mal de gonzesses, avec leurs nichons généreux.

Le road-movie permet ainsi d’évoquer pas mal de sujets, non sans une certaine finesse, comme la destruction des derniers hauts fourneaux en Lorraine et la tristesse des mineurs, l’émotion de ces ouvriers qui ne sont plus rien, désormais. Ces bonnes pages sur la Lorraine ne sont qu’une infime partie de l’album, mais elles sont marquantes, poignantes, très justes, on sent qu’il y a du vécu chez Baru, une émotion particulièrement bien retranscrite.

On perçoit ainsi le talent de l’auteur, même s’il est parfois dilué dans une action plus ou moins intéressante, d’autant plus qu’il n’évite pas toujours la caricature pour certains de ses personnages, comme le facho (tandis que d’autres sont évoqués avec davantage de finesse, par exemple René Loiseau). C’est en effet l’histoire d’un Arabe et d’un jeune de 17 ans en cavale comme des criminels car un facho pervers est plus bas que terre, prêt à tout après avoir perdu son espoir politique et son honneur (sa femme baisée par un Arabe, y a rien de pire, semble-t-il). Et qui utilise des réseaux assez puissants pour les repérer, les rattraper et les faire mijoter : les fachos, des routiers, ou encore des trafiquants de drogue.

Dans cet album, Baru provoque tout un tas de rencontres, plus ou moins heureuses ; d’abord celle des deux personnages principaux, Karim et Alexandre, relation forte qui évolue tant bien que mal, dans la difficulté. Mais aussi leurs rencontres avec plein de Français de tous bords et horizons, avec pas mal d’histoires de bassesses, où beaucoup sont prêts à aider un facho contre un Arabe, mais où d’autres au contraire sont prêts à défendre ce dernier. Car ici, et encore malheureusement trop souvent dans la réalité, un Arabe est d’abord et avant tout perçu comme tel par les autres, et si je l’indique aussi ici ainsi, c’est parce que ça joue un rôle clef dans le scenario.

On a là une France rude. Certes, c’est une fiction, avec de l’action et des péripéties, mais Baru met en avant certains aspects, nous montrant assez bien ce qu’est devenu la France, avec son racisme et ses parts de lâcheté. Tout n’est toutefois pas que noir, Baru cherche aussi à nous préserver l’espoir, nous décrivant par exemple une police qui essaie de faire son boulot et qui ici sauve un Arabe, ce qui n’est pas rien quand on sait le racisme qui gangrène une partie des policiers plus encore peut-être que le reste de la société française. On a là une bd politique : derrière l’action et le malgré le fait divers, Baru dénonce la haine d’un parti, le racisme et la violence qui continuent de ronger notre société.

Si le trait de Baru est aisément reconnaissable, je dois dire que j’ai eu quelques problèmes sur certaines planches, les actions n'étant pas toujours claires : les qualités du trait (mouvant, flou, parfois imprécis) desservent la narration quand on ne saisit pas bien l’action ou qui sont les personnages en jeu ; parfois l’ellipse est trop forte et on ne comprend pas bien ce qui se passe.

L’album est parfois un peu caricatural ; le scenario, facile par moment, aurait mérité d’être davantage travaillé. Mais malgré ces défauts, la bd fonctionne assez bien, très plaisante, pas inintéressante, d’autant plus que personnellement, je suis bien d’accord avec les idées et la philosophie générale de l’ouvrage.

Nota Bene : lire Les années spoutnik de Baru qui sont peut-être plus conformes à mes centres d’intérêt.
socrate
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le 3 juin 2014

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socrate

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