Dans son intrigue comme dans les thèmes qu’il brasse, ce sixième épisode est extrêmement dense. Malgré de nombreuses ellipses et une dizaine de planches de plus qu’à l’ordinaire, on se retrouve donc régulièrement avec de petites cases, d’où quelquefois un manque de lisibilité. Ça ne fait pas naître l’envie de s’attarder sur des dessins qui auraient pu en valoir la peine. Cela dit, le nouveau duo de scénaristes a sorti de l’ornière une série parallèle à laquelle on ne voyait pas toujours ce qu’Yves Sente pouvait apporter, après deux albums de mise en bouche et trois autres bien répétitifs. On arrête donc — pour un temps ? — les complots courtisans et les batailles rangées pour revenir aux fondamentaux : une robinsonnade, deux personnages secondaires qui apportent quelque chose et une Kriss de Valnor plus valnorienne que jamais.
C’est qu’elle est insaisissable et ambiguë : tantôt Robinson en brassière, tantôt Médée avec des remords, tantôt Machiavel en mal d’enfant — et tantôt, hélas, en guerrière heroic-fantasy pour jeunes mâles acnéiques, mais ce n’est pas dans l’Île des Enfants perdus que c’est le plus flagrant. L’épisode peut se lire seul, et sa fin est ouverte sans laisser le lecteur les bras ballants ; les dialogues sont riches, à défaut de montrer une réelle unité de ton ; le suspense constant ménage une alternance bienvenue entre champ et hors-champ, explicite et implicite : ce sont sans doute ces caractéristiques, courantes du temps des premiers « Thorgal » mais devenues rares depuis, qui (re)donnent de l’envergure au personnage.
De Vita proposait une certaine fidélité au dessin de Rosinski : les promesses entraperçues s’étaient dissipées. Quant au trait de Surzhenko, efficace et professionnel sans être enthousiasmant, je n’en suis toujours pas un farouche partisan. Mais il faut admettre que son style, en donnant une unité à ce mélange de Sa Majesté des mouches, de Peter Pan dystopique, et d’Alinoë qui aurait pu partir dans tous les sens, a sa part dans la réussite de l’album. Reste à savoir ce que deviendront Kriss qu’on laisse naufragée et ce Jolan réduit momentanément à une résurgence.