Il y eut Lovecraft, crypto-aristocrate empesé d’une langue et de manières surannées dans une Providence hantée par le passé. Ce qui ne l’empêcha pas en bon rationaliste de se passionner pour la science de son temps - celle d’Einstein, notamment - autant, tels furent ses paradoxes, que pour la nouvelle fantastique-horrifique où put s’exprimer en d’hallucinées transpositions une xénophobie biologisante à la limite du délire.


Puis ce grand paranoïaque ésotérique d’Alan Moore en voulut relier les fils épars de l’imagination. Cela lui fait relever, dès Neonomicon, la charge érotique de l’œuvre, hypothèse je trouve assise de fort convaincante et saisissante façon, quel que soit son statut de véracité véridiquement vraiment véritablement vraie, et d’autant plus savoureusement qu’elle a su offusquer ceux des fans qui avaient une bonne fois pour toute décidé que l’horrifique n’avait rien à voir avec l’obscène (ce qui révèle assez comiquement à quel point la force métaphorique du premier les protège du second).


"Providence" porte tout cela à sa conclusion somme toute logique. Synthèse d’une œuvre qui n’en présente pas de façon claire, les trois volumes de l’intégrale font converger tout Lovecraft dans un de ces cercles paranoïaques auxquels l’auteur de "Watchmen" et "V pour Vendetta" nous avait habitué. La clarté du trait de Jacen Burrows souligne l’ancrage des récits lovecraftiens dans une rationalité que seules les turbulences où sont jetés les protagonistes font exploser dans la folie. Si elle ne peut installer une atmosphère d’inquiétante terreur telle qu’on la trouve dans les adaptations de Gou Tanabe, elle sert fort bien en revanche le propos clinique de Moore.


On pourrait faire reproche à l’œuvre qu’elle requiert du lecteur une connaissance aiguë de l’univers dont elle s’inspire - mais après tout, elle en est une assez virtuose lecture critique, en même temps qu’elle en constitue un hommage et jusqu’à un certain point, une imitation. Il y a du Hegel, si l’on veut pousser jusque là, dans les cercles de cercles sans concession tracés par Moore. Et pour moi, partant, des gammes de plaisirs divers et mélangés.


[Critique valant pour l'Intégrale, donc pour ce qui me concerne, les trois tomes]

Kliban
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Ftaghn & co

Créée

le 29 mai 2020

Critique lue 73 fois

1 j'aime

Kliban

Écrit par

Critique lue 73 fois

1

D'autres avis sur L'indicible - Providence, tome 3

L'indicible - Providence, tome 3
ThomasBröck
7

Néonomicon et Providence tiennent-elles leurs promesses ?

Annoncé à grand renfort de phrases fortes, comme « Moore revisite Lovecraft », les albums Néonomicon et ceux de la série Providence ont fait grand bruit dans le milieu de la bande dessinée. Alors, le...

le 12 mars 2018

2 j'aime

L'indicible - Providence, tome 3
Kliban
8

Hegelianna horrifiques

Il y eut Lovecraft, crypto-aristocrate empesé d’une langue et de manières surannées dans une Providence hantée par le passé. Ce qui ne l’empêcha pas en bon rationaliste de se passionner pour la...

le 29 mai 2020

1 j'aime

Du même critique

Le Premier Sexe
Kliban
3

Critique de Le Premier Sexe par Kliban

Impossible de mettre la note minimale à Zemmour. Non parce que le livre vaudrait quelque chose. Objectivement, le lire est une perte de temps - sauf pour ceux qui sont déjà convaincus et se...

le 14 nov. 2010

47 j'aime

22

Tao-tö king
Kliban
10

Autant en emporte le vent

Noter le Tao Te King, c'est noter le vent et c'est noter une traduction. Comme le site n'admet pas les doublons, je note le vent. Et comme le vent passe toutes les notes, mon humeur étant à cette...

le 7 nov. 2010

46 j'aime

Alice au pays des merveilles
Kliban
10

Top Disney

C'est sans doute l'une des meilleures adaptation des studio Disney. Et on ne peut malheureusement la goûter si on ne connaît pas son Wonderland et Looking Glass sur la bout des doigts ou presque...

le 24 déc. 2010

40 j'aime